Critique – Pride and Prejudice and Zombies de Burr Steers

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Au cours de la dernière décennie, le zombie s’est imposé comme étant non seulement une des figures-clés de la culture populaire, mais aussi comme le monstre le plus récurent et le plus emblématique du cinéma d’horreur contemporain (le vampire étant probablement la seule créature fantastique à lui faire une concurrence sérieuse). Originalement issu du folklore vaudou, le zombie « moderne » doit sa naissance à George A. Romero et à sa série de films inaugurée par Night of the Living Dead (1968). C’était en quelque sorte le coup d’envoi d’une très belle ère pour le cinéma d’horreur américain, où des réalisateurs comme Romero, Wes Craven et Tobe Hooper cherchèrent à exorciser la noirceur d’une époque (guerre du Vietnam, désillusion politique) par des films d’une violence et d’un pessimisme jusqu’alors inconnus à Hollywood. Issu de ce courant, le zombie a continué de s’imposer dans le paysage cinématographique, charriant toutes les angoisses de l’homme occidental moderne: peur de la mort certes (la religion n’étant plus là pour y offrir un sens), mais aussi peur de perdre son humanité, peur d’un monde sans repères et sans valeurs, d’un monde qui évolue maintenant trop vite et qui donne l’impression à l’homme d’être comme un zombie, empâté, idiot, et sans autre option que la consommation (chair humaine pour l’un, articles vendus par la pub pour l’autre). Peur également de perdre son individualité, le zombie n’existant qu’en meute. Peur de la société donc, mais aussi, paradoxalement, peur que cette même société s’effondre, peur d’un cataclysme quelconque qui renverrait l’humanité à l’état de barbarie. La richesse métaphorique et symbolique du zombie est énorme.

Mais laissons là ces considérations à la Michel Onfray: si le zombie s’impose autant, ce n’est pas seulement parce qu’il rappelle la décadence probable de notre civilisation, c’est d’abord et avant tout parce qu’il rapporte de l’argent. Le septième art étant également une industrie, les producteurs sont forcément sensibles à une créature qui peut transformer en succès populaires des films cinématographiquement médiocres (Dead Snow, 2009) ou idéologiquement douteux (World War Z, 2013). Il n’est que normal d’en voir certains presser le citron jusqu’à la dernière goutte avec des Warm Bodies (2013) ou avec des Zombeavers (2014). Et s’il s’en trouve pour dire que le citron en question commence à être pourri, les plus cyniques répondront sans doute que le zombie est déjà en putréfaction à la base. Dans ces circonstances, doit-on s’étonner qu’on ait jugé bon de réécrire le classique Pride and Prejudice de Jane Austen en y insérant une invasion de zombies, et que ce roman (œuvre de Seth Graham Smith et publié en 2009) ait donné lieu à une adaptation au cinéma? Non, pas le moins du monde. On se surprend même à débourser quelques dollars pour le voir, à rigoler à deux ou trois reprises, et à apprécier les qualités plastiques du film (belle direction photo, décors et costumes soignés, effets spéciaux réussis).

Toutefois, il faut l’écrire, Pride and Prejudice and Zombies n’amène rien de vraiment novateur au genre et échoue à exploiter le potentiel métaphorique du zombie, sur lequel nous nous sommes déjà longuement épanchés. Sans être ennuyeux, le film est plat, sans profondeur. En étant généreux, on pourrait toujours y lire un sous-texte féministe, et c’est vraiment de générosité dont il s’agit: le fait de voir de jolies jeunes femmes vaincre au sabre et aux poings à la fois les hommes et les monstres (et ce, sans que leur coiffure en pâtisse trop) n’a plus rien de révolutionnaire ou de subversif, à moins d’être passé à côté d’Alien, de Lara Croft, de Kill Bill… (et la liste est loin d’être exhaustive). Il faut toutefois avouer que le père Romero a mis la barre haute avec ses propres films (lesquels demeurent d’une surprenante actualité), ce qui explique que la créature qu’il a créée semble désormais faire du surplace. Comme si elle avait déjà dévoré le dernier être humain de la terre.