Critique – The Hateful Eight de Quentin Tarantino

Hateful-8-Grab-5

Le cinéma de Quentin Tarantino s’est très tôt placé sous le signe du pastiche, du recyclage. Se posant en héritier trash des cinéphiles-cinéastes de la Nouvelle vague française qu’il admire, Tarantino puise dans le cinéma qu’il aime (principalement les films de gangsters d’Hong-Kong et les westerns-spaghetti des années soixante) pour lui redonner vie sous de nouvelles formes. Cette recette lui vaudra très tôt les éloges de la critique et le succès public, faisant de lui un cinéaste culte dès son premier film, Reservoir dogs (1992). Sa filmographie prend toutefois un virage inattendu en 2009, d’abord avec Inglourious Basterds, puis trois ans plus tard avec Django Unchained. Prenant pour trame de fond deux des plus grands drames que l’humanité ait connu (persécution des juifs par le régime hitlérien dans Inglourious, esclavage des noirs dans Django), Tarantino emploie toujours systématiquement le pastiche et la référence, mais pour les mettre au service d’une uchronie visant à offrir une vengeance aux martyrs de l’Histoire avec un grand h. Brusquement, le cinéma n’est donc plus un univers en vase clôt qui se nourrit lui-même de son propre patrimoine, il est un art qui permet, par la fiction, de régler ses comptes avec la noirceur de l’Homme. Il va sans dire qu’avec ces deux derniers films, Tarantino fait le pari (réussi) de placer le cinéma très haut. Il est au zénith de son talent. Mais tout ce qui monte doit redescendre. C’est ici qu’arrive The Hateful Eight.

Plantée dans le Wyoming enneigé de l’après-guerre de sécession, l’intrigue met en scène un chasseur de prime qui doit emmener une criminelle qu’il a capturée vers la ville où elle sera pendue. Le western se transforme en huis-clos lorsque le chasseur, sa prisonnière et les individus qui les ont joints dans leur périple sont forcés par une tempête de neige de trouver refuge dans une auberge avec d’autres personnages louches. D’entrée de jeu, The Hateful Eight reprend la plupart des obsessions de son auteur, notamment les jeux de références multiples: dans son titre (référence aux Magnificent Seven (John Sturges, 1960)), dans le lettrage vieillot du générique, dans le déroulement de certaines scènes… Tarantino pousse l’hommage jusqu’à confier la composition de la bande originale à Ennio Morricone, compositeur-phare du western-spaghetti et véritable géant de la musique de films. Du haut de ses 87 ans, Morricone démontre qu’il n’a rien perdu de son aisance et livre une partition tout en discordance, épousant à merveille le thriller déjanté que se veut The Hateful Eight. Le film en lui-même n’est toutefois pas à la hauteur de ses ambitions, puisqu’il y manque une des dimensions-clés, fondamentale même, de l’œuvre de Tarantino: le fun.

Deux raisons principales sont à énumérer. Premièrement, les trop nombreux temps morts, surtout dans la première partie du film. Par le passé, Tarantino a habitué son spectateur aux longs échanges verbeux ponctués d’explosions de violence, mais ici, le procédé finit par ennuyer. Le cinéaste paraît tellement obnubilé par la beauté de ses décors, multipliant les plans d’ensemble et les ralentis, et tellement captivé par ses propres dialogues qu’il en perd de vue la notion de rythme. Pendant ce temps, l’intrigue piétine. Deuxièmement, et c’est probablement le principal, on ne parvient pas à s’attacher vraiment aux différents personnages. En guise d’exemple, dans Kill Bill (2003-2004), le spectateur souffre quand Uma Thurman souffre et jubile quand elle fait souffrir. Ici, rien de comparable: l’intégralité de la distribution (par ailleurs excellente, là n’est absolument pas la question) peut bien se traîner dans son propre sang, on ne parvient guère à s’en émouvoir, et on en vient même à se poser la question du pourquoi Samuel L. Jackson (bourreau ingénieux) nous serait plus sympathique que Jennifer Jason Leigh (souffre-douleur durant trois heures de film).

En conclusion, les films de Tarantino se divisent en deux catégories: ceux qui atteignent la cible, et ceux qui la ratent. The Hateful Eight la rate. Heureusement, contrairement aux personnages de westerns, Tarantino aura sûrement une autre chance de dégainer.