Critique – A Quiet Place, de John Krasinski

Depuis toujours, le cinéma d’horreur est taraudé par une question centrale: montrer ou ne pas montrer? Vaut-il mieux filmer crûment ce qui fait le sel du cinéma horrifique (les monstres, le sang, les meurtres…), ou simplement suggérer le tout par des artifices (ellipses, effets sonores…), en laissant l’imagination du spectateur faire le reste du travail? Depuis l’assouplissement général de la censure un peu partout en Occident, les cinéastes du genre ont le loisir de répondre à cette question comme ils le souhaitent, et chacun y va selon ses préférences. Avec A Quiet Place, l’acteur-réalisateur John Krasinski s’est quant à lui poser un intéressant défi: étant donné que, dans le cinéma d’horreur, la bande-son est souvent ce qui permet de créer l’ambiance, de faire monter la tension, voire de remplacer ce qui n’est pas montré, alors peut-on faire un film d’horreur silencieux?

 

L’action se déroule dans un futur où l’humanité a été presque entièrement décimée par des créatures prédatrices qui repèrent leurs victimes grâce au son. Une famille de fermiers doit donc vivre dans le silence le plus complet, pour éviter de devenir leurs proies.

 

Qu’on soit sensible ou non au genre post-apocalyptique, A Quiet Place apparaît comme une belle réussite: l’absence presque complète de dialogues et la trame sonore épurée obligent la réalisation à faire preuve d’une grande précision et à adopter un rythme posé, sans toutefois laissé de côté le sentiment de menace. Les premières scènes sont magistrales. On pourrait déplorer le fait que, plus le film avance, plus il évolue vers un survival aux effets plus « faciles »: les créatures qui au départ étaient à peine entr’aperçues en finissent par occuper tout l’écran, le film y perdant de sa subtilité initiale, un peu à la manière du Signs de M. Night Shyamalan, où le sentiment d’angoisse déclinait fortement lorsque les personnages devaient combattre physiquement les extra-terrestres qui les envahissaient. Néanmoins, on pardonne assez facilement ce changement de registre. D’une part, il faut admettre que les scènes d’horreur sont franchement efficaces, et donnent bien des sueurs froides. D’autre part, les personnages du film sont fort attachants, et ils sont attachants parce que, contrairement à certains univers post-apocalyptiques, celui-ci s’affaire à recréer un monde où, malgré l’effondrement social, la vie continue: la famille joint les mains lors des repas, les enfants jouent, la mère donne naissance à un nouveau bébé. Si la vraisemblance n’est pas toujours entièrement là, l’émotion l’est. Et c’est pour en vivre qu’on va au cinéma.

https://www.youtube.com/watch?v=WR7cc5t7tv8