Le septième art est parfois le lieu de mariages inattendus entre les continents. Si les années soixante ont transporté le western en Italie (créant la douce expression « western-spaghetti ») tandis que les années soixante-dix ont vu des acteurs français jouer dans des films de « terroir » québécois (rappelons-nous Kamouraska ou Quelques arpents de neige), on peine à ce jour à trouver des exemples de pays en tensions ouvertes ayant collaboré sur une grosse production. C’est pourtant ce qui se produit avec The Great Wall, alors que l’Oncle Sam et l’Empire du Milieu unissent leurs forces (et leur argent) pour livrer ce film d’action médiévale-fantastique à très grand déploiement. Le coût : 135 millions de dollars US, ce qui en fait le film plus cher jamais tourné en sol chinois. Et ce, à une époque de Guerre froide 2.0, conséquence d’un effritement de l’hégémonie occidentale dans plusieurs régions du monde appelées à s’embraser, si ce n’est déjà fait.
Mais même en temps de guerre, l’industrie du divertissement ne chôme pas, et elle nous a concocté l’histoire d’un petit groupe de brigands sans scrupules, mené par Matt Damon, égaré dans la Chine moyenâgeuse à la recherche d’une poudre noire particulièrement dévastatrice que le groupe pourrait ramener en Occident. Une fois parvenus à la Grande Muraille, ils y font la connaissance d’une armée secrète chargée de garder la muraille contre les monstres qui vivent de l’autre côté, et qui s’apprêtent justement à tenter une invasion. Un scénario en forme de compromis, offrant le rôle du rebelle charismatique à un représentant de l’Amérique tout en flattant le légendaire savoir-faire et le sens de l’organisation des Chinois. Hélas, on peut douter que cette alliance sino-hollywoodienne parvienne à charmer le cinéphile : les personnages sont inintéressants, les interprètes livrent le strict minimum, le scénario est mince et sent le réchauffé (on dégringole d’ailleurs de son fauteuil lorsque le générique nous apprend que l’écriture du film a nécessité le concours de six scénaristes). Mais, bien plus grave pour un film de ce genre, The Great Wall manque cruellement de souffle épique, ce qui ne manque pas de surprendre, considérant qu’on en a confié la réalisation à Zhang Yimou, qui avait dirigé Hero (2002) et Le Secret des poignards volants (2004), deux films d’action médiévale d’une beauté visuelle stupéfiante, à la mise en scène à la fois dynamique et solennelle. Ici, les costumes soignés, les jeux de couleurs travaillés, les amples mouvements d’appareil et les arrêts sur image qui caractérisaient le style de Yimou ont perdu toute grâce, toute imagination, s’enchaînant mécaniquement jusqu’à un happy end mièvre. Les artisans du film semblent avoir voulu jouer la carte de la légèreté, mais la boursouflure des moyens déployés fait en sorte que le résultat débouche davantage sur l’insignifiance, réduisant l’intérêt de cette méga-production à une ou deux scènes de batailles enlevantes.
C’est donc de cela qu’il s’agit avec The Great Wall : un pur produit à la chaîne comme seul Hollywood peut en commettre. Si le but était de faire baisser la tension entre les deux plus grandes puissances mondiales, de bâtir des ponts et d’offrir au spectateur un peu du génie de chacune des deux cultures, on peut légitimement douter de l’atteinte de l’objectif.