Critique – Yes, d’Éric Piccoli et Félix Rose

Art et identité sont indissociables. Par l’art, l’être humain a d’abord dépeint ce qui l’entourait, et donc son quotidien. Les peintures rupestres datant de l’âge de pierre sont là pour en témoigner. Puis, il a dépeint ses croyances religieuses : pyramides, sculptures et effigies de toutes sortes étaient comme autant de tributs de l’homme à son (ou ses) créateur(s). Puis, bien plus tard, il a cherché à jeter dans l’art son subconscient, que ce soit par la poésie ou l’art moderne. L’art sert à l’homme à connaître où il est, d’où il vient et où il va, ou du moins, c’est l’idéal qu’il s’est fixé. Simon Beaudry est artiste visuel. Il est obsédé par la question de l’identité québécoise. Comment s’exprime-t-elle? Quelles sont ses origines? Samuel Bergeron, lui, est un militant indépendantiste. Son but est que le pays du Québec advienne, mais comment faire? C’est la rencontre de ces deux êtres en quête de réponses que le film Yes mettra en scène, et c’est l’Écosse qui servira de toile de fond.

Septembre 2014. L’Écosse est à deux semaines d’un référendum portant sur son indépendance. Pour Simon et Samuel, c’est une occasion rêvée de vivre leur rêve par procuration, pour paraphraser ce dernier. Mais il y a davantage que ça : les deux hommes espèrent que l’exemple écossais leur permettra de trouver réponses à leurs interrogations, et de finalement comprendre le Québec, son passé et son avenir, à travers l’Écosse. En cela, la métaphore de la ceinture fléchée (qui, à la base, était tissée avec de la laine écossaise importée) traverse le film. Sur le plan cinématographique, les deux réalisateurs Éric Piccoli et Félix Rose se posent en dignes héritiers de Pierre Perrault et du cinéma direct québécois. Leur mise en scène réussit le tour de force d’être à la fois intimiste et discrète, et il en ressort un film extrêmement chaleureux rempli de figures attachantes. En revanche, si la forme de Yes est chaleureuse, l’accueil reçu par Simon Beaudry en terres d’Écosse l’est bien moins. Dans son désir d’aider l’Écosse à acquérir son indépendance tout en poursuivant sa propre quête identitaire, Beaudry fait de l’art de rue, qui prend la forme de messages indépendantistes en ruban adhésif collés dans l’espace public, ou de photographies de lui en nature arborant de multiples symboles identitaires des deux cultures (ceinture fléchée, chemise à carreaux, bois de chevreuil, tartan…). Mais l’accueil réservé à sa démarche est globalement hostile. Naturellement, les tenants du « No » goûtent fort peu le message promu par Beaudry, mais l’hostilité provient également des rangs du « Yes », qui sont résolus à ne pas exploiter les questions et symboles identitaires durant leur campagne. Même avec les meilleures intentions du monde, l’artiste québécois se retrouve en décalage, et son désir de se reconnaître en l’Autre est compromis.

Piccoli et Rose dépeignent, avec un rien de sadisme, l’isolement de Beaudry, condamné à voir son art de rue être réduit à néant par les badauds et à errer seul dans les landes brumeuses, drapeau en main. Optimiste, il revient toutefois à la charge encore et encore, tentant ici et là d’ouvrir des brèches de dialogue avec cette Écosse qui ne semble pas cadrer exactement avec ses fantasmes. Tel Sisyphe remontant inlassablement son rocher, il y met tout son cœur, mais se retrouve condamné à tenir le rôle de l’original, lui qui espérait communier avec la collectivité. D’ailleurs, la première scène du film le montre vêtu de sa chemise et de son casque à bois de chevreuil, se rendant en quadri-porteur jusqu’à l’Assemblée nationale de Québec sous les regards amusés des passants. Ici comme en Écosse, l’artiste est un marginal.

Les rêves de Beaudry et de Bergeron, tout comme ceux de milliers de militants du « Yes », trouvent une fin abrupte lorsque le référendum s’avère perdant. Ne reste plus qu’à rentrer au bercail, en remballant ses espoirs et ses questions toujours sans réponses. Le film se termine néanmoins sur une lueur d’espoir, nous montrant Simon Beaudry qui continue à Montréal son œuvre d’artiste de rue, cherchant inlassablement à secouer les torpeurs de son peuple. Comme disait Camus, il fait imaginer Sisyphe heureux.

Le film sort en salle le 10 mars.