RVCQ: compte-rendu de la soirée Québec sanglant/Bloody Quebec

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Le 27 février, à l’occasion de la Nuit blanche, la Cinémathèque québécoise organisait l’évènement « Québec sanglant/Bloody Quebec », durant lequel trois long-métrages de genre* québécois furent projetés. Comme il s’agit de trois films réalisés au cours des dernières années, l’occasion est belle pour dresser un portrait du cinéma de genre d’ici.

Quelques remarques préalables s’imposent. En effet, il est devenu un lieu commun de dire que les genres du fantastique et de la science-fiction sont sous-exploités au Québec. Si on peut à la rigueur citer quelques films (comme les adaptations que Podz a fait des romans de Patrick Senécal, ou comme le mythique Dans le ventre du dragon (1989) d’Yves Simoneau), force est d’admettre que le cinéma de genre québécois n’a produit aucune « école » digne de ce nom. Certains pointeront du doigt les raisons économiques, les effets spéciaux coûtant cher et le cinéma québécois souffrant d’un manque chronique de financement, mais un cinéphile le moindrement érudit sait qu’une telle explication ne tient pas la route, puisqu’une bonne part des classiques du cinéma de genre, de Nosferatu (1922) à Paranormal Activity (2009), en passant par Halloween (1978), étaient pourvus de budgets faméliques. Pourquoi alors le cinéma d’ici délaisse-t-il le genre? Les causes ne sont pas économiques, elles sont culturelles. Elles résident dans les origines françaises des Québécois. En effet, de tous les pays possédant une cinématographie abondante, la France est la seule à ne posséder aucune « école » fantastique: l’Allemagne a son expressionnisme allemand des années 20, l’Italie a ses films d’épouvante et ses gialli (Argento, Bava, Fulci…), l’Angleterre avait sa Hammer dans les années 50-60, le Japon a ses films de fantômes (particulièrement populaires dans les années 90-2000 avec des films à succès comme Ringu (1998) ou Ju-on (2000)), les États-Unis ont (exemple parmi d’autres) leurs slasher films, mais pour la France, rien. On ne parvient à citer que quelques œuvres isolées, Les Yeux sans visage (1960) de George Franju étant le titre qui revient le plus souvent. La France étant le pays des Lumières (et donc de la lutte aux superstitions), du cartésianisme et de la laïcité dite « fermée », il ne faut pas s’étonner que les sujets à saveur surnaturelle n’y suscitent qu’un intérêt mitigé**.

Venons-en maintenant à cette fameuse soirée. Le premier film au programme est Thanatomorphose (2012) d’Éric Falardeau. La protagoniste est une sculptrice en mal d’inspiration et empêtrée dans une relation avec un homme violent, qui au fil des jours voit sa peau et sa chair se décomposer, jusqu’à ce qu’elle devienne un cadavre vivant. Film lourd, intimiste et extrêmement gore, Thanatomorphose semble davantage être inspiré par le cinéma d’auteur québécois récent (Simon Lavoie, Rafaël Ouellet, etc.) et par ce que certains nomment « cinéma du corps » (Marina de Van, Julia Leigh, etc.) que par le film de genre à proprement parler. Falardeau installe rapidement une atmosphère de malaise extrêmement palpable, usant habilement du flou, de la caméra portée et d’une bande sonore très efficace mélangeant musique classique et techno, composant un film qui, par moment, flirte avec l’expérimental. Toutefois, en dépit de ses indéniables qualités plastiques, Thanatomorphose finit par ennuyer, de par son intrigue trop linéaire et son symbolisme trop appuyé. Un peu comme si son réalisateur avait cherché à faire un film d’une heure quarante avec un scénario de court-métrage.

Second film au programme, Dys- (2014) de Maude Michaud. Dans un Montréal mis en quarantaine par une mystérieuse pandémie qui transforme les gens en cannibales, un couple en crise suite à une fausse couche se retrouve cloîtré dans son appartement, où il tente de ne pas sombrer dans la folie. Film beaucoup plus classique dans sa forme que Thanatomorphose, Dys- n’est toutefois pas sans point commun avec le film de Falardeau, avec ses personnages dépressifs et ses corps en dégénérescence, les blessures et la maladie devenant une métaphore des cicatrices intérieures. La réalisatrice Maude Michaud, dont c’est le premier long-métrage, parvient à contourner un budget restreint par un scénario à tiroirs qui chaque fois entraîne le spectateur dans de nouvelles directions. Si certains passages semblent de prime abord incohérents ou grossiers, c’est généralement parce qu’un retournement de situation va les rendre intelligibles plus tard. Pas un chef-d’œuvre, mais une belle réussite tout de même.

Dernier film et clou de la soirée, Turbo Kid (2015) d’Anouk Whissell, François Simard et Yoann-Karl Whissell. Ceux qui ont suivi de près ou de loin les activités passées du festival Spasm connaissent déjà ce trio et leur collectif, Roadkill Superstar, qui s’était spécialisé dans les courts-métrages gores/humoristiques aux effets spéciaux home-made et au travail de caméra frisant l’amateurisme. Force est d’admettre que les trois comparses ont fait du chemin depuis avec cette coproduction canado-néozélandaise bourrée de scènes d’action jouissives, de références filmiques (dont certaines à leurs propres œuvres) et de trouvailles géniales, où des guerriers post-apocalyptiques (de 1997) s’affrontent à vélo pour mettre la main sur les dernières réserves d’eau potable de la planète. Le film est drôle, divertissant et porté par de solides performances de Laurence Leboeuf et Michael Ironside. Du bon jujube pour finir la soirée.

PS: Cette programmation somme toute réussie présentait toutefois un important bémol, à savoir que tous les films avaient été tournés en anglais. Si on caresse l’ambition de créer un cinéma de genre québécois digne de ce nom, cela passera aussi forcément par des films tournés dans notre langue. Autrement cela restera, dans le meilleur des cas, de la « culture américaine, mieux que les Américains » (dixit feu-Pierre Falardeau).

* L’appellation « cinéma de genre » est par essence plutôt floue. Nous l’entendons ici dans le sens courant, à savoir ce qui se rapporte à l’horreur, au fantastique et à la science-fiction.

** En matière de « cinéma de genre » il faut toutefois souligner la récente vague du torture porn français, symbolisée par des films comme Haute tension (2003) ou Martyrs (2008), films qui, en revanche, ne s’inscrivent pas vraiment dans le fantastique à proprement parler.

https://www.youtube.com/watch?v=HxyH-adavb8