FNC – Gimme Danger, de Jim Jarmusch

thumb_5744_film_film_big_1-h_2016La présente édition du FNC s’achève, et on peut d’ores et déjà parler d’une sélection de films qui se démarquaient par leur caractère politisé. Mais elle a aussi su faire la part belle aux personnages hors normes et sans concession. C’est ce qu’on a pu voir avec Gérard Depardieu dans The End, et c’est ce qui ressort également de Gimme Danger, documentaire musical signé Jim Jarmusch, centré sur la figure d’Iggy Pop, chanteur du défunt groupe The Stooges. Le film a par ailleurs reçu les honneurs d’une projection lors du dernier festival de Cannes.

Épousant essentiellement la forme d’un documentaire classique alternant images d’archive et entrevues, la mise en scène se permet ici et là quelques fantaisies rappelant le caractère psychédélique de l’époque qu’elle cherche à cerner, soit les décennies soixante et soixante-dix: l’image tressaute lorsqu’Iggy Pop raconte ses expériences hallucinogènes, des bulles de bandes dessinées sont ajoutées aux photos d’archive… Il en ressort que Gimme Danger reste accessible, divertissant et centré sur son propos (des qualités que les films de Jarmusch n’ont pas toujours), tout en demeurant cinématographiquement intéressant. La bande sonore compte juste assez d’extraits musicaux pour faire comprendre aux profanes (comme l’auteur de ces lignes) l’importance historique d’un groupe comme The Stooges sur l’évolution du rock et l’avènement du punk.

Ceci étant dit, l’intérêt du film dépasse largement ses qualités formelles et sa valeur instructive; il sonne aussi comme une charge violente envers la musique actuelle en nous reportant à une époque beaucoup plus intuitive, moins marquée par le politiquement correct et la marchandisation. Voir Iggy Pop se trémoussant sur scène, torse nu, comme un véritable possédé, tandis que ses musiciens derrière lui inventent une nouvelle esthétique musicale, nous fait brutalement prendre conscience du fait qu’aujourd’hui, les vedettes préfabriquées et bien proprettes des concours de chanson et la culture bling bling associée aux vedettes pop actuelles ont remplacé la rage et l’authenticité des icônes propres à une certaine période, lesquelles s’exprimaient par le bricolage constant et l’innovation. Jarmusch nous fait bien comprendre que la faute n’en revient pas à l’évolution du public, qui déjà pouvait se montrer très réfractaire, voire même hostile, lorsque placé devant quelque chose de trop déstabilisant (les Stooges ont d’ailleurs dû brièvement interrompre les activités du groupe après que de nombreux concerts se soient soldés par des violences du public à leur endroit). La faute en revient davantage au fait que la présente génération n’ose plus aller au devant des coups en bousculant les machines (trop) bien huilées des compagnies de production et des médias de masse. Une telle vision des choses pourra être taxée de nostalgique, voire de passéiste. Elle semble toutefois partagée par un grand nombre de personnes: en effet, la projection de Gimme Danger par le FNC a eu lieu presque en même temps que le premier week-end du « Desert Trip », concert monstre où plusieurs dizaines de milliers de personnes ont pu admirer des icônes du passé comme Bob Dylan, Paul McCartney, The Who et plusieurs autres. En dépit de l’engouement légitime provoqué par la réunion sur scène d’autant de génies, on peut se demander qu’est-ce qui est le plus triste, entre le fait que tous ces vénérables artistes sont de plus en plus nombreux à passer dans l’autre monde (Gimme Danger est d’ailleurs dédié à plusieurs membres décédés des Stooges), ou le fait que la relève semble à peu près inexistante. Toutes ces considérations jettent un éclairage révélateur sur la phrase que prononce Iggy Pop à la fin du film: « I just wanna be. » Je veux être. Être moi-même, par moi-même, sans me plier aux dictats de qui que ce soit, et encore moins ceux des financiers de l’industrie. Une telle posture implique de prendre des risques, et c’est peut-être bien là que réside la signification du titre Gimme Danger.

L’écrivain Emil Cioran (1911-1995) déclarait que tout livre doit être un danger. Cela vaut aussi pour les autres formes d’expression, comme la musique et le cinéma. Notre génération doit retrouver le goût du danger.

https://www.youtube.com/watch?v=6fgiW_S2Hgk