FNC – Antiporno, de Sono Sion

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Si on est un tant soit peu au courant de la situation vécue par la femme au Japon, et son asservissement insidieuse dans plusieurs sphères de la société, le film de Sono Sion prendra alors tout son sens. À cet égard, Antiporno a beau s’inscrire dans la relance du label « Roman Porno » de la Nikkatsu, il prend davantage la forme, entre les mains de Sion, d’un pamphlet idéologique qui fait un malheureux constat dénonciateur sur l’iniquité homme femme dans la culture nipponne contemporaine! Quelques faits: le premier ministre Shinzo Abe avait en 2014 demandé une modification à la fiscalité liée aux taxes, afin de favoriser le retour sur le marché du travail de celles qu’on appelle les « housewives« . En effet, pendant longtemps l’homme japonais, le typique « salaryman« , était considéré comme le seul pourvoyeur au foyer. Aussi, certains hommes et pères de famille aiment lorsque leurs contreparties féminines, femmes et filles(!), s’expriment avec cette petite voix aigüe haute-perchée. Certaines empruntent aussi volontairement ce ton de voix plus aigu, car ce serait plus kawaii (cute) et plus facile pour charmer le sexe opposé. Beaucoup de ces hommes consomment aussi de la J-Pop, ces chansons de groupes, souvent formés d’adolescentes par les maisons de disque (akb48 par exemple), et la plupart du temps vêtues en écolière. La culture du viol au Japon est un autre sujet tabou. Non pas que les femmes se fassent violer à chaque coin de rue (car le Japon est assurément le pays le plus sécuritaire au monde pour les femmes qui voyagent seules!), mais l’image de la femme fragile, violée, et qui finit par lâcher prise, est fortement imprégnée dans l’imaginaire collectif de l’homme japonais. On retrouve des récits de viol dans les mangas de type hentai, et même dans les jeux vidéo (Rapelay). On se doute bien que, si les pulsions masculines se retrouvent sublimées dans des récits aussi obscènes et indécents, poussant la moralité dans ses derniers retranchements – on pourrait aussi y inclure l’extrême violence que l’on retrouve dans beaucoup de récits, c’est qu’elles viennent contre balancer, pourrait-on croire, une société extrêmement hiérarchisée, réglée par les protocoles et l’étiquette. Or, cela n’explique toujours pas pourquoi la femme doit encore se battre pour assurer sa place.

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Antiporno se regarde comme une performance artistique sur le thème de la transgression au féminin. Kyoko est une artiste et romancière qui a de la difficulté à garder le contact avec sa réalité, tout comme le spectateur qui veut la suivre! Il n’y a donc pas de réel que ce qui nous est présenté à l’écran! Il faut d’abord comprendre que le cinéma japonais ne se réclame pas d’un cartésianisme narratif à l’occidentale, préférant laisser l’esthétique guider l’expérience émotionnelle, plutôt que l’histoire. C’est ainsi que, bien souvent, beaucoup de films japonais contemporains peuvent sembler incompréhensibles pour le néophyte européen ou américain. Antiporno s’inscrit dans cette mentalité. Sono Sion met en scène le libre arbitre au féminin, en remettant entre ses mains, à elle seule, le choix d’utiliser sa propre sexualité comme bon lui semble, de manière candide et sans compte à rendre à personne. La quête identitaire est un thème récurrent dans la cinématographique de Sion (Suicide Club, Love Exposure, TAG, Love & Peace), dépeignant des personnages atypiques qui cherchent à s’émanciper d’un cadre rigide, pour ensuite le maîtriser et mieux le transcender, comme Kyoko.

Le film de Sion est beau à regarder et titille les sens à travers une esthétique léchée et colorée, où l’expérience prend la forme d’une performance artistique filmée, au service non pas d’un récit purement linéaire et classique, mais d’abord au service d’une idée, empruntant ici à Lynch et son Mullholland Dr., là à Perfect Blue de Satoshi Kon pour l’expression d’une déroute psychologique palpable! Le « presque huis clos » du film, où le décor se module au gré des humeurs de Kyoko, exacerbe ce sentiment inconfortable et malaisant d’enfermement et même de profonde incertitude schizophrénique ressentie par la protagoniste, tantôt adolescente, tantôt femme, tour à tour vulnérable et invulnérable sous le regard masculin, voyeur. Ceci est clairement illustré lors d’un revirement inattendu. Une équipe de tournage exclusivement composée d’hommes, reste derrière la caméra à regarder les protagonistes féminins se donner la réplique, ou plutôt s’engueuler et s’invectiver, se dénudant et se rhabillant. Les rôles s’interchangent, basculant un rapport de force qui semblait bien établi. Dans la société japonaise, l’image de la femme forte qui cherche à se réapproprier son corps ne serait qu’une façade, un vecteur d’excitation qui devient lubrique sous le regard masculin. Une pure mise en scène pour donner bonne conscience à l’homme!

L’histoire est là, quelque part, on en obtient des bribes ici et là, mais sans jamais obtenir toutes les pièces du casse-tête, et tant mieux, car le film n’est pas là! Sion signe une autre oeuvre forte, entre la commande et la création personnelle, où la relance du label « Roman Porno » semble davantage un coup de marketing de la Nikkatsu (il y a plus de sexe dans les séries d’HBO), littéralement piraté ici par le génie de Sion! Les amateurs du cinéaste seront ravis et étonnés.

Antiporno sera présenté à nouveau vendredi le 14 octobre à 17h15, Cinéma du Parc 2.

https://www.youtube.com/watch?v=Jec2Diut0Yo