FNC – Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau, de Simon Lavoie et Mathieu Denis

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Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau, film-fleuve sur un groupuscule de militants qui tentent de continuer la lutte après la grève étudiante de 2012, aurait tout aussi bien pu s’intituler Ceci n’est pas un film politique, ceci est un film sur quatre désœuvrés qui n’ont pas grand chose à faire de leurs vies.

Le cinéma québécois a assez peu traité des grands moments de révolte de son histoire, si ce n’est sous la forme documentaire, et encore. On cherchera en vain dans notre filmographie nationale quoi que ce soit sur l’éveil nationaliste qui suivit la pendaison de Louis Riel (1885), sur la crise de la conscription en 1918 ou sur la grève d’Abestos (1949). Bien des évènements fondamentaux auraient mérité davantage d’attention de la part de nos cinéastes (en-dehors de l’infect bluette sentimentale qu’est Nouvelle-France (2004), la guerre de Sept ans qui a fait de nous une colonie anglaise a été ignorée également). Aussi était-on en droit d’espérer beaucoup d’un film comme Ceux qui font les révolutions…, surtout lorsqu’on a eu la chance (comme l’auteur de ses lignes l’a eue) de vivre le Printemps érable de l’intérieur. Hélas, on y reste sur sa faim.

Si les deux cinéastes, Mathieu Denis et Simon Lavoie, n’avaient pas déclaré en ouverture de séance au FNC que leur film se voulait un hommage aux grévistes de 2012, on pourrait toujours considérer ce film comme une extrapolation métaphorique à propos d’une certaine jeunesse désabusée, en conflit avec la génération parentale, qui souhaite jouer aux révolutionnaires mais qui n’a ni l’étoffe intellectuelle, ni l’assise populaire pour y prétendre. Au lieu de cela, on se retrouve devant ce qui se veut une sorte de portrait du jeune révolté québécois. Toutefois, les quatre protagonistes du film apparaissent rapidement comme vides, uniformes et antipathiques. Un ex-gréviste ayant participé à la fronde de 2012 peinera à reconnaître ces gens de tous âges, de toutes conditions sociales et de toutes origines qui ont convergé vers la rue pour reprendre la parole dont ils avaient été délestés, tout comme il ne reverra rien des discussions énergiques qui sont survenues quand des individus de différentes tendances idéologiques (des anarchistes, des communistes, des sociaux-démocrates, des nationaliste, des rien-du-toutistes…) ont uni leurs voix au sein d’un même mouvement social. En lieu et place, il verra quatre petit-bourgeois qui, malgré leur idéalisme et leur désir de changement qu’on devine ardents et sincères, semblent incapables d’articuler la moindre idée politique, et qui en raison de cela se réfugient tantôt dans le mutisme oisif, tantôt dans la violence sordide: lorsque le père d’une des « révoltées » la sermonne en lui rappelant son train de vie plus que confortable et l’exhorte, sur un ton désemparé, à lui dire qu’est-ce qu’elle voudrait de plus, la jeune femme, plutôt que de lancer un cri du cœur contre une société de plus en plus inhumaine et consumériste, préfère poignarder le pauvre bonhomme et s’enfuir du cossu nid familial. Lorsqu’une autre discute avec l’employée chinoise d’un salon de beauté et que cette dernière lui fait part de son incompréhension face au Québec et face à l’insatisfaction qui y règne, plutôt que de trouver une interlocutrice valable, cette employée verra ses questions rester sans réponse. Plus tard, les quatre vont jusqu’à incendier un restaurant, provoquant la mort de quatre personnes, puis à agresser la mère d’une des quatre pour lui dérober de l’argent. Vue l’image aussi négative que le film colporte à propos de ceux à qui il prétend rendre hommage, on en vient à se demander si Denis et Lavoie n’auraient pas confié l’écriture du scénario à un quelconque animateur de radio-poubelle de la vieille capitale. Le résultat n’en aurait pas été bien différent.

Il a été écrit dans l’introduction que Ceux qui font les révolutions… n’était pas un film politique. Aussi il n’est pas inapproprié d’ouvrir une parenthèse pour expliciter ce qu’est un film politique. Pris dans son sens large, il s’agirait d’un film qui rendrait compte des rapports de forces existant au sein d’une société donnée, avec pour but, si ce n’est de prendre position et d’offrir un programme militant, du moins de mettre en lumière un ou plusieurs enjeux politiques. Pris dans un sens plus restreint, le film politique dépeint, sous un angle souvent partial, un évènement ou un contexte historico-politique précis. Il existe un débat dans le milieu des études cinématographiques quant à savoir si un film véritablement politique doit adopter une forme classique ou non, s’il peut intégrer les codes du cinéma narratif hollywoodien ou s’il doit les rejeter. Les tenants de la première option invoquent l’importance pour une œuvre voulue politique d’être comprise par le plus grand nombre, ce qui implique d’insérer son propos dans un cadre qui ne sera pas trop déstabilisant, tandis que ceux de la seconde option vont dire qu’une œuvre authentiquement engagée ne peut faire le jeu du cinéma dominant, puisque ce dernier a été voulu et pensé par les élites économiques qui ont depuis toujours la mainmise sur Hollywood et son industrie. En vérité, on pourrait qualifier ce débat de stérile, puisque les deux films ne s’adressent de toute façon pas au même type de public. Pierre Falardeau et Costa-Gavras sont des cinéastes politiques, au même titre que Chris Marker et Peter Watkins. Quant au film qui nous intéresse aujourd’hui, il n’est pas politique puisqu’à aucun moment les enjeux qui ont pu pousser à la grève de 2012 ne sont évoqués. Ceux qui font les révolutions… n’offre pas une conception étoffée de notre monde et de ses enjeux. Devant la caméra de Denis et Lavoie, un lancer de cocktail Molotov devient geste purement esthétique, souligné à grand renfort de musique et de ralenti, il cesse d’être un acte militant orienté vers un objectif révolutionnaire, et les causes et les conséquences dont il est chargé disparaissent. Les deux réalisateurs tentent bien ce qu’ils peuvent pour créer des associations d’idées via le montage, mais elles s’avèrent peu convaincantes. Tantôt, c’est un parallèle qu’on dresse entre une procession religieuse et une manifestation étudiante, idée stimulante sur la plan conceptuel (la révolte devenant substitut de la religion en tant que ce qui peut unir les hommes entre eux, un peu comme chez Albert Camus) mais qui s’insère mal dans un film où les personnages apparaissent inéluctablement coupés du monde qui les entoure, n’interagissant avec lui que pour lui faire mal. Tantôt, Denis et Lavoie dopent leur film de citations anonymes (parmi lesquels on peut reconnaître Camus, Groulx et Aquin) qui, sorties de leur contexte, apparaissent généralement dénuées de sens profond.

Évidemment, il est possible d’offrir une autre lecture du film, qui n’essaierait pas de voir Ceux qui font les révolutions… comme un « hommage », pour employer de nouveau le terme de ses auteurs, mais bien comme un œuvre sur le désespoir d’un peuple. En cela, le film pourrait être vu comme la suite logique de Laurentie (2011), précédent opus du même duo, où le personnage principal, angoissé et complexé par son identité canadienne-française, finissait, dans un geste hautement métaphorique, par poignarder son voisin anglophone. Pris au premier degré, assassiner quelqu’un pour sauver sa culture est tout aussi absurde que de réduire un restaurant en cendres en croyant mettre à terre le capitalisme. Ce qui serait en jeu dans ces deux œuvres, ce serait donc l’incapacité d’individus en révolte (contre quoi?) à canaliser leur rage dans un projet social qui ait un sens plutôt que dans la violence gratuite. Ceux qui font les révolutions… trouverait ainsi une logique. Une logique d’un pessimisme complet, mais une logique néanmoins.