Pour les téléspectateurs québécois, la série Les Bougon, c’est aussi ça la vie! aura été de 2004 à 2006 une rafraichissante dose hebdomadaire de scandales, de grivoiseries et de blagues caustiques (voire cyniques, voire même désespérées à l’occasion). François Avard, le créateur de la série, y avait réussi le pari de rendre sympathique une famille d’assistés sociaux vivotant de fraudes et d’arnaques en tous genres, réussite qui tenait autant à la qualité de la distribution (dominée par Rémy Girard, monstre sacré des acteurs québécois) qu’au fait que les Bougon, tout malhonnêtes qu’ils soient, évoluaient dans un univers somme toute encore plus pourri qu’eux, véritable caricature d’une société québécoise rongée par la corruption, l’individualisme et l’appât du gain. De par leurs combines, ils nous vengeaient d’un monde froid et déprimant.
Or voilà qu’une décennie plus tard, François Avard et son co-auteur Jean-François Mercier reprennent la plume pour transporter les aventures de l’ignoble famille au septième art. Un retour chargé d’espoir, puisqu’entre-temps l’entonnoir de la liberté d’expression semble s’être considérablement rétréci : du refoulement de Dieudonné aux frontières à la poursuite intentée par Richard Martineau envers Ricochet, en passant par la condamnation de Mike Ward, il semble bien que notre société soit désormais livrée pieds et poings liés aux nouveaux curés de la bien-pensance que sont les tribunaux et les réseaux sociaux. Les opinions non-conformes à la doxa ambiante sont dangereuses pour ceux qui les émettent, fussent-elles humoristiques, car contrairement à ce que plusieurs ont claironné au lendemain du 7 janvier 2015, le Québec n’est pas Charlie. Le retour des Bougon sonne donc comme un acte de résistance.
Le décor étant planté, voici l’intrigue du film : Papa Bougon, fort d’un passage à la télé où il a remis à sa place un petit député opportuniste (ce qui est presque un pléonasme, par les temps qui courent), décide de lancer un parti politique avec sa famille. Canalisant le mécontentement du peuple à l’égard des riches et de l’élite, il parvient à devenir premier ministre. C’est alors qu’il réalise qu’il y a des gens au-dessus de lui qui n’ont pas l’intention de lui laisser les mains libres. Synopsis fort riche de possibilités, mais le film tient-il ses promesses? Oui et non. Votez Bougon est une charge à fond de train contre les médias et le système politique, les deux n’étant rien d’autre que les relais officiels des puissances d’argent qui agissent dans l’ombre. Il faut reconnaître aux auteurs le mérite de nommer ces cibles clairement, quitte à employer la grossièreté et la vulgarité pour être bien certains que le propos soit compris (là-dessus, il y a une indéniable parenté avec le cinéma de Pierre Falardeau, surtout la trilogie Elvis Gratton). En même temps, on retrouve, en filigrane, une critique assez pertinente d’un certain populisme qui réussit parfaitement à mettre le doigt sur les causes de l’insatisfaction populaire sans toutefois parvenir à articuler un programme politique cohérent. Et c’est bien là, en quelque sorte (et de façon un peu paradoxale), que le film s’essouffle, puisqu’il ne parvient pas à s’élever au-dessus de ce même populisme. Par conséquent, la fin déçoit, Paul Bougon préférant tout larguer pour retourner au logis familial, laissant le pouvoir à un successeur qui s’empresse de rentrer dans les rangs du néolibéralisme. Avard et ses co-scénaristes semblent avoir cédé à la forme du sitcom, où tout doit absolument rentrer dans l’ordre initial avant le générique de fin, et où la légèreté de l’humour doit primer sur le reste. Ironiquement, la série d’origine n’hésitait pourtant pas à bousculer ce genre de réflexe pantouflard.
En conclusion, que les choses soient dites : Votez Bougon est drôle (voire très drôle par moment), rythmé, riche d’un point de vue scénaristique, techniquement compétent et joué par des interprètes de conviction. Mais au moment de traverser la ligne qui sépare ce qui est simplement irrévérencieux de ce qui constituerait un véritable appel à la révolte, il s’arrête, hésite et fait marche arrière, la queue entre les jambes. Cela n’enlève pas les qualités précédemment énumérées, et le cinéphile n’a pas à bouder son plaisir pour autant. Cela veut simplement dire que le film a raté de peu la chance de passer à un niveau supérieur, en cessant d’être un cri du cœur pour redevenir simple divertissement.