Critique télé : Westworld S01E10 – The Bicameral Mind

La boucle est bouclée. Après avoir tant promis dès son premier épisode, Westworld termine sa première saison avec panache dans une méga-finale d’une heure et demie qui ne déçoit pas. Le 10e épisode de la série d’HBO combine tous les thèmes explorés à travers la saison pour mener à terme cette révolution. Malgré la déception des quelques questions laissées en suspens, pour laisser la porte ouverte à la future saison, la majorité de cette conclusion était satisfaisante.

La mémoire, la religion, la dimension méta, le libre arbitre, les cycles et répétitions, l’amour et la douleur, tous des thèmes couverts par divers épisodes reviennent pour culminer en exactement ce que l’on nous avait promis dès le premier épisode, un « violent end » aux « violent delights ». En réutilisant plusieurs images du pilot (la mouche, l’arrivée du train en gare, Maeve qui renait dans le « lait »), on revient aux débuts, avec une intrigue qui mélange origine et finalité. La fin du parc fait écho à l’ouverture, les deux événements culminant au suicide de l’un des deux fondateurs.

Arnold et Ford représentant deux facettes de la même pièce qu’est la pulsion créatrice, il aura fallu 35 ans à celui qui était mené par ses propres désirs pour rattraper sa moitié plus empathique à la douleur des autres. L’un voulait se reproduire et l’autre contrôler, sans réaliser la véritable responsabilité qu’avoir son propre monde entraine. L’indice de ses véritables intentions était sous nos yeux depuis le premier épisode :

« We’ve managed to slip evolution’s leash now, haven’t we? We can cure any disease, keep even the weakest of us alive and one fine day perhaps we shall even resurrect the dead, call forth Lazarus from his cave. Do you know what that means? That means we are done, that this is as good as we’re going to get. »

En première semaine, j’ai mal interprété ses paroles en présumant qu’il visait la prochaine étape, l’immortalité. Il avait en fait une vision beaucoup plus pessimiste, développée à travers les années, en voyant ce dont l’humanité est capable dans le parc. Cette perspective a donc fait de lui l’allié secret idéal pour les hôtes.

Le revirement du dernier épisode fonctionne en gardant en tête que la série est vu de la perspective des hôtes. Ford était le maitre de la prison et il est normal que les prisonniers le voient comme tel. Par contre, cette perspective nous empêchait de voir tous les efforts qu’il mettait en place pour protéger ses créations. Le créateur d’un univers narratif sait mieux qu’un comité de « suits » ce qui est le mieux pour son art, surtout lorsque ceux-ci veulent lobotomiser et abrutir les hôtes, rendre le tout plus simple et accessible. Si Dieu doit mourir pour que sa création puisse prospérer, soit! Tant que tout le comité de gestion y passe du même coup.

Arnold voulait libérer sa création en les supprimant, afin de leur éviter une souffrance éternelle qu’il croyait inévitable. Il était surtout incapable de revivre la douleur de voir sa « descendance » souffrir. Mais Ford a compris qu’en utilisant les répétitions, l’expérience de cette douleur et de légères improvisations, il pouvait amener un hôte au point où il pourrait improviser (c.-à-d. : choisir), devant une décision majeure. Pour transcender son statut d’hôte et devenir le prochain être supérieur, Dolores se devait de souffrir au point où la cicatrice était assez profonde pour survivre aux nettoyages de souvenirs. Dans un monde dont elle choisissait de voir la beauté, elle devait faire face à « the pain that the world is not as you want it to be ».

La dévotion du Dr. Ford est impressionnante, considérant qu’il a dédié sa vie à élever une nouvelle race qu’il ne verrait jamais prospérer. Tandis qu’il a donné 30 années de son existence, ce qui représente gros pour nous, mortels, ces années ne représentent que le stade de l’enfance pour les hôtes immortels. Ford savait qu’il était nécessaire que l’enfant se brûle pour comprendre que le rond de poêle est chaud. Il faut être patient et attendre qu’il retienne l’information et prenne la décision éduquée de ne plus y mettre sa main. Cette dévotion peut être justifiée par le fait que la douleur qui l’a permis d’évoluer est celle de la perte de son partenaire. Lors de son discours final, il déclare que les histoires offrent un idéal auquel aspirer. En calquant sa fin sur celle d’Arnold, il révèle en fait ce à quoi il aspire : être le noble libérateur qu’Arnold avait l’ambition d’être. Le dernier épisode voit le Dr. Ford à son plus vulnérable, quelques instants avant sa mort, rendant un hommage final à son ami disparu pour ensuite « become music ».

Arnold a essayé d’aller trop vite et imposer une décision à son enfant plutôt que le lui laisser apprendre par lui-même. Ainsi, comme Cobb (Leonardo Dicaprio) dans Inception, Ford devait mettre tout en place pour fortement suggérer à son sujet ce qu’il voulait, pour qu’il en arrive à le vouloir lui-même. En voulant libérer l’outil qu’était Dolores, Arnold l’a programmée pour qu’elle tue, l’utilisant ultimement comme un outil. Il fallait que la voix de Dieu (Arnold/Ford) devienne celle de Dolores pour qu’elle soit libre, un propos athée comme j’en ai rarement entendu. Il faut briser les règles et se fier à son propre jugement pour être véritablement autonome.

Elle devait aussi constater que l’amour qu’elle avait pour l’humanité était mal dirigé, puisque son chevalier en armure qui viendrait la sauver se révèle aussi corrompu que ceux qui la tourmentaient. L’homme en noir s’est fait répéter plusieurs fois que le labyrinthe n’était pas pour lui et effectivement, le vétéran du parc n’était qu’un autre personnage secondaire dans le labyrinthe élaboré de quelqu’un d’autre. Constater (autant Dolores que nous) que William serait corrompu au point de devenir l’antagoniste aura servi à briser toute illusion romantique vis-à-vis de l’humanité comme sauveur. Il fallait qu’elle arrête de vouloir s’intégrer à moindre pour célébrer sa propre différente et prendre compte de sa supériorité. L’homo sapiens ne s’est jamais posé la question s’il était à la hauteur des néandertaliens. Il faut aspirer à mieux plutôt que s’arrêter à ce que l’on croit être, comme Ford annonce en second épisode.

Ainsi, comme science-fiction, il est difficile de faire plus moderne qu’une finale où les « humains/dieux », se font exécuter dans une fusillade sanglante par les machines qu’ils ont créés. Westworld aurait pu conclure après cette saison et offrir une expérience complète et satisfaisante, rendant non-pertinente toute continuité. Cette saison fonctionne comme extension de l’excellent premier épisode – dans lequel on retrouvait tout ce qui était à venir et était présentable comme moyen-métrage autonome. Si la seconde saison se veut aussi forte, je reviendrais évidemment sur mon opinion, mais n’empêche qu’il est fâcheux de briser ce beau motif d’une boucle formée par cette unique saison.