Media Mix Summer Program 2014 – À la rencontre des créateurs

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Comme je le mentionnais dans le billet précédent, un des aspects les plus stimulants du Kadokawa Media Mix Summer Program est la possibilité de rencontrer certaines figures clefs de l’industrie du média mix ainsi que la possibilité de leur poser des questions directement reliées à nos intérêts de recherche. Il est généralement rare que des personnes de ce calibre aient le temps de s’entretenir avec des chercheurs et il est parfois coûteux de devoir se déplacer jusqu’au Japon ou de devoir engager un interprète pour les mener à terme. L’infrastructure de ce programme permettant de surmonter ces difficultés, j’aimerais consacrer ce deuxième billet aux conversations entre notre groupe et ces invités spéciaux. Je suis convaincu que certaines de ces conversations intéresseront une large variété de lecteurs.

Eric Khoo – Tatsumi, de manga à animation

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Tatsumi, bande annonce

Le premier événement du genre fut la rencontre avec le cinéaste singapourien Eric Khoo, juste après avoir assisté à la première japonaise de son film Tatsumi, un film d’animation biographique portant sur la vie du mangaka du même nom et mélangeant plusieurs de ses plus puissantes histoires afin de soutenir l’importance de son œuvre. C’est dans les bureaux  de Kadokawa à Chiyoda que nous avons pu participer à une période de questions où certains d’entre nous voulaient en savoir plus sur les défis posés par l’animation de ces récits et sur l’adaptation de la grammaire du cadre (manga) à la grammaire du temps (animation). Détestant le travail fastidieux associé à la création de l’animation, Khoo raconte que pour la création de Tatsumi, l’étape précédant celle de l’animation des récits fut de les filmer avec de vrais acteurs pour établir un modèle, ceci facilitant l’organisation des séquences. Sans savoir si cette pratique est utilisée plus fréquemment que l’on pourrait penser, il me semble que cette anecdote complique le récit parfois simpliste voulant qu’une transition médiatique soit nécessairement directe. Est-ce que cette technique d’utilisation d’un médium transitoire ¨caché¨ pourrait venir compliquer notre compréhension des phénomènes transmédatiques?

Comprendre la grammaire cinématographique du manga : un atelier de création avec Otsuka Eiji

Une autre rencontre majeure du programme fut celle avec Otsuka Eiji et ses assistants. Couvrant la portion manga du programme, Otsuka, dans un premier temps, nous a présenté les bases théoriques de la composition du manga moderne en relation avec la théorie du montage d’Eisenstein et les conventions d’écriture et de lecture de ce medium. Il nous a ensuite mis au défi de mettre nos connaissances en pratique en créant notre propre version d’une courte histoire de deux pages où deux protagonistes se quittent dans une gare de train. Le défi de la scène résidait dans le fait que nous devions exprimer les sentiments complexes des personnages, dont l’amour inavoué du personnage féminin, en utilisant des techniques de cadrage et de zoom plutôt que du dialogue. L’équipe d’Otsuka mène régulièrement cet atelier un peu partout à travers le monde (dont Montréal) et le célèbre mangaka semblait être curieux de voir ce que des chercheurs universitaires pouvaient produire. Je partage ici le piètre résultat de ma tentative:

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Dans un deuxième temps, nous avons eu droit à une séance de correction où les assistants nous ont montré comment améliorer notre technique de composition en fonction de la ¨grammaire japonaise du manga¨. Environ dix manga de notre groupe furent sélectionnés comme étude de cas. Ainsi, les assistants nous ont dit de centrer les cases en fonction de la position des yeux des personnages et de mettre plus d’informations sur la page de droite que sur la page de gauche (des éléments théoriques provenant de l’assistant Asano Tatsuya et qu’Otsuka semblait approuver). Ces bribes d’information pourront certainement aider ceux de notre groupe qui étudient le manga. Recentrant l’activité autour du thème du média mix, certaines questions suivant cet atelier portaient aussi sur le changement de plateforme du manga vers le format numérique. Peu de réponses concrètes furent offertes relativement à ce phénomène, outre le fait que la relation entre la page de gauche et de droite devra être redéfinie. Il semble donc que cet aspect de l’univers du manga nécessite plus de recherche et de clarification.

La place de l’auteur: Mizuno Ryo et le média mix des Chroniques de la Guerre de Lodoss

En guise de conclusion de ce billet, j’aimerai brièvement mentionner une autre session d’envergure, notre session entrevue avec Mizuno Ryo. Cette entrevue se déroula largement autour du contexte de la genèse de l’œuvre la plus connue de l’auteur, les Chroniques de la Guerre de Lodoss (Lodosu tô senki). D’abord publié comme ¨replay¨ de session du jeu de rôle Dungeons and Dragons dans la revue Comptiq de Kadokawa puis transformé en romans, en œuvres d’animation et finalement en jeux vidéo, le monde de Lodoss nous a été présenté comme une œuvre autoriale, malgré l’important aspect collectif de la création de son monde à travers les sessions de jeu de rôle.

À mon avis, la partie la plus intéressante de cette entrevue fut lorsque Masano nous présenta son implication dans l’industrie du jeu vidéo, spécifiquement en ce qui concerne les adaptations vidéoludiques du monde de Lodoss. La transformation de cette franchise en œuvre média mix ne fut pas complètement prévue à l’avance, même si Mizuno jouait beaucoup à toutes sortes de jeux sur son Apple II à l’époque, mais c’est grâce à une connaissance d’un des producteurs de Comptiq travaillant dans un studio de jeu vidéo que le projet d’en faire un jeu PC fut suggéré. Fortement impliqué dans le développement de ce premier jeu sur PC 98 au niveau du scénario et surtout au niveau du système de combat, Mizuno déplore qu’il ne puisse se créditer pour pratiquement aucun des autres jeux de la série, n’étant lui même pratiquement pas impliqué dans leur création. Il fut même très surpris par l’existence du volet Dreamcast lorsque je lui présentai. Aux dires de l’auteur lui même, plus l’industrie du jeu se complexifie en raison de l’accumulation des couches technologiques, moins l’auteur original d’un média mix peut trouver sa place dans le processus de développement. Il s’agit probablement d’un phénomène qui touche davantage les œuvres du média mix que l’on ose parfois l’admettre.