Fantasia 2014 – Jellyfish Eyes, un conte pour tous post-Fukushima à la sauce kaiju

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L’artiste contemporain Takashi Murakami, d’abord réputé au Japon pour ses installations dans les musées et ses créations naïves et colorées inspirées de la culture otaku, propose un premier film qui pourtant s’annonçait pour être l’ovni cinématographique du festival. Or, il n’en est rien. Il s’agit plutôt d’un film pour enfant, doublé d’un commentaire social sur le climat de méfiance post-Fukushima qui règne encore au Japon aujourd’hui. Quelques mots d’abord sur le réalisateur. Il est l’instigateur d’un courant qu’il a baptisé superflat, qui consiste à créer des oeuvres figuratives sans l’illusion de la perspective, en gardant l’image 2D et surtout l’effet de plat. Cette forme est grandement inspirée à la fois de l’art nippon prémoderne et de la vague consumériste qui suivit la Seconde Guerre mondiale. Le mouvement otaku (mot qui peut se traduire pas toi, ou ta maison) se développe dans la foulée de cette guerre donnant naissance à une nouvelle génération de Japonais avide de produits culturels qui se consomment rapidement (comme les manga, et ses produits dérivés).

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Murakami, avec ses figures kawaii (cute) inspirées de la culture otaku et de la culture populaire, contribua donc grandement à l’éclosion de ce que l’on appelle le Cool Japan, qui est même devenu un courant récupéré à des fins politiques pour revaloriser l’identité japonaise chez les habitants de l’archipel. Une identité émiettée par la défaite cuisante contre les Américains… et les deux bombes atomiques.

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Les propos clairement énoncés par les personnages dans le film au sujet du nucléaire et de ses dangers, et surtout les commentaires à propos d’un gouvernement corrompu, même dans l’univers du film, constituent des échos bien actuels qui représentent encore l’état d’esprit dans lequel se trouvent les Japonais dans l’ère post-Fukushima. Dans ce sens, il perdure encore aujourd’hui une grande méfiance généralisée à l’endroit des représentants de l’État et du gouvernement. Cette méfiance s’exprime bien dans le récit Jellyfish Eyes de différentes manières. Malgré les défauts souvent agaçants d’un premier film, le spectateur averti saura percevoir les commentaires sociopolitiques qui s’y trouvent.

Le jeune Masashi déménage avec sa mère dans un petit village suite à la mort de son père, décédé lors du tsunami de 2011. Le père travaillait au réacteur nucléaire de Fukushima. Le jeune Masashi fait souvent des rêves troubles, dans lesquels on voit son père souriant tout en nous saluant, alors qu’une gigantesque vague de couleurs se forme derrière lui. La direction d’acteur fait grandement défaut, et provoque quelques ruptures de ton étranges, alors que le jeune comédien est visiblement laissé à lui-même. Mais les friends (on les nomme comme ça), de petites créatures qui accompagnent chaque enfant du village, et que ces derniers peuvent manipuler à l’aide d’un appareil qui fait penser soit à un téléphone intelligent ou à une console portable, viennent vite nous faire oublier les écueils de la mise en scène. On souhaiterait presque que Murakami ait décidé de réaliser son film entièrement en animation!

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Et de ces petites créatures il y en a, au point que l’on se demande si le budget n’y a pas été entièrement consacré, surtout lorsque l’on remarque des choix de direction artistique qui détonnent, comme une porte en papier d’aluminium dans un étrange laboratoire secret géré par quatre jeunes capuchonnés au discours cryptique. Ces derniers forcent l’oncle de Masashi (coincidemment un jeune scientifique!) à mettre au point une méthode pour transformer les énergies négatives en un immense kaiju (les intentions sont floues). Et évidemment, le jeune Masashi est la clé, sûrement dû à ses traumatismes liés à la perte de son père.

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La prémisse est éculée, et est aussi mince qu’une feuille de soie. Et on attend patiemment que la petite créature blanche et rose, le kawaii Kurage-bo, prenne le contrôle de l’écran avec ses mimiques à la Bruce Lee (remarquez ci-haut la ressemblance entre Kurage-bo – gauche – et une oeuvre antérieure du réalisateur – droite). La prémisse fait également penser à E.T., le jeune Musashi est élevé par une mère monoparentale, et reçoit la visite inattendue du mignon Kurage-bo. Les clins d’œil à Pokemon sont évidents, ainsi qu’à la culture du gaming, particulièrement lors d’une scène dans une arène qui met en scène un combat entre trois friends, dont l’adversaire à battre présente des courbes féminines tirées de la culture moe.

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La scène finale avec un énorme monstre, manifestation ultime du traumatisme nippon, rappelle également les fameux films de kaiju (monstre). Or, le film souffre justement d’une surdose de genres et d’influences. L’éclectisme est probablement le reflet du parcours de l’artiste, habitué de marier les couleurs, les palettes et les formes diverses. Reste à espérer qu’il saura faire usage d’un peu de retenue pour la suite Jellyfish Eyes 2, dont la bande-annonce fut montrée à la toute fin du générique.