Critique – Us, de Jordan Peele

Pour son premier film, Get Out, sorti en 2017, Jordan Peele bénéficiait d’un contexte doublement favorable : d’une part, le genre horrifique bénéficiait (finalement) d’une véritable reconnaissance de la part des critiques de films et de l’intelligentsia artistique, notamment en raison de la sortie de films acclamés comme The Witch ou It Follows, qui ont contribué à lancer l’expression « elevated genre ». D’autre part, la controverse « Oscars so white » en 2016 et l’élection à la présidence américaine du controversé Donald Trump à la fin de cette même année avaient contribué au regain de certaines tensions raciales aux États-Unis. Avec un film d’horreur qui abordait de front la question afro-américaine et la figure du Blanc exploiteur, Jordan Peele était pour ainsi dire en phase avec son époque, et ce, peu importe ce qu’on pense du film en lui-même (que l’auteur de ses lignes a trouvé prévisible et ennuyeux). Cela lui a valu l’Oscar du meilleur scénario original, en 2018.

Pour Us, son second film, Peele avance forcément en terrain miné, car les attentes à son égard sont élevées. Dès le début du film, et l’impression se confirmera au fur et à mesure que l’intrigue se développera, on y sent l’obsession du réalisateur pour une autre Amérique, qui vivrait cachée « sous terre » (ici à la fois métaphoriquement et littéralement), loin des clichés de l’American Way of Life dont elle est exclue, et qui fomenterait une revanche, un thème qui rappelle grandement le cinéma d’horreur américain des années soixante-dix. Us est donc un film qui a de la vision. Hélas, entre avoir une vision et la concrétiser, il y a une marge, que la mise en scène doit combler. Us est ce que François Truffaut appelait un « grand film malade », à savoir qu’on y trouve de l’ambition et une véritable touche d’auteur, mais sans pour autant que le film soit réussi. On pourrait énumérer moult raisons à cela : rythme déficient, touches d’humour totalement hors de propos, symbolisme à la fois pesant et obscur, incohérences scénaristiques (notamment un plot-twist final à la limite du ridicule), etc.

Il serait malgré tout injuste de ne pas relever certaines qualités qui demeurent indéniables : une bonne trame sonore, certaines scènes qui sont franchement angoissantes, et surtout, l’hallucinante performance de Lupita Nyong’o, qui confirme ici son immense talent d’actrice. Cela s’avère toutefois insuffisant pour éviter le naufrage du film, qui au final promet beaucoup mais remplit peu.