Critique – The Beach Bum, de Harmony Korine

En l’an de grâce 2012, un OVNI traverse la planète Hollywood : Spring Breakers, d’Harmony Korine. Ce dernier, principalement connu pour avoir travaillé sur Kids, le classique de Larry Clark, signait alors son cinquième long-métrage comme réalisateur. Narrant les mésaventures violentes de quatre adolescentes fêtardes dans une atmosphère sulfureuse et amorale, et bardé de jeunes vedettes plus habituées aux films « pour toute la famille » (notamment Selena Gomez et Vanessa Hudgens), Spring Breakers avait déclenché des réactions pour le moins contrastées chez ceux qui l’avaient vu. Mais ce qui frappait en premier lieu à la vision de ce film, c’était l’ambiguïté de son message (à supposer qu’il y en ait un) par rapport à la jeunesse et à la société américaine contemporaine. Sept ans plus tard, The Beach Bum, nouveau film de Korine, pourrait peut-être lever certaines ambiguïtés.

Moondog est un poète à succès, qui n’a rien publié depuis un moment et qui mène une vie bohême faite de sexe, de drogues et de Pabst Blue Ribbon. Lorsque sa richissime épouse décède dans un accident de voiture après une fête particulièrement arrosée, Moondog découvre que le testament de cette dernière spécifie qu’il doit absolument terminer l’écriture de son dernier recueil s’il veut toucher son héritage. Fort de ce synopsis qui, n’eut été de sa crudité, aurait très bien pu faire l’objet d’une comédie de série B avec Tom Hanks ou Adam Sandler, Harmony Korine concocte un film qui reprend certains des ingrédients testés dans Spring Breakers : une esthétique colorée (servie par le directeur photo Benoît Debie, un des meilleurs de sa génération) tranchant avec le « trash » des situations, et un casting rempli de têtes connues utilisées à contre-emploi: Matthew McConaughey, Zac Efron, Jonah Hill, Martin Lawrence (qu’on n’avait pas vu depuis un moment), Snoop Dogg (qui n’a pas forcément l’air au courant de jouer dans un film)… Là où les deux films s’écartent l’un de l’autre, c’est que Spring Breakers pouvaient passer pour un commentaire cynique sur la perte de repaires de la jeunesse américaine, sa fascination pour la violence et le « bling-bling » et son incapacité à se projeter dans un quelconque avenir : en effet, les personnages étaient à ce point vides, réduits à des enveloppes charnelles désirables mais insignifiantes, qu’un effet de distanciation pouvait se créer, distanciation renforcée par l’emploi d’un montage cyclique, où plusieurs séquences se répétaient continuellement. Or, dans The Beach Bum, on sent que Korine a de l’affection pour Moondog, personnage rétif à toute forme de responsabilité. Certaines scènes nous font comprendre qu’en sa jeunesse il a bousculé les conventions reliées à la discipline poétique, notamment lorsqu’il aperçoit par hasard une projection d’un de ses vieux récitals devant un public décontenancé. Or Moondog est plongé dans une époque où plus rien ne décontenance personne, y compris la mort : c’est à peine si le décès violent de la femme qu’il aime le fait réagir, et c’est à peine si ses propres comportements criminels le mettent dans l’embarras. Il est le dernier hippie, celui qui ne comprend pas sa propre vanité. Il est le miroir d’une certaine Amérique qui s’enorgueillit de ses succès passés entre deux bouffées de dope.

Devant l’hédonisme poussé à l’extrême, devant la fuite en avant éternelle et toutes les formes de débauche qui l’accompagnent, Harmony Korine nous ménage quelques scènes bien drôles (il faut tout de même l’admettre) mais laisse de moins en moins de place à l’interprétation. Provocation pure et simple, ou jeu du chat et de la souris? Ou alors est-ce simplement le spectateur qui pense (encore) trop?