Paul Schrader. L’homme est un monument de la scénarisation, ses collaborations avec Martin Scorsese sur Taxi Driver, Raging Bull et The Last Temptation of Christ ayant largement suffis à imprimer de façon indélébile son empreinte sur l’histoire du cinéma américain. Et pourtant, l’homme qui était présent le 12 octobre dernier au cinéma Impérial ne paie pas de mine: sa voix enrouée de septuagénaire est un mince filet qui peine à porter, et son élocution embrouillée n’améliore rien.
Paul Schrader n’aurait jamais dû faire de cinéma. Élevé dans une famille calviniste du Michigan, les visites des salles obscures lui étaient strictement interdites, tant et si bien qu’il ne verra ses premiers films qu’à l’âge adulte. Mais quelle rencontre! Bresson, Ozu, Dreyer deviendront vite ses cinéastes fétiches, il écrira même des livres sur leur œuvre, qu’il qualifie lui-même de « cinéma spirituel » (« spiritual cinema »). Qu’est-ce que le « cinéma spirituel »? C’est un cinéma de la méditation, qui force le spectateur à être actif pour en dégager un sens. L’œuvre de Schrader est tournée toute entière vers les tourments intérieurs des personnages, et c’est ce tourment que le spectateur est amené à décoder. D’ailleurs, à l’époque où Schrader enseignait la scénarisation à l’université, il demandait à ses étudiants de partir de leurs problèmes personnels pour créer des métaphores qui serviraient de base à leurs scénarios, ceux-ci faisant office de véritables thérapies de groupes. Et le problème qui inspire le plus Schrader lui-même est celui de la solitude, solitude qui pousse un être humain à vouloir disparaître. On comprend pourquoi sa collaboration avec Scorsese sur Taxi Driver a résulté en un des plus grands chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma: l’alliance entre la profondeur existentialiste du scénario de Schrader (il confie d’ailleurs avoir relu La Nausée de Sartre juste avant de l’écrire) et les extraordinaires audaces visuelles de Scorsese ne pouvaient que produire des flammèches.
Mais Schrader n’est pas seulement scénariste, il a également réalisé pas moins de vingt-et-un films. Celui sur lequel la discussion a le plus porté est Mishima, sur la vie et la mort particulièrement violente et symbolique de l’écrivain japonais Yukio Mishima. C’est un film important pour Schrader, parce qu’il arrive tout de suite après ce qu’il appelle son « éducation visuelle »: à savoir qu’il s’agit du premier film où Schrader travaille autant le fond que la forme, lui qui a davantage tendance à penser le cinéma en termes d’idées qu’en termes d’images. Le pari y est audacieux: mélanger éléments biographiques et éléments tirés de l’œuvre dramaturgique de Mishima (Schrader assumant entièrement le côté « théâtral » de la mise en scène) pour en arriver à un film qui dépeigne à la fois la vie et l’imagination de l’écrivain. Mishima était d’ailleurs projeté cette année pendant le FNC, comme plusieurs autres films de Schrader, et c’est une œuvre absolument splendide.
La fin de la discussion a porté sur l’avenir du cinéma en tant que médium. Aux yeux de Schrader, les nouvelles technologies qui ont apparu au cours des dernières années ont eu l’avantage de permettre des tournages plus légers et de faire en sorte que davantage de gens que par le passé puissent faire des films. Mais cette évolution amène aussi des inconvénients de taille: si beaucoup de gens peuvent filmer, très peu peuvent être payés pour le faire: le cinéma est moins coûteux, certes, mais il rapporte moins. Cette évolution a également pour corollaire néfaste que le cinéma est moins pris au sérieux qu’avant en tant qu’art, et par conséquent les bons films peinent à rejoindre le public. Le constat est à la fois doux et amer, mais on peut affirmer sans crainte que cela n’empêchera pas Paul Schrader de poursuivre son œuvre.
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