Fantasia 2016 – Shelley

Shelley

Dans son autobiographie, parue en 1984, le très grand cinéaste Roman Polanski (auquel l’auteur de ses lignes a, soit dit en passant, consacré son mémoire de maîtrise) déclarait que le secret d’un film d’épouvante réussi résidait dans la capacité, pour le réalisateur, à tromper le spectateur en lui faisant attendre l’apparition de l’horreur, en l’amenant au bord de l’assoupissement, pour ensuite le réveiller brutalement et ne plus le lâcher ensuite. Il semble que la « méthode Polanski » (mise au point avec Repulsion en 1965) ait fait des émules, parmi lesquels on pourrait ranger Ali Abbasi et son premier long-métrage, Shelley.

Elena, mère monoparentale roumaine, est engagée comme femme de ménage par un couple de Danois. Les trois s’installent dans une maisonnette isolée au fond des bois, près d’une rivière. Louise, la femme du couple, est stérile, et fait une proposition inusitée à Elena: leur servir de mère porteuse en échange d’argent. Elena accepte, mais rapidement la grossesse la fait dépérir. Quelque chose d’anormal se trame.

L’influence de Roman Polanski a été rappelée plus haut (d’ailleurs, le canevas de Shelley rappelle par beaucoup celui de Rosemary’s Baby (1968)), mais ce n’est pas le seul cinéaste auquel on ne peut s’empêcher de songer. Il y a également du Refn (pour la violence animale des dernières scènes), du Bergman (pour l’intimisme et l’attention toute particulière envers une certaine souffrance liée à la féminité) et du Cronenberg (pour la fascination morbide envers la déliquescence du corps humain, ses blessures et ses fluides) dans l’héritage cinématographique qui hante Shelley. On pense également au Mario Bava de la Baie sanglante (1971) pour les superbes establishing shots de la nature entourant la maisonnette. Là où Abbasi parvient véritablement à se démarquer de ces illustres prédécesseurs, c’est dans l’extrême sobriété qui anime son film du début à la fin, la mise en scène continuant à faire preuve de retenue même après que l’horreur (et, éventuellement, la mort) se soit invitée dans le récit. Shelley est un film que l’on traverse en ayant perpétuellement l’impression qu’on nous en cache les clés de lecture, comme si les protagonistes étaient conscients du fait qu’ils étaient épiés et s’évertuaient à refuser de livrer la moindre explication. L’objet que l’on a devant soi est un concentré de fantastique pur, où toutes les portes restent ouvertes sans que le récit ne choisisse laquelle pénétrer: Elena est-elle possédée? Le bébé qui croît dans son ventre est-il un monstre? Dans quelle mesure le couple est-il vraiment conscient de ce qui se trame? Le scénario, diabolique, se garde de trancher.

Intriguant tout en évitant les effets faciles, haletant mais sans ostentation, Shelley ne plaira sans doute pas à tous les publics, mais fait preuve d’une maîtrise étonnante, surtout venant d’un cinéaste débutant. À voir!