Fantasia 2015: Love & Peace, de Sono Sion – critique


Il nous a donné entre autres l’épineux Suicide Club (2001), le scabreux Strange Circus (2005), le malaisant Cold Fish (2010) et le jouissif Love Exposure (2008), Sono Sion nous présente cette année trois films réalisés en une année (!): Tag, Shinjuku Swan présenté ce soir et le délirant Love & Peace. Enfin un film de Sion qui peut se regarder en famille! L’un de nos réalisateurs contemporains chouchous de l’archipel nous offre un délire burtonesque sans égale dans lequel Ryoichi, un employé de bureau, chanteur déchu, introverti et souffre-douleur, se prend d’une amitié démesurée pour une petite tortue qu’il nomme Pikadon (une référence volontaire du réalisateur à la bombe atomique. Pika veut dire lumière brillante et Don signifie « boum! »). Cette amitié qui prend littéralement des proportions kaiju-esque ravive la flamme perdue de Kyoichi pour la musique et réanime son rêve de chanter au Stade de Tokyo. La visualisation de Kyoichi à l’aide d’une maquette aux couleurs marquées pour l’aider à réaliser son rêve avec Pikadon – filmé à l’aide d’une lentille macro, est un petit délice de pure folie sans nom. Or, à partir du moment où Pikadon est abandonné par Ryoichi, qui plie sous la pression de ses collègues de bureau, le film commence à souffrir d’une certaine schizophrénie qu’on ne peut ignorer. Malgré le plaisir évident que l’on ressent à suivre Pikadon dans les égouts et sa relation avec un sans-abri qui a le pouvoir de donner la parole aux animaux et donner vie aux objets, je n’ai pu m’empêcher de penser que je regardais deux films qui essayait de se rejoindre (de là peut-être ce sentiment de bipersonnalité). Ryoichi ne connaît pas la vie secrète de Pikadon, qui grossit à vue d’oeil, et les intentions du sans-abri sont plutôt floues. Bien entouré dans son royaume enchanté, ce Geppetto des égouts est cependant fort sympathique et attachant. On se prend d’affection pour ces personnages fantaisistes qui nous rappellent certains protagonistes de Toy Story. Or, la trame du sans-abri et celle de Kyoichi ne se rencontrent jamais (directement du moins). Sion ne recule toutefois devant rien et n’hésite pas à mélanger les genres, de la comédie au drame, en passant par la fantaisie pour enfant et le style tokusatsu (films à effets spéciaux). S’il y a une ligne directrice claire, elle se trouve dans la relation entre Pikadon et Ryoichi qui se retrouve de temps en temps durant le film, la tortue aidant notre chanteur à composer ses chansons (oui!). La démesure, et ses conséquences, semble être l’un des thèmes abordés. L’une des premières scènes du film montre un reportage à la télé sur la bombe atomique. Il y a une analogie intéressante à faire entre l’isolationnisme dont souffre Ryoichi, également isolé à son travail, puis l’évolution de son personnage de timide à arrogant et mégalomane. Pikadon représenterait-il finalement la bombe atomique personnelle de Ryoichi, en quelque sorte? La mélodie de la chanson Love & Peace, composée par Ryoichi, est un ver d’oreille assuré. Un ovni dans l’oeuvre de Sion, à voir.