Fantasia 2020: Classe de maître avec John Carpenter

Après les décès successifs de Wes Craven, de George A. Romero et de Tobe Hooper, il est l’un des derniers masters of horror américains encore vivant. En ces temps de pandémie, on le découvre bien callé dans son fauteuil, fixant la caméra de son regard de sphinx, un discret sourire sous sa moustache blanche. L’homme qui a imprimé sa marque indélébile sur le genre horrifique, distribuant frissons et cauchemars à des générations de cinéphiles, n’inspire nulle inquiétude au premier regard. Pour tout dire, il nous évoque davantage grand-papa Bi que Michael Myers.

La discussion s’engage et rapidement, John Carpenter s’assume comme un homme de peu de mots. Les réponses sont courtes, et tant pis si les hordes de fans qui suivaient l’événement des quatre coins du globe (la classe de maître était retransmises en direct sur YouTube, COVID-19 oblige) restent sur leur faim. Il commence par nous dire qu’il aime Montréal, qu’il avait visité en 1998 pour présenter Vampires à Fantasia. Une ville incroyablement belle, selon ses dires. Il en profite également pour rendre hommage à Dario Argento, un autre génie du cinéma d’horreur, qui était présent la même année avec Le Syndrome de Stendhal. Comme de quoi, à Fantasia, on n’a jamais lésiné sur la qualité des invités. Ce n’était sans aucun doute qu’une question de temps avant que Carpenter n’ait droit au Cheval Noir pour sa brillante carrière.

C’en est déjà fini, ou peu s’en faut, pour les souvenirs: Carpenter n’est pas intéressé à délivrer des anecdotes, à ressasser le passé. C’est vers l’avenir que son regard se tourne. Pourtant, quand on le questionne sur ses futurs projets, il se fait immédiatement elliptique, et n’hésite pas à se contredire. Semble-t-il que certains (Hollywood? Jason Blum? Netflix?) l’ont approché pour de futurs films, mais on n’en saura pas vraiment plus. A-t-il envie de refaire du cinéma? Il se dit nostalgique de ce que l’industrie cinématographique a été, tout en proclamant qu’elle n’a pas vraiment changé. Il aimerait bien retravailler avec Kurt Russell, son acteur fétiche, mais pas question de faire des sequels de leurs anciens succès. Peut-être est-ce lui qui a changé? Il admet qu’écrire lui est plus douloureux qu’avant, lui qui a toujours fait confiance à son instinct. Revoir ses anciens films lui est douloureux aussi. The Thing est celui dont il est le plus fier, mais il refuse toutefois d’en désigner un qu’il aimerait moins que les autres. Par deux fois on lui demande quel conseil il donnerait à un jeune qui souhaite faire du cinéma. La première fois il répond que l’important, c’est de rester relax. La deuxième, de faire d’abord sa propre auto-évoluation avant de se lancer dans le cinéma, et de se lancer seulement si on croit en son propre talent.

Il y a chez Carpenter beaucoup de cette pudeur très « vieille Amérique », à laquelle les artistes contemporains nous ont déshabitués. On devine que, pour lui, il serait déplacé de trop intellectualiser sa démarche ou de se lancer dans de longues tirades sur la vie ou sur l’art. On se retrouve devant cette classe de maître un peu comme les critiques des Cahiers du cinéma lorsqu’ils ont rencontré John Ford à la fin des années cinquante: en face, on veut dégager l’image de la simplicité. Mais cette simplicité est trompeuse. Les films de John Carpenter ne sont pas simples, encore moins simplistes. The Thing, In the Mouth of Madness ou Prince of Darkness, pour ne nommer que la crème de la crème, sont de splendides allégories de la lutte du bien contre le mal, et de l’apocalypse qui s’en suit (dans l’un des rares commentaires qu’il s’autorise sur son œuvre, Carpenter parle du premier comme d’une « tragedy about the end of everything »). Big Trouble in Little China est l’un des mélanges de genres les mieux réussis de l’histoire du cinéma. They Live, sous ses airs de sci-fi paranoïaque, renferme un commentaire incroyablement pertinent et subversif sur la manipulation des masses et sur la manière dont opèrent les réseaux de pouvoir. Mais ça, c’est à d’autres de le dire. Carpenter jouera le jeu de la candeur jusqu’au bout.

Les paris sont ouverts quant à savoir si John Carpenter nous livrera de nouvelles perles cinématographiques dans le futur. Pour l’instant, ce qui le passionne réellement, c’est jouer de la musique avec son fils, regarder le basket à la télévision et jouer à des jeux vidéos. À 72 ans bien sonnés, il en a parfaitement le droit. Dans tous les cas, il fait déjà partie des légendes, et sa filmographie parle d’elle-même là-dessus.