Critique – 1917, de Sam Mendes

La Première guerre mondiale est un conflit qu’on a négligé de porter au grand écran, du moins si on compare avec la Seconde ou avec la guerre du Vietnam. Bien peu de films majeurs inspirés des combats de 1914-1918 viennent spontanément en tête, à part Paths and Glory (1957) de Kubrick, un film qui commence à dater. Et pourtant, si quelqu’un veut dépeindre l’absurdité des conflits armés, il trouvera difficilement meilleur exemple que cette épouvantable boucherie de peuples qu’a été la « Grande Guerre ». C’est peut-être justement parce qu’elle se prête moins à l’exaltation du patriotisme guerrier américain (les États-Unis ne s’y sont d’ailleurs impliqués que très tardivement) que les producteurs de films l’auront délaissée. Dans tous les cas, on devine que Sam Mendes a voulu combler un vide avec 1917.

Ce qui frappe de prime abord avec 1917, c’est bien entendu sa proposition esthétique. Le film en entier est bâti comme un seul long plan-séquence, et il faut avouer que le tour de force technique est impressionnant: un sens du détail marqué dans les décors, des éclairages splendides signés par un Roger Deakins au sommet de son art, un travail sonore oppressant à souhait… Par moments le film en devient onirique, à mi-chemin entre un cauchemar éveillé et un jeu vidéo grandeur nature. Et c’est d’ailleurs là que le bât blesse, en un sens. Parce que le jeu vidéo a ses caractéristiques propres, et le cinéma aussi. Même si les deux arts ont depuis longtemps une tendance à l’hybridation, celle-ci a ses limites. En calquant sa mise en sène sur celle d’un jeu de plate-formes, Mendes finit aussi par y calquer son scénario, et là les incohérences s’accumulent: alors que les deux personnages centraux du film sont sensés traverser un « no man’s land » pour apporter un message important à une autre compagnie, on finit par trouver ledit « no man’s land » un peu trop peuplé. Plus globalement, 1917 n’a pas le temps de développer ses personnages, qui demeurent assez fades, pas plus qu’il ne peut réellement élaborer un discours sur ce qu’a été la Première guerre mondiale, qu’il soit politique (à l’image de ce que faisait Full Metal Jacket pour la guerre du Vietnam) ou métaphysique (comme Apocalypse now pour le même conflit).

En bout de ligne, il faut prendre le film pour ce qu’il est: une plongée sensorielle à l’intérieur d’une situation de survie, un peu à la manière du Dunkirk de Christopher Nolan. Le travail des artisans du film mérite des tonnerres d’applaudissements. Néanmoins, ceux qui souhaiteraient y voir la guerre comme un véritable sujet de réflexion et non simplement comme toile de fond n’y trouveront pas leur compte.