Critique – Midsommar, d’Ari Aster

Après le grand succès d’estime remporté par son premier long-métrage Hereditary, Ari Aster était attendu avec beaucoup d’impatience par les amateurs de films d’horreur. D’une certaine manière, le sujet de Midsommar, son tout nouveau film, est très différent, suivant les péripéties d’un groupe d’étudiants américains en voyage en Suède, qui se retrouve à séjourner dans une sorte de commune vivant selon d’antiques rites païens. Cela n’est toutefois qu’apparences: on retrouve ici exactement le même brouillage de perceptions que dans Hereditary: brouillage entre réalité et cauchemar, lequel découle du mal-être intérieur des personnages principaux, dont l’univers mental s’effondre parce qu’ils n’arrivent pas à contrôler leurs émotions, à faire face à leurs problèmes. Les similitudes dans le travail de la caméra sont également frappantes: Aster ne se défait pas de son regard d’anthropologue, voire d’entomologue, qui observent ses sujets de haut. Si le film aligne un certain nombre de gros plans particulièrement sentis, on sent qu’Aster n’est jamais aussi à son aise que lors des plans d’ensemble en vue aérienne, ou lors des amples travellings latéraux, dans lesquels il peut explorer à fond ses décors et détailler les pérégrinations des êtres désorientés qui les arpentent.

Spontanément, le film auquel on associe le plus Midsommar est le classique de Robin Hardy, The Wicker Man, sorti en 1973. Mais encore une fois, il ne s’agit que d’apparences: certes, les similitudes de scénario sont assez évidentes. Certes, les deux films déconstruisent les codes du cinéma horrifique à un point tel qu’on peut légitimement se demander s’ils n’inventent pas leur propre genre, à part de tout le reste. Certes, les deux films possèdent le même rythme éthéré, marqué par l’attente et l’indécision, qui débouche sur une finale à la violence dantesque. Mais le cœur des deux films est différent. Chez Hardy, nous étions face à la confrontation de deux systèmes de valeurs, de deux univers mentaux complètement différents: celui des habitants de Summerisle, qui pratiquent un paganisme hédoniste et mystique, et celui du policier chargé d’y enquêter sur la disparition d’une fillette, un catholique pratiquant l’ascétisme et dont les croyances religieuses sont contrebalancées par le rationalisme. Chez Aster, les jeunes américains sont tellement désorientés, tellement fragiles émotionnellement qu’ils n’ont rien à opposer face aux païens, qui eux ont toujours le sens de la communauté. Les personnalités des jeunes américains sont en conséquence de cette perte de repères: la dépressive dépendante aux médicaments, son copain qui en est réduit à n’être qu’une épaule pour pleurer, l’intellectuel vaguement autiste, l’ado attardé qui ne pense qu’à s’envoyer en l’air avec des Suédoises… Avec un rapport de forces aussi inégal, il ne peut y avoir de véritable confrontation: il ne peut y avoir que destruction et absorption des restes.

Avec Midsommar, Ari Aster pose la deuxième pierre d’une œuvre extrêmement stimulante, au regard aiguisé. Le spectateur n’a certes pas la même implication émotionnelle que dans Hereditary, où la performance tout simplement hallucinante de Toni Collette provoquait une sympathie que les jeunes américains de Midsommar ne recevront pas. Le film n’en demeure pas moins maîtrisé de mains de maître, et extrêmement stimulant.