Critique: Wonder Woman, de Patty Jenkins

L’univers des superhéros, et plus spécifiquement les univers de Marvel et de DC Comics, forme la mythologie américaine par excellence. L’éternelle lutte du bien contre le mal, incarnée dans quelques individus d’exception (tantôt créatures fantastiques, tantôt self-made-man en marge de la société) qui portent sur leurs épaules le fardeau de protéger le genre humain, voilà qui résume sans doute bien une certaine philosophie qui s’est forgée au fil du temps au pays de l’Oncle Sam. Et quand on voit la lutte acharnée que les studios de Marvel et de DC se livrent quant à qui parviendra à tirer de son bestiaire respectif le plus grand nombre de blockbusters à succès (lutte que, jusqu’ici, Marvel mène assez clairement), et les montants faramineux qui s’accumulent dans les caisses des salles obscures un peu partout dans le monde, on se dit que cette philosophie a encore de beaux jours devant elle.

Le décor dans lequel se plante l’action de Wonder Woman diffère de ce qu’on voit habituellement dans les films de superhéros : plutôt que de se dérouler dans une mégapole anonyme et vaguement futuriste, l’intrigue débute sur une île peuplée d’Amazones, dont le personnage de Wonder Woman fait partie, lesquelles vivent isolées du monde extérieur jusqu’à ce qu’un pilote anglais poursuivi par des soldats allemands ne vienne échouer chez eux. S’ensuit un combat qui coûte la vie à quelques guerrières, dont la propre tante de Wonder Woman. Le spectateur apprend en même temps que les Amazones que nous sommes en pleine Première Guerre mondiale, et que le courageux pilote anglais cherche à aller avertir son gouvernement que Ludendorff, un général allemand ayant vraisemblablement perdu quelques neurones durant le conflit, est en train de mettre au point un gaz extrêmement puissant qui lui permettra de commettre des massacres à grande échelle et d’empêcher un armistice imminent. Touchée, Wonder Woman décide d’aider le pilote à stopper Ludendorff.

Mais quelles sont les motivations de l’héroïne? Elle cherche à protéger les humains et à arrêter les conflits, qu’elle croit être provoqués par Arès, le dieu de la guerre. Enfin, protéger les humains, mais pas les Allemands. Ceux-là elle en élimine au même rythme que Stallone tuait des Viêt-Cong, ou que John Wayne des Indiens. Le choix de la Première Guerre mondiale comme contexte n’est pas innocent : cette infâme boucherie est l’un des premiers exemples d’interventionnisme américain à grande échelle, où l’armée américaine arriva très tardivement pour procurer la victoire aux Alliés, rejetant la responsabilité du conflit sur une Allemagne qui n’était somme toute pas plus coupable que les autres. Ne nous y trompons pas, cette île de Themiscyra, où les belles Amazones prospèrent tranquillement sans se soucier le moins du monde de ce qui peut se passer ailleurs, c’est l’Amérique d’avant-guerre. Une nation qui se perçoit, malgré son isolement géographique, comme le gendarme de la planète, comme le superhéros qui arrivera toujours in extrémis à la rescousse des démunis. Il lui en faut pourtant beaucoup pour qu’elle lève le nez de son nombril. Il faut que la guerre vienne jusqu’à sa porte, les soldats allemands trucidant la tante de Wonder Woman n’étant que les échos métaphoriques des chasseurs zéro de Pearl Harbor, ou des djihadistes du 11 septembre. Néanmoins, une fois que l’adversaire est identifié, on ne lésinera pas sur la puissance de feu à employer. Se contenter d’assassiner le caricatural Ludendorff, le méchant qui prévoie des attaques au gaz (sont-ce les mêmes qu’on impute sans enquête à Bachar Al-Assad?), cela serait plus cohérent, mais pas assez hollywoodien. Auparavant, on libèrera un village belge, quitte au passage à en pulvériser l’église pour éliminer l’unique sniper qui s’y cachait. La Team America de Trey Parker et Matt Stone n’est pas bien loin.

Évidemment, à un certain point de l’intrigue, Wonder Woman doute du bien-fondé de ses actions. C’est devenu un lieu commun du film de superhéros, d’ailleurs : Spider-Man doute, Batman doute, Wolverine doute… Heureusement, ça ne dure jamais que quelques instants, le spectateur pourra finir son pop-corn en toute quiétude lorsque les combats reprendront.

Certains ont vu un sous-texte féministe à Wonder Woman. Outre le fait que les personnages féminins forts, rebelles et entêtés ne sont pas rares à trouver dans la culture populaire (la princesse Leia, Ripley dans Alien, Lara Croft, Buffy, etc.), on peut rétorquer à cela que le mal n’est jamais plus dangereux que lorsqu’il avance sous le masque de la vertu : de la même façon que l’impérialisme américain (que le film vante de manière détournée) cachera toujours sa vraie nature derrière de grands idéaux humanitaires, Wonder Woman tente de cacher le fait qu’il est une oeuvre mineure derrière un progressisme de façade. Sa caméra dynamique, son rythme soutenu, ses effets visuels d’une grande beauté et ses nombreuses touches d’humour bon-enfant peuvent bien endormir le cerveau du spectateur, tout comme le fait le joli minois de Gal Gadot, rien de tout cela ne pourra masquer totalement l’odeur de napalm et de propagande qui se dégage de l’entreprise. L’abondance de moyens a beau être là, le charme opère de moins en moins.