Critique – The Disaster Artist, de James Franco

So bad it’s good. Cette phrase résume probablement à elle seule le succès du film The Room (2003), de Tommy Wiseau, devenu au fil du temps une véritable œuvre-culte malgré qu’il soit unanimement considéré comme un des pires films de tous les temps. Elle en dit également très long sur notre époque, où le médiocre est célébré comme jamais auparavant, un phénomène qu’on doit probablement à l’émergence de la téléréalité, ainsi qu’à la généralisation d’une certaine philosophie postmoderne où au final tout se vaut. Certes, les nanars ont existé de tous temps, et de tous temps ils sont parvenus à remplir les salles obscures de spectateurs moqueurs. Ce qui change, c’est que maintenant l’industrie hollywoodienne elle-même se prête au jeu. D’où la naissance de The Disaster Artist, réalisé et interprété par James Franco, qui relate la genèse et le tournage de The Room.

 

Visuellement, The Disaster Artist est de très bonne facture et peut compter sur une solide brochette d’interprètes. Franco imite Wiseau avec brio et conviction, et le film parvient à ménager plusieurs éclats de rire. Le rire est néanmoins suivi d’un malaise. Pourquoi? Parce qu’au final il procède d’une forme d’acharnement, et qui plus est, d’un acharnement du fort sur le faible, alors que le frat pack hollywoodien (les frères Franco, Judd Apatow, Seth Rogen, J.J. Abrams & cie) se paie un film à gros budget pour ridiculiser (un peu plus) une production indépendante. Pour prendre un point de comparaison, le film Ed Wood (1995), de Tim Burton, était lui-aussi une sorte de biopic d’un artiste raté et passé à l’histoire comme tel. Sauf que chez Burton, on sentait un respect envers le personnage, envers sa détermination et sa passion, qui faisait que le film s’élevait au-dessus de la simple parodie pour devenir un hommage à l’acte de création cinématographique. Ici, le personnage de Wiseau est tellement caricatural et égocentrique qu’on se demande comment les autres font pour le suivre. À cela, on pourra rétorquer que le véritable Wiseau a lui-même assumé et mis de l’avant son statut de mauvais réalisateur pour s’acheter une célébrité, notamment en participant à de multiples évènements autour de son film, et qu’en quelque sorte il l’a bien cherché. Il n’empêche que le personnage aurait sans doute mérité un meilleur traitement, ne serait-ce qu’en raison des questionnements qui l’entourent: être mystérieux et énigmatique, Wiseau n’a jamais révélé son âge, ni son origine, ni d’où lui venait la somme (environ six millions de dollars) qui lui a permis de réaliser The Room. Le scénario effleure ces questions mais ne les exploite pas. D’un tel individu, véritable produit d’une autre époque (voire d’une autre dimension), on aurait souhaité un traitement plus nuancé. Pour enfoncer le clou, on n’a qu’à comparer la scène finale de The Disaster Artist avec celle d’Ed Wood: rien n’est plus éloquent quant au respect que les deux films respectifs vouent à leurs inspirateurs.

 

Sommes-nous rabat-joie ici? Peut-être. Sommes-nous hypocrite? Légèrement, car on a ri de bon cœur devant The Room (et devant The Disaster Artist, à certains moments). Reste que le cinéma, même commercial, n’est pas innocent, et qu’il faut être en mesure de se questionner devant lui. Et il faudra tôt ou tard se demander si la médiocrité, la moquerie et le voyeurisme ne commencent pas à prendre un peu trop de place dans nos divertissements.