Critique – Blade Runner 2049, de Denis Villeneuve

On le sait déjà, Denis Villeneuve est un plasticien minutieux et hors pair. Ses films démontrent un goût particulièrement prononcé pour la belle forme: chaque cadrage, chaque éclairage, chaque mouvement d’appareil y est composé avec soin. De par le passé, certains avaient émis des critiques parfois virulentes sur cette tendance de Villeneuve à sur-esthétiser son cinéma, recherchant une sorte de perfection formelle au détriment de la complexité des sujets traités, notamment André Habib dans la revue Hors champ lors de la sortie de Polytechnique (2009). En revanche, Hollywood semble fortement apprécier les talents de Villeneuve: Sicario (2015) et Arrival (2016) furent des succès tant critiques que publics. Depuis le nom du Québécois est associé aux projets les plus ambitieux: un nouveau Dune par ci, un prochain James Bond par là. Un succès qui force l’admiration.

 

Parlant de projets ambitieux, tenter une suite de Blade Runner (1982), l’un des plus grands classiques du cinéma de science-fiction, en était un à coup sûr. Loin de se contenter d’être un simple polar futuriste, le film de Ridley Scott ébauchait une réflexion extrêmement pertinente sur l’humain, la machine et l’intelligence artificielle, réflexion qui est toujours d’actualité. D’ailleurs, le futur décrit par Ridley Scott n’est pas si différent de notre monde contemporain, si on excepte le fait que les voitures y volent et que tout le monde y est coiffé comme David Bowie. Quoi qu’il en soit, la principale qualité de Blade Runner 2049, c’est qu’il pousse plus loin, jusqu’à la limite, la réflexion inaugurée dans le premier volet: qu’est-ce qu’un être humain? Si on implante des souvenirs à une machine, si on lui fait ressentir des émotions, si on découvre qu’elle peut se reproduire par elle-même, alors n’est-elle pas humaine? Dans le film, Ryan Gosling interprète un « replicant » (robot à apparence humaine employé pour des tâches extrêmes) lancé sur la piste du premier enfant né d’une « replicant » comme lui. Au fur et à mesure qu’il progresse, l’enquêteur se découvre des liens de plus en plus intime avec l’individu qu’il pourchasse. Denis Villeneuve frappe fort en faisant en sorte que, dans son film, les « replicants » apparaissent souvent beaucoup plus attachants, sensibles et fragiles que les humains.

 

Par contre, là où le bât blesse, c’est dans le trop grand formalisme que nous avons identifié plus haut comme à la fois marque de commerce et talon d’Achille de son réalisateur. Là où Ridley Scott dépeignait un univers en forme de capharnaüm vaguement glauque et profondément tangible, Villeneuve filme dans des décors certes sublimes, mais légèrement aseptisés, avec des effets visuels certes impressionnants, mais dépourvus du charme vieillot du premier opus. De surcroît, le formalisme ralentit la progression de l’intrigue, étirant inutilement chaque scène et chaque plan pour bien nous en faire apprécier la beauté plastique, de sorte que là où la version 82 était un film d’action progressant à toute allure, celle-ci s’allonge durant deux heures quarante.

 

La recherche constante du beau, du lisse, du propre, du parfait, cela peut toujours s’envisager comme une quête louable d’un point de vue individuel. Or le cinéma est fait pour être vu, et si possible par le plus grand nombre de personnes, et c’est pourquoi il se doit d’être vivant. Et la vie n’est pas une nature morte. Blade Runner 2049, malgré ses thématiques intéressantes, malgré sa mise en scène à grand déploiement, malgré son casting cinq étoiles  (avec mention toute spéciale pour Harrison Ford, dans une forme olympienne en dépit de ses soixante-quinze ans), nous semble moins vivant que l’original de Scott. Il n’en perd pas toute raison d’être (loin de là), mais l’élève n’a pas entièrement surpassé le maître.