Fantasia 2016 – Creature Designers: The Frankenstein Complex et le master class de Guillermo del Toro

FrankensteinComplex_CoverFantasia, c’est le rendez-vous annuel des cinéphiles atypiques, de ceux qui aiment, entre autres, le weird, le trash, tout ce qui amuse, choque, surprend et fait rêver. Entamant sa vingtième édition, le festival est réputé pour faire la part belle au cinéma de genre, au fantastique et à la science-fiction. En conséquence, quel meilleur choix pour un premier billet sur Fantasia 2016 que le documentaire Creature Designers: The Frankenstein Complex, ode vibrante aux effets spéciaux de cinéma et à ceux qui les créent? D’autant plus que la projection était suivie d’une master class du réalisateur mexicain Guillermo del Toro, l’un des grands chantres actuels du film de monstres, à qui on doit de très belles œuvres comme L’Échine du diable (2001) et Le Labyrinthe de Pan (2006).

Tout d’abord, le film. Creature Designers se présente comme un documentaire classique alternant entrevues, images d’archive et extraits de films. La (prestigieuse) brochette d’intervenants se constitue d’artisans des effets spéciaux (notamment Rick Baker, Phil Tippett et Greg Nicotero) et de cinéastes, parmi lesquels on retrouve del Toro lui-même. Sur un ton de confidence, ils parlent de leur fascination pour les monstres et les créatures en tout genre, témoignent de leur immense respect pour les pionniers des trucages (Lon Chaney, Jack Pierce, Ray Harryhausen…) et livrent plusieurs trucs et anecdotes. Devant une caméra attentive, ils dessinent, pétrissent l’argile, manient leurs marionnettes, enfilent des costumes, exhibent leurs maquettes. Le film en entier est une déclaration d’amour pour les effets spéciaux « à l’ancienne », qui nécessitaient une véritable maîtrise de la matière, ce qui constitue une bouffée d’air frais dans un monde contemporain où le virtuel ne cesse de prendre de plus en plus de place. Ici, les corps ont un poids, une texture, ils prennent vie dans l’espace, et c’est cette mise au monde, cette matérialisation d’un fantasme démiurgique, fantasme qui a tout à voir avec le monde de l’enfance, qui charme le cinéphile et lui fabrique des souvenirs. Mais si les intervenants font montre d’une certaine nostalgie pour l’âge d’or du maquillage et des effets mécaniques, ils ne dédaignent pas pour autant les effets de synthèse, envisagés non pas comme une décadence à combattre mais comme un complément à exploiter avec intelligence. Ce qui semble frustrer réellement, c’est davantage le dédain grandissant des producteurs (et du public) pour les créateurs d’effets spéciaux, lesquels sont de plus en plus considérés comme des exécutants plutôt que comme des artistes cherchant à innover et à affirmer leur style.

En somme, Creature Designers est un film plutôt sympathique, à qui on a peu de reproches à faire, hormis le fait qu’au bout d’un moment un peu tous les intervenants disent la même chose, défendent la même vision. La passion y est néanmoins communicative, et on en ressort en voulant vite aller (re)voir le Frankenstein version Karloff, les vieux Star Wars, The Howling, Starship Troopers

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Ensuite, la master class. Guillermo del Toro semblait en grande forme pour échanger avec la foule présente. D’entrée de jeu, le personnage a surpris tout le monde par son humilité, son sens de l’autodérision et son franc-parler, le nombre de F… words émaillant ses propos étant comparable à celui d’un épisode de South Park. Avec bonhomie et sans langue de bois, l’entretien a d’abord porté, naturellement, sur les monstres. Pour del Toro, les monstres sont partie du quotidien. Pour lui la nature a créé les meilleurs monstres, aussi il affirme s’inspirer des animaux lorsqu’il travaille à l’élaboration d’une créature. Quand on connaît sa filmographie, on se dit que la remarque est tout autant valable pour les éléments du scénario. L’Échine du diable et Le Labyrinthe de Pan, déjà cités plus haut, ont tous deux comme arrière-plan la Guerre civile espagnole. À quoi bon inventer des horreurs quand les livres d’Histoire en sont déjà remplis? S’il puise ses monstres dans le monde réel, del Toro y puise également ses situations, et c’est ce qui donne un puissant socle à son cinéma. D’ailleurs, lui-même insiste beaucoup sur le fait qu’un réalisateur est d’abord quelqu’un qui emmagasine des choses, des images, des informations, qu’il utilisera éventuellement dans ses prochaines œuvres. Un boulimique du réel, en quelque sorte, ce qui peut surprendre pour un réalisateur qu’on associe (un peu à tort, au fond) au merveilleux.

Toutefois, cette affection sans borne pour les monstres (et pour tout ce qui est sanglant, visqueux et gluant) n’est pas gratuit. Il reste au service de la création d’émotions. Là-dessus, del Toro fait écho aux propos qu’il tenait dans Creature Designers: il ne s’agit pas simplement de créer des êtres fantastiques qui soient le plus frappant possible, il s’agit de les faire évoluer dans un univers qui saura toucher le spectateur, le faire vibrer. Le cinéma de del Toro est profondément émotif, on se rappelle durablement du spectre apeuré de L’Échine du diable, de la mort de Leonor Varela dans Blade 2 (de loin le meilleur de la trilogie), de la torture d’un rebelle dans Le Labyrinthe de Pan. Par moment toutefois, l’émotion est mal dosée: en témoigne son dernier opus, Crimson Peak, qui est d’une mièvrerie sentimentale assez indigeste.

Que retenir d’autre de cette rencontre avec le maître? Qu’il est anarchiste (à ses yeux, toutes les institutions sont corrompues d’office), qu’il est non-croyant et non-fataliste (pour lui, l’homme est à la fois la cause et le remède de ses propres malheurs), et qu’il est un réel amoureux du septième art, prêt à débourser de sa poche ce que les producteurs lui refusent lorsque vient le temps de mettre ses rêves en images. En somme, on lui souhaite longue vie et bon courage!