Critique – The Neon Demon de Nicolas Winding Refn

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Lorsque la programmation de la dernière édition du Festival de Cannes a été dévoilée et que les cinéphiles ont appris la présence du film The Neon Demon de Nicolas Winding Refn en compétition officielle, la question était de savoir si le réalisateur danois allait de nouveau remporter les honneurs comme avec Drive, qui lui a valu le Prix de la mise en scène en 2011, ou s’il allait faire un bide comme avec Only God Forgives, (injustement) sifflé en 2013. Cette fois-ci, l’accueil sera en demi-teinte. Et c’est fort dommage, car The Neon Demon est un film extraordinaire.

L’intrigue suit Jesse, une adolescente qui débarque à Los Angeles dans l’espoir de devenir mannequin. Rapidement, sa très grande beauté lui permet d’enchaîner les contrats, mais elle excite aussi la jalousie chez certaines de ses consœurs.

Dès les premiers instants du film, on sent que Refn n’a rien perdu de son mordant, et que ce nouvel opus sera d’une splendeur visuelle qui ne détonnera pas avec le reste de sa filmographie. Immédiatement, on pense au cinéma de Dario Argento, pour ses cadrages aux accents maniéristes et sa photographie aux couleurs saturées. Il y a aussi du Argento dans les glissements électro de l’assourdissante bande sonore. Le développement de l’intrigue paraît d’ailleurs calqué sur celui de son chef-d’œuvre, Suspiria (1977): on y retrouve une jeune ingénue, portée par le désir de réussite, qui est catapultée dans un monde hostile où des individus louches, comme attirés par elle, commencent à lui tourner autour sans qu’on puisse identifier leurs motivations. Elle Fanning arpente cet angoissant dédale de glaces et de lumières, vénus adolescente captant tous les regards avec sa peau de lait et sa chevelure bouclée. D’abord timide, son comportement commence à changer lorsqu’elle fait allégeance au démon de néon, devenant plus agressif, plus affirmé, jusqu’à ce que sa pruderie naturelle reprenne le dessus et cause sa perte. Inévitablement, le film fait également penser au Blow-up d’Antonioni, au Black Swan d’Aronofsky et au cinéma de Sofia Coppola.

En revanche, Refn parvient à se défaire de ses influences pour imposer son thème de prédilection, qui est la sauvagerie. Ce qui lie entre eux des œuvres comme Bronson (2009), Valhalla Rising (2010) ou Only God Forgives (2013), ce sont ces individus en butte à une civilisation aveugle qui ne peuvent retrouver un sentiment de puissance qu’en faisant éclater leur violence intérieure, qu’en renouant avec une certaine agressivité purement animale. C’est cette violence qui traverse The Neon Demon, d’abord de manière latente, « psychologique », puis dans un crescendo allant presque jusqu’au gore. Refn met en place un univers en trompe-l’œil, avec une omniprésence des miroirs et des motifs sériels qui créent une sourde impression de menace (Où sommes-nous? Où finit cet espace qui semble se répéter à l’infini?). Un univers tapissé de visages de femmes d’une beauté troublante, mais néanmoins artificielle, comme si ces visages charmants étaient des masques qui, lorsqu’ils finiront par tomber, révèleront toute la laideur et la cruauté du monde. C’est cette violence qui fait que le spectateur est rapidement happé par l’histoire et en reste marqué une fois la projection finie, et ce, en dépit d’un dénouement qui traîne un peu en longueur.

The Neon Demon est donc le film des extrêmes, où le beau côtoie le monstrueux, où la fascination marche de pair avec la terreur. Refn n’a jamais été un cinéaste subtil, et ne semble pas destiné à le devenir. Son dernier film permet au cinéphile d’éprouver ce bonheur (devenu rare aujourd’hui) d’admirer un auteur qui radicalise sa démarche de plus en plus, créant un cinéma toujours plus personnel, toujours plus marquant, toujours plus vrai.