Critique : Midnight Special, de Jeff Nichols

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Rassurons-nous, les oeuvres originales avec des visions singulières existent toujours. À tout le moins, l’ère des rebootremake, sequel et prequel, n’a pas encore contaminé l’esprit de Jeff Nichols, le jeune réalisateur acclamé de Take Shelter (gagnant de plusieurs prix dont 2 à Cannes).  Avec Midnight Special (un titre qui fait directement référence à la culture du sud des États-Unis), Nichols nous propose un récit bizarrement lumineux qui a de l’âme, ce qui fait changement de beaucoup de films de genre récents. Il explore plusieurs thèmes, dont ceux de l’enfance et de la famille, à travers un récit simple, tout en foulant le territoire miné de la foi religieuse et de l’extrémisme sectaire. Ce n’est un secret pour personne, le sud des États-Unis est un terreau particulièrement fertile pour les born again christian et autres sectes de la droite chrétienne.

Le jeune Alton (Jaeden Lieberher), 8 ans, et son père Roy (Michael Shannon) s’enfuient d’une secte avec l’aide d’un ami, Lucas (Joel Edgerton). Déclaré kidnappé par le chef de la secte, l’enfant était adulé pour ses pouvoirs « surnaturels ». Le FBI s’intéresse au cas d’enlèvement, notamment parce que les sermons, inspirés par les prophéties dictées par l’enfant, contiennent des informations gouvernementales secrètes transmises seulement par satellite. Ici, Nichols nous concocte un étrange road movie, un croisement spielbergien entre Sugarland Express (1974) et Close Encounter of the Third Kind (1977). Par ailleurs, Midnight Special est comparé par certains critiques à ce dernier. Cependant, outre l’inspiration qui motive la fuite de nos protagonistes ainsi que quelques références visuelles, la comparaison avec CEOTK reste assez tenue. D’autant plus que Nichols semble démontrer, davantage que Spielberg en début de carrière, une plus grande maturité dans sa mise en scène. Son style est également beaucoup plus sobre et épuré, ce qui pourrait freiner certains spectateurs. Côté scénario par contre, Nichols n’a pas la réputation de tout expliquer à son spectateur (et tant mieux). Or, bien que cela soit une démarche artistique louable et tout à l’honneur du réalisateur, la quête de nos héros reste difficile à cerner, et à ressentir. Si l’on comprend bien l’enjeu principale du récit –  que le jeune Alton doit être amené à un endroit géographique précis, et cela pour une raison inconnue – il n’y a, ou il ne semble pas y avoir, de conséquences fâcheuses qui pourraient résulter de la non-atteinte de l’objectif. En cela, le sentiment d’être tenu à distance est presque inévitable. Néanmoins, si le film est dénué d’un certain suspens ou d’une quelconque forme de tension, Nichols arrive à susciter suffisamment de curiosité et de mystère pour nous garder en haleine jusqu’à la fin. On se demandera ainsi jusqu’où ira Roy, le père d’Alton, pour protéger son enfant, et cela, animé de la croyance inexplicable, de la foi inébranlable, que son fils est destiné à quelque chose de plus grand que lui. Curieusement, Midnight Special excelle le mieux là où la science-fiction se fait la plus discrète. Dans ce sens, le film de Nichols nous propose une belle réflexion sur le rôle de parent et ses implications, car arrive tôt ou tard le moment où l’enfant doit partir du nid. C’est précisément sur ce point que le film atteint sa cible, reléguant la science-fiction au second plan.