OTAKUTHON 2013 — Critiques et culture participative

Je profite de mon dernier billet sur Otakuthon pour faire quelques commentaires, un peu sévères mais constructifs, sur l’événement. Critiques que j’adresse d’abord afin de passer ensuite aux côtés plus positifs de la convention. Mes commentaires n’enlèvent rien aux efforts considérables qui sont déployés par l’équipe exécutive ainsi qu’à l’atteinte du principal objectif consistant à rassembler, contre vents et marées, un nombre incroyable de fans, geeks et otaku partageant à peu près tous des intérêts communs.

En effet, la clientèle d’Otakuthon est variée. Alors que le ton est bon enfant durant le jour, avec tous les cosplayers déambulant dans les corridors, se faisant prendre en photo, et que des ateliers et autres événements (je ne parle pas des panels !!) agrémentent l’atmosphère saine et créative que représente l’esprit d’un fandom, à partir de 22h le vendredi et samedi soir l’identité du groupe change peu à peu avec le début des panels 16+ et 18+, et des projections de hentai (dont certaines par exemple liées au fétiche oppai) entre minuit et 5am. Ce genre de productions existent au Japon – et je n’ai particulièrement rien contre l’idée qu’il y en ait de présentées à Otakuthon – je trouve néanmoins (c’est très personnel j’en conviens, car certains collègues ne partagent pas mon avis) qu’on leur accorde beaucoup d’espace, à la fois comme sujet de panels et comme projections, considérant que les participants qui vont même dans les panels ne sont pas là pour écouter et apprendre sur le phénomène socioculturel qu’est le hentai et l’image de la femme au Japon (beaucoup de textes académiques ont été écrits sur la question, dont « Otaku Sexuality » de Saitô Tamaki dans l’ouvrage Robot Ghosts and Wired Dreams [2007] ou le volume 2 de Mechademia Networks of Desire [2007]). Le contexte social n’étant pas le même entre l’Occident et le Japon – les publics sont différents, consomment et agissent différemment – cela prendrait un billet beaucoup plus long pour nuancer mon propos (je ne suis d’ailleurs pas un spécialiste de la question). Je ne remets pas en question d’ailleurs la présence des thèmes, qui sont controversés en Occident, typiquement nippons liés à la sexualité. La réaction surexcitée du public d’Otakuthon lors d’une projection de hentai était néanmoins particulièrement fascinante et presque désolante à la fois. Mais il y a ici quelque chose de l’ordre du carnaval, un climat lors duquel le désir de transgresser des interdits demeure… Dépassé minuit, c’est l’esprit de la tribu qui prend le dessus, et non de la sous-culture otaku… (autre sujet d’article)

IMG_0067

Il était toutefois rassurant de voir que le panel académique, ainsi que les ateliers concernant la culture traditionnelle japonaise attirèrent un bon nombre d’individus, prouvant qu’apprendre est aussi synonyme de plaisir à Otakuthon. Or, la sélection des panels devrait être resserrée, quitte à ce qu’il y en ait moins, mais de qualité (il y a en effet beaucoup trop de panels et d’autres activités qui ont lieu en même temps). Il ne s’agit pas d’éliminer les présentations et les ateliers donnés par des fans, au contraire ! Mais peut-être de s’assurer que les fans panellistes ont tous quelque chose à dire (alors que certains semblent juste intéressés à vouloir organiser un panel pour obtenir leur récompense sur le prix d’entrée). Qu’un texte guide soit minimalement remis afin de s’assurer qu’ils n’escamotent pas du contenu se trouvant dans le descriptif du programme ! Le même processus pourrait s’appliquer aux guest-stars, selon qu’il s’agisse d’une session Q&A ou non bien sûr. Qu’il y ait également un certain contrôle de la qualité pendant l’événement, à savoir si les panellistes rendent effectivement la marchandise ou non, sinon l’application pour l’année suivante pourrait être remise en cause. Si, comme le dit le site d’Otakuthon, le principal but des panels pour le fan est d’élargir son réseau en rencontrant et échangeant avec des gens qui pensent comme lui, et bien un panelliste bien préparé peut justement mieux encourager l’échange et le partage d’informations et de passions.

IMG_0080

Voilà. Ceci étant dit. Les activités ne manquent pas pour agrémenter notre horaire, dans une atmosphère carnavalesque et de fête. La mascarade du samedi soir étant le point culminant pour beaucoup de cosplayeurs venus expressément exhiber leurs créations. Ce moment est même central à Otakuthon, la salle est comble (entre 2500 et 2600 personnes, selon les organisateurs), et met beaucoup l’accent sur la créativité. Sur scène, on peut voir défiler les personnages d’Assassin’s Creed, de Princess Mononoke, de Mario Bros, de Black Butler – une dame qui semblait âgée s’est présentée sous les traits de Madam Red – et d’autres personnages tirés d’animes, de jeux vidéo et de manga fantaisistes comme Final Fantasy et Lineage II. Dans l’attente de l’ouverture, les participants avaient droit à des quizz/trivia sur deux écrans géants et un karaoké sur lequel plusieurs chantaient et dansaient. La mascarade est un concours amateur lors duquel 82 personnes ont défilé sur scène sous les regards des juges, dont le Consul du Japon, et les deux cosplayeuses invitées, Nadia SK et Riddle.

En plus de leurs ateliers et panels très intéressants qui étaient donnés le samedi, Nadia SK et Riddle ont participé à une séance Q&A avec le public lors duquel ils ont partagé leurs visions de leur pratique. Elles expliquent que les conventions n’ont pas toujours fait appel à des cosplayers comme invités d’honneur. En effet, c’est plutôt récent, et Otakuthon est l’une des rares conventions à le faire. L’un des attraits de la culture des fans réside justement dans cette pratique de réappropriation culturelle, ou de braconnage à la de Certeau, autorisant les individus à utiliser des éléments d’un plus large sandbox afin de créer et proposer en retour leur propre vision de personnages déjà existants. Beaucoup de fans acquièrent de cette manière des abilités artistiques par ce processus, des compétences qu’il réinvestiront, pour certains, dans le cadre d’un futur travail dans l’industrie du film, de la télévision ou de la mode. Nadia SK est par ailleurs conceptrice de mode, et Riddle a déjà travaillé sur quelques films comme consultante.

IMG_0098

Nadia SK et Riddle

Selon elles, il existe encore un certain préjugé envers ceux et celles qui pratiquent le cosplay, comme si, tel qu’expliqué par Nadia, il s’agissait d’un fétichisme. Mais la pratique est, selon Riddle, de plus en plus acceptée et mainstream. Selon elle, la série Heroes of Cosplay diffusée sur Space au Canada les mardis soir, contribue à faire connaître et rendre le cosplay plus grand public. Les questions des participants ont ensuite porté sur des détails techniques : où elles achètent leurs perruques, leurs tissus, etc. Pour la question sur les tissus, Riddle explique jusqu’où elle va pour faire sa sélection de matériel. Pour le costume de Blanche-Neige, qu’elle portait cette journée-là, elle se posera d’abord la question à savoir s’il y aura des enfants. Et si oui, ils se colleront forcément sur elle pour prendre des photos. Donc, elle se demandera quel tissu serait le plus agréable au visage pour eux, le plus confortable. Elle portera également une attention particulière à la propriété du tissu de réfléchir la lumière, etc. Malheureusement, la salle n’était pas aussi pleine que celle du Q&A avec les voice-actors, des « vraies vedettes » (sic !) exubérantes démontrant un sens de la réparti qui plaisait à la salle.

Dans le cadre des projections, je me suis intéressé à certaines parodies de fans, dont celle de Trigger Mortis. Il s’agit de courtes réinterprétations de séries animes avec un tout nouveau doublage, un remontage et des effets sonores volontairement négligés. Les séries Cowboy Beebop, ainsi que Space Runaway Ideon (voir la vidéo plus bas) et Macross 7 y passent. Les sourires sont au rendez-vous, et quelques éclats de rire sincères. Ces parodies sont aussi de bons exemples de réappropriation de séries cultes par les fans, toutefois détournées afin de souligner le ridicule de certaines situations, par exemple la coupe afro du personnage de Cosmo dans la série Space Runaway Ideon.

D’autres parodies, projetées le dimanche, étaient montées à la manière d’un scratch video, présentant de très courts clips humoristiques comme plusieurs fausses publicités d’une compagnie d’assurance Geiko qui existe bel et bien (2ème vidéo ci-bas). C’était drôle, inventif, et particulièrement irrévérencieux et cynique. Il n’y avait malheureusement pas de fanfilms tournés en action réelle, hormis un court métrage très amateur inspiré de Death Note.

J’aimerais également, pour finir, noter la présence de l’orchestre de musique de jeux vidéo de Jocelyn Leblanc. L’orchestre est composé de gens qui paient littéralement pour en faire partie. Pour les musiciens, il s’agit d’une activité de loisir, mais détrompez-vous, la musique qu’ils font est de calibre professionnel ! M. Leblanc est extrêmement passionné et ça se voit. Ce qu’il proposait à son public de dimanche consistait en des réarrangements de pièces connues tirées de séries télé (Doctor Who ?) et de jeux vidéo (Mario Bros, Lair et Skyrim). Il doit évidemment les adapter puisque l’orchestre ne comporte pas d’instruments à cordes, mais presque essentiellement que des cuivres et des instruments à vent. Ce que Jocelyn Leblanc fait c’est aussi, dans un sens, de la réappropriation culturelle inspirée par sa nature de fan.

Thème « I Am the Doctor »

Ces trois dernières formes de pratiques évoquées dans ce billet montrent à quel point un certain type de fans, qu’on appelle enthousiaste, n’est pas passif, mais actif. Il contribue à la culture de son fandom, qui offre un terrain d’échanges et des opportunités de camaraderies pour les individus plus introvertis, comme c’est souvent le cas dans la culture geek. Donc, malgré mes critiques à l’égard des panels et l’aspect plus lubrique de la convention, Otakuthon offre pour la majorité des participants un terrain d’échange constructif et commun extrêmement précieux pour ceux et celles qui le vivent, où chacun peut partager les connaissances de leurs pratiques et créer de nouvelles amitiés en lien avec leurs intérêts. Lorsqu’on parle de pratiques de fans on pense notamment à la notion de culture participatoire de Henry Jenkins. Ce dernier définit clairement cette expression comme suit : « culture in which fans and other consumers are invited to actively participate in the creation and circulation of new content » (Convergence Culture, 2006). Cette réalité qui permet à l’individu de participer activement au sein d’un groupe s’est vue intensifiée avec l’arrivée d’Internet et la démocratisation des technologies numériques de communication, nous permettant de croire que la culture participatoire a repris un nouveau souffle entre les mains des fans maintenant mieux outillés. À Montréal, pour les passionnés de la culture otaku et geek, Otakuthon est définitivement l’endroit qui représente le mieux l’idéal de la culture participative telle que décrite par Jenkins.

IMG_0059

Riddle présente un atelier