Exposition « Une histoire de jeux vidéo » au Musée de la Civilisation à Québec

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Au Musée de la Civilisation à Québec se tient du 24 avril 2013 au 16 mars 2014 l’exposition « Une histoire de jeux vidéo ». Première exposition de ce genre au Québec, elle est en fait une reprise de l’exposition « Game Story : une histoire du jeu vidéo » qui a eu lieu au Grand Palais à Paris en France (voir le catalogue « Game Story ») et organisé par MO5.com, une association à but non lucratif dédiée à la préservation et la diffusion au public du patrimoine numérique.

En privilégiant une approche culturelle et esthétique, l’exposition retrace de manière pertinente les 40 ans (et plus) de l’évolution du jeu vidéo, de 1972 (sortie de PONG) à aujourd’hui, l’espace étant divisé en sept sections. Pour citer le site du Musée :

La thématique de l’exposition se déploie sur 7 grandes zones historiques, correspondant à autant d’innovations techniques, esthétiques ou de «révolutions graphiques» :
1972-1977 – Pong et ses dérivés;
1977-1983 – les premiers jeux en couleurs;
1983-1989 – l’ère du dessin;
1989-1994 – le Pixel art;
1994-1999 – l’arrivée de la 3D;
2000-2005 – l’image s’affine;
2006-2013 – jeux HD et jeux rétros [sic]

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La principale force de l’exposition tient au fait que les jeux, consoles et bornes d’arcade en montre sont presque tous jouables, à l’exception de certaines machines trop fragiles telles que PONG et la Colecovision, remplacés par des émulateurs, mais avec les manettes originales.

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Une autre force est d’avoir mis le jeu vidéo en lien avec d’autres phénomènes culturels. On a ainsi des bandes dessinées, des manuels et figurines de jeux de rôle, des affiches de films, et d’autres objets accompagnés de textes pertinents.

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Même si l’exposition dans son ensemble est selon nous une réussite, il y a inévitablement quelques critiques à faire.

Premièrement, le titre nous semble discutable. Pourquoi avoir choisi «  Une histoire de jeux vidéo »? Alors qu’en France le sous-titre semblait plus adéquat, «  une histoire du jeu vidéo », le singulier venant témoigner du jeu vidéo comme média plutôt que de se limiter simplement aux « softwares » ou produits. De fait, l’exposition semble abandonner la promesse de faire une histoire (parmi d’autres possibles) du jeu vidéo comme média pris dans son entièreté, et se rabattre sur une histoire (parmi d’autres) de certains objets-jeux vidéo (parmi d’autres).

Ce type d’exposition ne peut pas bien entendu présenter tous les jeux vidéo. La sélection est plutôt bien choisie avec une bonne dose de classiques ou d’incontournables (PONG, Super Mario Bros., WarCraft, et désormais Angry Birds) et de jeux cultes ou rares (Metal Gear 2 : Solid Snake sur MSX2 de Sony, jeu bien différent du port sur console [Snake’s Revenge] pour lequel le créateur de la série Hideo Kojima ne fut pas impliqué). La majorité des consoles marquantes sont aussi présentes, de la Magnavox Odyssey (l’exposition présente toute une pièce : une réplique du prototype « Brown Box », reconstruit et signé par Ralph Baer lui-même!) à la Wii U, en passant par quelques plateformes moins connues en Amérique (outre le MSX2, la PC-Engine Core-Grafx).

Cependant, il y a selon nous un absent de marque au niveau des consoles : la Family Computer (ou Famicom) de Nintendo. Même si, on le comprend, les commissaires n’ont choisi qu’une seule console peu importe les différences régionales (qu’elles soient nord-américaines [NES/SNES], ou plutôt européennes – on y revient – ou japonaises [il y avait d’ailleurs 2 consoles PC-Engine Core-Grafx en démonstration, avec les jeux R-Type et Bomberman 94]), la Famicom aurait mérité d’y être du simple fait qu’elle est une console complètement différente de la Nintendo Entertainment System (NES), non seulement au niveau de son nom, mais aussi de ses capacités techniques (en plus d’un microphone sur la deuxième manette et de l’important accessoire Famicom Disk System), et surtout de son design et de sa librairie de jeux : environ 60% de la ludographie est exclusive à la Famicom japonaise. Enfin, détail de taille : sa localisation nord-américaine sous la forme de la NES vient 2 ans plus tard, et il faut attendre encore un an pour l’Europe, ce qui représente des délais non-négligeables dans cette industrie.

Peut-on dire que c’est la même console?

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D’autant plus qu’historiquement, s’il est vrai, comme il l’est mentionné dans l’exposition, que la NES est la console qui « a sauvé » l’industrie nord-américaine du jeu vidéo (après le crash de 1983-1984), c’est en majeure partie grâce à l’énorme succès de la Famicom sur son territoire d’origine. C’est parce que la console, sortie le 15 juillet 1983 au Japon (elle vient tout juste de célébrer ses 30 ans!), est devenue un phénomène culturel sur la terre nippone que Hiroshi Yamauchi, président de Nintendo de l’époque, eut l’idée d’exporter la console sur le continent nord-américain (voir à ce sujet l’Histoire de Nintendo, vol. 3 de Florent Gorges). Au début, Yamauchi souhaitait qu’Atari s’occupe de la mise en marché sur le sol nord-américain, mais, à cause du crash, Atari s’est désistée. Nintendo fut alors contraint, par l’intermédiaire de Nintendo of America, de sortir elle-même la console, mais en modifiant son design et sa stratégie de mise en marché (entre autres pour s’éloigner du terme « console de jeux vidéo ») , faisant donc de la NES une console bien différente de l’original) (voir également l’ouvrage de David Sheff, Game Over).

Ne serait-ce que pour ces quelques raisons (et outre le fait que son catalogue de jeux soit aussi bien différent), elle aurait dû avoir sa place dans l’exposition. D’autant plus que ce n’est certainement pas pour des raisons de rareté de la machine, la Famicom, de par son nombre d’unités vendues (plus de 19 millions), est probablement la console rétro la plus facile à se procurer au Japon et en import (avec peut-être la Super Famicom), et à prix abordable (autour de 40$), du moins beaucoup plus que la PC-Engine Core-Grafx ou le MSX2. Il est très improbable que l’association MO5.com n’en possède pas au moins une.  Bref, même si son absence est sûrement justifiable, il aurait été bien de donner l’opportunité aux visiteurs de voir et d’essayer cette console mythique.

Dernière critique : puisque le Musée de la civilisation a repris l’exposition française, les consoles, les jeux et les paratextes nous proviennent tous de l’Hexagone. Cette différence peut paraître banale, mais elle est composée d’un grand nombre de petites choses qui peuvent avoir des ramifications plus sérieuses…malheureusement impossibles à réaliser pour une équipe sans expert du jeu vidéo nord-américain à bord. Ainsi, vous ne trouverez pas la Sega Genesis, mais la Sega Mega Drive. Pour une exposition qui accorde autant de place à l’importance des graphismes et de l’esthétique visuelle, c’est un peu regrettable puisque la Genesis avait la mention « High Definition Graphics » gravée directement sur la console – témoignage comme un autre d’à quel point les arguments de vente étaient centrés sur cet aspect! De plus, si vous voulez essayer les excellents jeux de PC Doom, WarCraft ou TIE Fighter, vous devrez apprendre à composer avec les claviers AZERTY qui sont mis à votre disposition. Et il y a fort à parier que vous ne reconnaîtrez pas la Super Nintendo, du moins telle qu’elle a été adaptée pour l’Amérique du Nord :

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Si ces multiples détails ne concernent encore que les aspects périphériques au jeu, il y a une différence importante dans l’expérience de jeu elle-même quand on arrive sur la NES. Puisque les consoles sont au standard vidéo PAL européen, plutôt qu’au standard NTSC en vigueur en Amérique du nord et au Japon, la différence de vitesse d’affichage (25 images par seconde en PAL au lieu de 30 en NTSC) signifie qu’aux yeux et aux oreilles d’un nord-américain ou d’un japonais, les jeux sur consoles européennes sont ralentis de 16.7%. Une illustration de ce rythme léthargique, qui a apparemment constitué le standard pour nos cousins français, avec Castlevania :

Évidemment, la situation n’est plus la même aujourd’hui; ces jeux « lentifiés » étaient en fait le résultat de localisations faites à la va-vite, pour un marché que Nintendo considérait comme mineur. On produit dorénavant des versions adaptées (quand ce ne sont pas les consoles PAL elles-mêmes qui permettent de jouer « à la vitesse NTSC ») pour offrir aux joueurs du Vieux Continent la même expérience.

Pour terminer sur le sujet, il faut citer l’étrange cas de l’iconique Super Mario Bros. Vous le verrez au Musée jouer, et à la bonne vitesse…mais avec la trame sonore accélérée! Car figurez-vous que la version PAL, d’abord plus lente comme tous les jeux NES, a connu une deuxième sortie ultérieure où la cadence a été accélérée pour se conformer au standard NTSC…sauf que ce faisant, la musique s’est retrouvée doublement accélérée! Les visiteurs ont donc droit à cette drôle de version où la musique régulière ressemble davantage à la musique accélérée lorsqu’on manque de temps qu’à celle de leurs souvenirs…ou qu’ils écoutent, voire qu’ils jouent eux-mêmes sur leur instrument favori. Il y a de quoi mélanger même les spécialistes…

Un dernier aspect déroutant : l’omniprésence des jeux en français. Pas que l’on soit contre, évidemment, un minimum de respect pour la langue de Molière; mais ce détail, comme tous les autres, nous amène à ne nous reconnaître qu’à moitié dans cette exposition. Car le jeu vidéo, surtout si on le traite comme phénomène culturel, est issu de deux pôles majeurs : les États-Unis et le Japon. Si le Québec est à la croisée de l’Amérique et de l’Europe, il reste qu’en ce domaine, la position géographique du Canada est telle que notre mémoire collective et les résonances culturelles du jeu vidéo nous sont familières bien davantage à partir du cadre américain qu’européen. Les souvenirs qu’auront sans doute plusieurs visiteurs leur seront présentés, mais dans une version alternative, comme s’ils se laissaient décrire par le regard d’un autre. C’est sans doute le grand reproche qu’on peut formuler à cette exposition : l’histoire de jeux vidéo qu’elle présente, ce n’est pas tout à fait la nôtre.

En conclusion, nous vous recommandons fortement d’y aller. Malgré les bémols que nous avons posés ici, c’est une expérience amusante et enrichissante, qui présente une belle sélection d’objets et témoigne d’un réel souci de traiter le jeu vidéo en tant que phénomène de culture.

Prochain événement à Québec au Musée de la Civilisation : le Warpzone 6. Un événement grand public où les visiteurs pourront essayer de nombreuses consoles et jeux, et lors duquel une série de conférences d’études du jeu vidéo seront données, entre autres par des collaborateurs de Kinephanos. À ne pas manquer samedi le 14 septembre 2013!

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