Ghost in the Shell (2017), de Rupert Sanders

Disons-le tout de suite, Ghost in the Shell de Rupert Sanders mérite très certainement d’être vu, plus que la xième itération de la franchise Fast and the Furious qui envahit les écrans présentement (la franchise FF a ses admirateurs et apologistes, je n’en suis pas). Malgré ses écueils, le box office décevant de GITS ne traduit ni les efforts, ni l’honnête proposition de Sanders. Si GITS n’est pas nécessairement le succès espéré, il pourrait au moins inviter un certain spectateur curieux à regarder l’original de 1995 réalisé par Mamoru Oshii. Puis, il faut aussi avouer que GITS propose un exercice de style avec ses mérites et ses petites trouvailles visuelles (comme les immenses solidgrams qui émergent entre les bâtiments de la ville). Malheureusement, le film était projeté seulement qu’en 3D dans presque toutes les salles à Montréal, un choix de marketing discutable de la part du distributeur, qui contribue davantage à freiner notre immersion plus en profondeur dans la narration, nous cantonnant dans le siège de l’observateur, à regarder le film qu’en surface. Ce que les critiques ont tôt fait de mentionner avec cette formule maintes fois reprise: « There is a shell, but there is no ghost! ». La 3D peut tuer un film, GITS de Sanders en est la première victime. Il est vrai que le scénario est plutôt générique, mais l’interprétation de Scarlett Johansson a le mérite de porter et d’incarner toute l’ambiguité liée aux questionnements de son personnage. Son humanité se définit-elle par son corps, qui est-elle vraiment? Etc. Par ailleurs, si GITS ne s’inscrit pas encore dans une filmographie bien établie pour Sanders, GITS s’inscrit définitivement dans celle de Johansson, qui a su interpréter dans sa carrière des femmes à la fois combatives, mais aussi mystérieuses, capable de rendre ce regard introspectif d’un simple battement de sourcils (Lost in Translation, Girl with a Pearl EarringUnder the SkinThe Avengers). L’adaptation de Sanders s’inspire beaucoup de l’univers d’Oshii. On y retrouve de nombreux plans et de scènes tirés directement des deux films, Ghost in the Shell et Innocence. Aussi, le scénario tire-t-il ses sources narratives à la fois des deux films d’Oshii, mais également de la série Stand Alone Complex réalisée par Kenji Kamiyama – entre autres avec le personnage de Kuze dans la saison 2. On ressent bien l’affection du réalisateur à l’endroit du matériel source. Malheureusement, ces références visuelles donnent souvent l’impression d’être plaquées – un sentiment qui pourrait par contre être ressenti davantage par les fans… Tellement que les clins d’oeil n’arrivent jamais à transcender les films originaux. Dans ce sens, on pourrait reprocher à Sanders de, peut-être, n’avoir pas su voler de ses propres ailes, et cela, comme Oshii l’avait fait avec GITS en 95 qui se distinguait esthétiquement du matériel source de Shirow avec une approche graphique plus adulte.

Alors voilà, le problème du film, curieusement, ne vient pas du film lui-même (un peu quand même, on y revient), mais de l’angle même que prend le début de cette critique. Le film de Sanders souffre de la comparaison inévitable avec la vision d’Oshii qui a marqué l’imaginaire occidental dans les années 90, époque qui voyait l’anime pour adulte débarquer en Amérique et en Europe. Le piège de tomber dans la critique de type orientaliste se déploie devant nous, il faut donc savoir quelles lunettes porter avant d’aller plus loin, et savoir prendre une certaine distance du matériel source pour essayer de comprendre l’apport de la version de Sanders dans le contexte culturel occidental.

Il y a une tendance marquée en Occident qui teinte d’un « politiquement correct » toutes nouvelles productions artistiques, de peur de froisser les minorités raciales, religieuses et sexuelles. Par exemple, certaines images de la première bande-annonce ne se retrouvent pas dans le film. Quelles étaient les intentions de Sanders avec le baiser de Major à une prostituée humaine? Quelles étaient les circonstances entourant la visite de Major dans ce qui semble être un temple bouddhiste?… Le parallèle établi entre cette image et l’une des dernières montrées dans la bande-annonce laissait penser que le scénario allait questionner un peu plus la nature de la conscience humaine. Il faut croire que Sanders voulait probablement pousser la réflexion un peu plus et oser, ce qui ne se traduit pas dans le film.

Donc, que vaut le film en lui-même?

Mira Killian (Scarlette Johansson, excellente) est le sujet d’une expérience risquée, et voit son cerveau implanté dans un corps entièrement cybernétique fabriqué par Hanka Robotics. Elle deviendra Major et joint la fameuse Section 9 dirigée par Aramaki (‘Beat’ Takeshi Kitano), au côté de Batou (Pilou Asbaek, crédible) et Togusa (Chin Han). Major est chargée d’enquêter et de retracer le pirate informatique Kuze soupçonné de commettre une série d’assassinats ayant pour cible des responsables d’Hanka Robotics. Or, le vrai antagoniste s’avèrera être Cutter (Peter Ferninando, émule de Liam Nieson), le CEO d’Hanka Robotics, qui cache bien ses secrets. Malheureusement le film souffre d’un antagoniste plutôt mince, qui manque cruellement de motivation. C’est justement là, principalement, où le bât blesse pour GITS, car même si le film de Sanders évacue toute la trame technopolitique de l’original, qui avait pourtant le mérite d’ajouter un certain niveau de gravité au récit, avec pour conséquences d’alambiquer l’histoire un brin, les intentions de Cutter sont sans surprises et n’offrent aucune pression narrative ni obstacle sérieux à Major. Rappelons-nous que les meilleurs films sont souvent ceux où les antagonistes sont les mieux développés (Silence of the Lambs, The Dark Knight, Psycho, SW, etc.). Ici, GITS rate la cible.

Pardonnez-moi maintenant si je tombe dans mon propre piège… De GITS d’Oshii, un récit typiquement nippon, généralement moins anthropocentriste, le GITS de Sanders offre une histoire typiquement occidentale, anthropocentriste. Alors que le film de Oshii traitait de la naissance d’une intelligence artificielle à partir d’Internet, le récit de Sanders emprunte la voie classique d’une « histoire d’origine », celle de Major, en s’intéressant au transhumanisme. Ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi. La version d’Oshii présente l’AI, le Puppet Master, comme étant une invention des États-Unis pour effectuer de l’espionnage industriel et de la manipulation cybernétique. La première scène débute avec l’assassinat d’un diplomate américain pour empêcher la déportation d’un scientifique japonais. Sans surprises, cela ne se retrouve pas dans l’adaptation de Sanders! La version de Sanders comporte aussi son lot de problèmes qui mettent en lumière les difficultés liées à l’adaptation, particulièrement celle des codes culturels. Mais rappelons-le, il s’agit d’une adaptation, dont l’objectif consiste à traduire les codes culturels afin de rendre accessible son contenu dans la culture de destination. Ici, par exemple, l’étiquette japonaise n’avait pas besoin d’être traduite, l’histoire se déroule dans une ville cosmopolite, hétérogène, multiculturelle, qui accepte et affiche la différence, à l’opposé total de la réalité contemporaine nipponne.

La grande force du film réside dans l’esthétique léchée, un monde habité par des androïdes à l’image parfaite, mais qui illustre à merveille la psychose d’une Occident de plus en plus sclérosée à la recherche d’une identité perdue, un trouble social bien rendue par le jeu de Scarlett Johansson, dont le personnage désabusé est également en quête d’une identité perdue. L’esthétique et les effets visuels sont le résultat d’un travail conjoint entre Weta et MPC, qui ont travaillé à développer une nouvelle technique de capture de mouvements pour créer l’ambiance urbaine, plus spécifiquement les immenses hologrammes qu’ils ont appelés des solidgrams. La technique consiste à capturer les figures à partir de 80 caméras (motion photogrammetry) afin de rendre une forme volumétrique manipulable dans l’ordinateur, avec toutes les surfaces et les textures.

Un dernier mot sur l’éléphant dans la pièce… Sur les réseaux sociaux, on dit que la controverse très médiatisée entourant le « whitewashing » – c’est-à-dire d’avoir notamment attribué le rôle de Major à Scarlett Johansson – serait à l’origine du résultat plutôt décevant au boxoffice. Pourtant, Doctor Strange avait également eu droit au même traitement médiatique avant sa sortie (soulignant le personnage joué par Tilda Swinton originalement asiatique dans les comics), et à en juger par son résultat au boxoffice, il n’y a visiblement pas eu d’effet direct. Avec GITS les causes sont ailleurs… En Occident, peu connaissent l’univers de GITS, hormis une pléthore marginalisée de fans connaisseurs plus ou moins spécialistes, des otakus autoproclamés. En plus, la science-fiction, et particulièrement les sous-genres comme le cyberpunk, a toujours été un genre de niche. Parions toutefois que le GITS de Sanders aura une meilleure vie à la location et à la vente, le récit est simple et pourrait plaire à quiconque voudra passer un bon samedi soir devant la télé… au lieu de FF.