Fantasia 2016 – Creepy, de Kiyoshi Kurosawa

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Venant du réalisateur qui nous a donné Tokyo Sonata (primé à Cannes), mais aussi les thrillers paranormaux tels que l’excellent Cure, Pulse et Retribution, on était en droit de s’attendre à rien de moins que l’excellence. Il est bien là le piège chez ces réalisateurs talentueux, la barre monte de film en film, en élevant les enchères de nos attentes à chaque fois. Rassurons nous, Creepy de Kiyoshi Kurosawa ne déçoit pas, du moins pas entièrement, et réussit même à nous faire oublier Real, un essai poétique de science-fiction que le réalisateur avait offert aux festivaliers en 2014, mais qui comportait un lot de personnages peu engageant et froids. Ici, Kurosawa renoue avec le thriller hitchcockien et l’enquête policière, mais sans le surnaturel. Or, l’exercice n’est pas sans écueils.

Le récit de Creepy est simple. Nouvellement emménagés, Takakura et Yasuko veulent offrir un petit cadeau à leurs voisins pour souligner leur arrivée dans le quartier. C’est la tradition au Japon, afin de favoriser la bonne entente entre voisins. Il s’avère que la première voisine rencontrée est réticente et refuse même le cadeau. C’est la contradiction de la norme, celle d’une harmonie brisée, provoquée par l’intention même de vouloir maintenir l’harmonie. On ne veut pas déranger, mais l’intention même dérange. Le lendemain, Yasuko fait la connaissance de leur voisin, Nishino (le troublant Teruyuki Kagawa), au comportement plutôt étrange, au sourire et aux mouvements de corps saccadés. Quelque chose ne tourne définitivement pas rond chez lui, et bien que Kurosawa ne ménage pas les indices adressés aux spectateurs impuissants, Takakura, suspicieux, glisse doucement dans le piège de la paranoïa.

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Kurosawa s’amuse avec la caméra et les jeux d’éclairage. La photographie cristallise froidement un réalisme malaisant avec des tons de bleu acier, et les longs mouvements de caméra, loin de suggérer la contemplation comme dans ses précédents films, exacerbent un inconfortable sentiment de chute lente et contrôlée. La réalisation est inventive, faisant un usage judicieux du plan subjectif, du raccord 180˚, allant même jusqu’à briser l’axe par moment. Le scénario alterne entre deux trames, celle de Yasuko qui s’obstine étrangement à vouloir fraterniser avec le voisin Nishino, créant certains malaises; et Takakura, ancien détective maintenant professeur dans un département de criminologie. Ce dernier se voit entrainé à nouveau vers le travail d’enquête, quand un ancien collègue sollicite son aide pour résoudre un cas de disparition. Le mystère est adroitement ficelé dans le va-et-vient entre ses deux trames, nous invitant à chercher les liens possibles avec le voisin.

Les histoires mettant en scène un ou des voisins suspects sont nombreuses au cinéma. Citons en exemple The Gift, Arlington Road, et… Rosemary’s Baby. Mais contrairement à ces films, Creepy dévoile ses intentions dès le début, et refuse de perpétuer le cliché du voisin normal qui s’immisce tranquillement dans la vie des protagonistes. La première rencontre entre Yasuko et le voisin Nishino donne clairement le ton en dépeignant celui-ci comme un être imprévisible et quelque peu instable dans ses réflexions. La force du film vient précisément de là, soutenant la tension au rythme des découvertes. Malheureusement, un peu avant la conclusion, quelques pièces commencent à s’écrouler. Par exemple, on comprend mal les raisons psychologiques qui plongent Yasuko dans un état catatonique et dépressif, ce qui donne un étrange sentiment de cassure entre certaines scènes vers la fin, ou la désagréable impression d’avoir manqué un bout de l’histoire. On passe également d’un lieu à l’autre très rapidement, avec l’envie folle de crier au personnage téméraire “sort de là!” (quoique normal pour ce genre). Toutefois, il faut admettre que le niveau de confiance entre les Japonais est beaucoup plus élevé qu’entre Occidentaux. Ce qui explique l’absence de crainte et d’appréhension des enquêteurs qui entre chez Nishino. Autre élément agaçant concerne les intentions de la jeune fille qui ne sont pas claires. Pourquoi accepte-t-elle de rester avec Nishino si d’emblée elle avoue ne pas le connaitre? Aussi, le scénario investi beaucoup de temps avec la survivante du cas non résolu. Or, après avoir servi son rôle dans le récit, elle est mise de côté et ne réapparait plus dans le film, alors qu’il y a encore beaucoup de questions à son sujet. On embarque tant que l’histoire est racontée du point de vue de Takakura, mais la tension diminue lorsque le point de vue balance vers Nishino, dévoilant certaines informations qui nuisent à l’immersion qui pourtant fonctionnait si bien jusque là!

Il s’agit toutefois de critiques adressées à l’un des cinéastes contemporain les plus talentueux du Japon. On est toujours plus exigeant pour le premier de classe! Les fans de Kurosawa sauront apprécier Creepy, avec leurs réserves sur le scénario, alors que les néophyte se laisseront assurément convaincre par l’histoire, tordue et machiavélique.