Au cours des années 50-60, le cinéma se retrouvait en situation de crise, faisant face à sa nouvelle compétition : la télévision. Forcé de s’adapter à un environnement en pleine révolution, le cinéma est allé chercher un nouveau public avec une nouvelle vague de films à Hollywood qui donna naissance à certains des films qui définissent aujourd’hui notre paysage culturel de blockbusters (Jaws, The Godfather, Star Wars, etc.). Avance rapide aux années 2010, où les plateformes de streaming tuent les clubs vidéo et où le contenu original à la télévision vient rivaliser celui du cinéma; le modèle évolue encore et nous faisons partie d’un moment cinématographique populaire fascinant, avec comme tête de file Marvel Studios, que rien ne semble pouvoir arrêter à ce point-ci.
La technique du studio : construire un univers unique habité par des personnages que le public aime. Aussi ridiculement simple que cela puisse paraître, le public ne répond pas aussi positivement aux Infinity Stones ou à la construction d’univers chez Marvel, mais plutôt aux personnages. En créant un univers habité par divers personnages qui peuvent faire des apparitions dans les films des autres et donner l’impression d’un large univers qui se passe en dehors des événements auxquels nous assistons, ils ont réussi à créer un sentiment similaire à celui d’une série-télé. Cette affection crée une fidélité qui encourage le public à revenir. Les franchises numérotées font un effet similaire, mais Marvel pousse le concept un cran plus loin en rassemblant plusieurs sous-franchises sous une unique bannière.
Le rythme de production leur permet d’avoir un film en salle tous les 6 mois et nous donner une nouvelle mise à jour sur ce qui se déroule dans le Marvel Cinematic Universe, peuplé d’individus que nous apprécions. D’ailleurs, les réalisateurs qui ont forgé l’ambiance générale des films à ce jour sont Joss Whedon et les frères Russos, 3 individus qui ont obtenu leurs lettres de noblesse en travaillant sur des séries-télé, autant comme créateurs que réalisateurs (Buffy, Firefly, Community, Arrested Developpment). De plus, ce n’est pas un hasard que les méchants auxquels le public s’est le plus attaché dans cet univers sont ceux des séries Netflix (Killgrave et Wilson Fisk) et Loki, celui avec lequel nous avons déjà passés trois films.
Pour conclure cette introduction déjà trop longue, Captain America : Civil War fait office d’une excellente conclusion de la saison 2 du MCU (mieux que Age of Ultron). Le conflit du film est uniquement le résultat de la méticuleuse construction de personnages qui s’étend sur une dizaine de films et la conclusion nous laisse sur un monde changé pour de bon, curieux face à l’avenir des prochaines saisons.
La folie des multiples attaques de supervilains aux cours des autres films de la franchise a causé de nombreux dommages collatéraux malencontreux. Le sujet fut touché lors de Age of Ultron, mais depuis qu’une ville Sokovienne s’est envolée, ils semblent que le climat international est à bout et un incident lors de l’ouverture du film fait déborder le vase. On propose aux héros de soit travailler maintenant sous la tutelle des Nations Unies, soit prendre leur retraite. Tous ne sont pas d’accord et un incident impliquant le Winter Soldier, meilleur ami de guerre du Captain America, vient exacerber le conflit au point de rupture et des camps doivent être choisis.
L’intrigue du film est presque inexistante, puisque la majorité des scènes se préoccupent des décisions et motivations des personnages, créant l’un des rares films de superhéros qui est principalement construit sur des personnages, leurs antécédents (auxquels nous avons assistés), les leçons qu’ils ont retenues et leurs évolutions. Cet aspect est surtout gratifiant pour quiconque suit ces héros depuis leurs débuts, puisque tout ce qui est venu jusqu’à ce point est pris en considération à un niveau où un autre. Les Thor et Guardians sont les trois seuls films auxquels on ne fait jamais référence directement ici.
L’intrigue découle de ce qui est venu avant, mais les petits moments entre personnages le sont encore plus et c’est la véritable force de ces films. Des brèves scènes entre Hawkeye et Black Widow ou Scarlet Witch sont informées par leurs histoires des films précédents et continuent dans cet élan. La même chose peut être dite de War-Machine et Falcon et leurs passés militaires, Vision et Scarlet Witch et leurs aspects surnaturels et surtout Captain America et Iron Man. Ant-Man veut logiquement aider Captain America puisque nous avons assisté à un film entier où le personnage désire simplement être un modèle pour sa jeune fille. Et quel meilleur modèle de droiture que le commandant des Avengers? Black Panther et Spider-Man, les deux nouveaux venus, ne sont pas laissés pour compte, arrivant dans le film pleinement formés en tant que personnages et prêt à joindre l’action. Spider-Man va probablement aller chercher le cœur du public, comme Quicksilver l’avait fait dans X-Men : Days of Future Past.
La seule relation qui fait défaut à l’ensemble est celle entre Bucky Barnes et Steve Rogers, trop centrale à l’intrigue pour ne pas affecter quelque peu le film. Puisqu’ils ont eu si peu de temps ensemble lors du premier film, avant la disparition de Bucky, leur relation fut développée rétroactivement. Cette dynamique n’est pas assez concrète et organique pour justifier toute la commotion qui l’entoure. C’est le principal aspect qui fait défaut au scénario, mais la droiture innée du jeu de Chris Evans rachète quelque peu le faux pas. Les dynamiques de relations sont clés dans ce film.
C’est ce qui rend leurs scènes de combats encore plus puissantes. L’action est un aspect du cinéma souvent regardé de haut, mais nous parlons d’un art fondé sur l’image en mouvement et les séquences d’action ne sont que cela : des images en mouvements! Ainsi, lorsqu’accomplies par des artistes en contrôle de leur art, elles deviennent d’autant plus puissantes. C’est encore mieux lorsqu’un scénario qui comprend ses personnages vient supporter une mise en scène et des chorégraphies phénoménales.
Tout l’aspect technique est plaisant, mais c’est vraiment notre attachement aux individus impliqués qui vend l’action. La séquence au cœur du film, autour d’un aéroport allemand, lorsque les héros en arrivent à leur grande confrontation, est l’une des scènes d’actions les plus créatives, ludiques, intelligentes et propulsives qui fut portée au grand écran depuis que l’ère moderne des films de superhéros vit le jour avec Blade, Spider-Man et X-Men, il y a une quinzaine d’années.
La prémisse du film permet, entre chaque moment où les protagonistes en arrivent aux poings, de prendre des pauses pour discuter des concepts comme les conséquences des actions, de la place des héros dans le monde, de confiance, de sécurité, de peur et d’amitié. On se préoccupe beaucoup plus par ce que les gens qui nous intéressent ont à dire sur la situation que de construire une intrigue surcomplexe pour s’assurer que nos héros se frappent au visage parce que le scénario l’exige.
Pendant que nous sommes dans le sujet, la comparaison avec Batman V Superman est évidente et s’impose presque. L’intrigue est choquante en similarités et pourtant un des deux films est le 2e d’un univers et l’autre le 13e. L’étendu des liens concrets entre ces films constituent des points d’intrigues qui en révéleraient trop, mais d’un côté nous avons Marvel qui a construit des personnages, pendant des années, et le conflit a découlé naturellement de leurs personnalités tandis que Warner Bros. a créé des personnages autour d’un conflit, forçant une confrontation requise par le scénario et le marketing.
Les similitudes s’étendent jusqu’aux vilains qui travaillent tous deux dans les coulisses, manipulant les circonstances sans se salir les mains directement. Helmut Zemo de Civil War, interprété avec discrétion par le toujours génial Daniel Brühl, est mémorable à travers quelques décisions mineures qui ajoutent beaucoup de petites nuances au personnage. Ses motivations sont gardées secrètes jusqu’au dernier instant et elles m’ont tout d’abord déçues dans leur simplicité. Par contre, plus le temps passe et plus cette banalité se révèle brillante, puisqu’elle force à contempler l’impact de détails que nous considérons mineurs dans les séquences d’actions qui forment l’apogée de chacun de ces films. Lorsqu’il annonce ce qui le pousse à agir on a envie de s’exclamer « c’est tout? », mais dans un contexte réel, a-t-il vraiment besoin de plus? Ce qui constitue si peu dans ce monde narratif se révèle être assez puissant pour motiver les actions d’un seul homme.
Captain America : Civil War est une réussite autant par son aspect thématique que son côté spectaculaire. Cette réussite est due au fait que ces deux éléments découlent de personnages que nous avons appris à connaitre et apprécier depuis maintenant plus d’une dizaine d’heures de cinéma. Les frères Russo ont réussi à livrer un épisode qui implique avec brio plusieurs personnages (tous ont facilement 2 ou 3 moments forts). Cette grande affection devrait plaire à tout fan qui aime autant ces individus colorés qu’eux!