RIDM – Kingdom of Dreams and Madness: le documentaire sur le Studio Ghibli et Miyazaki

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La réalisatrice Mami Sunada (Ending Note: Death of a Japanese Salesman [2011]) nous propose un portrait intimiste de l’un des cinéastes japonais d’animation les plus importants des dernières décennies: Hayao Miyazaki, réalisateur entre autres des incontournables classiques Nausicaä de la vallée du vent (1984), Mon voisin Totoro (1988), Princesse Mononoke (1997) et Le voyage de Chihiro (2001). C’est en s’intéressant au dernier né du Studio Ghibli (et probablement le dernier de Miyazaki) The Wind Rises, une oeuvre éminemment personnelle qui souleva au Japon une controverse pour son propos antiguerre, que la documentariste suit le cinéaste au gré de son horaire, assidu et routinier. En ce sens, il s’agit beaucoup moins d’un documentaire sur le Studio Ghibli, mais plutôt une rencontre privilégiée lors duquel la caméra, jamais intrusive, ne quitte presque jamais Miyazaki, à l’affut de ses moindres gestes lors de son travail sur le film, et surtout à l’écoute de ses nombreuses réflexions et pensées, entre autres sur le métier de cinéaste: « Faire des films n’apporte que de la souffrance (…) Comment savons-nous que le cinéma en vaut la peine? N’est-ce pas seulement qu’un ‘énorme’ passe-temps? » C’est également dans l’esprit typiquement japonais que l’on voit le maître s’adonner à l’exercice traditionnel rajio taïso, une gymnastique matinale pratiquée en groupe au Japon qui vise essentiellement la cohésion entre les individus (beaucoup pratiquée dans les entreprises et à l’école). D’un ton candide, il avoue ne pas connaître la version deux de la chorégraphie, alors qu’on le voit hésiter entre chaque mouvement.

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Sans être bousculé par un montage qui voudrait trop nous en montrer, Miyazaki se montre affable, souriant et moqueur. D’un perfectionnisme à toute épreuve, on le voit peindre ses cases de scénarimage et en calculer la durée à l’aide d’un chronomètre, alors qu’il imagine le plan les yeux fermés. La discussion avec l’homme se poursuit jusque dans son atelier privé à la fin de la journée. Ce choix narratif de suivre presque exclusivement le maître a pour effet de reléguer les autres collaborateurs, comme le producteur Toshio Suzuki, au rang des personnages secondaires. On voit très brièvement le fils de Miyazaki, Goro (Les contes de Terremer [2006]), qui apparait seulement lors d’une rencontre de préproduction, et lors de laquelle, à en juger par ses remarques, on ne peut que noter la pression causée par l’ombre du père. Même le réalisateur et co-fondateur de Ghibli, Isao Takahata (Le tombeau des lucioles [1988], l’un des plus importants films d’animation traitant du Japon d’après-guerre), passe pour un fantôme dans le documentaire. Sa présence se fait ressentir que par certains commentaires, parfois élogieux, de la part de Suzuki et Miyazaki à l’endroit de son manque de rigueur et de sa fâcheuse habitude de ne pas respecter les échéanciers. Il faut savoir que pendant que Miyazaki travaille sur The Wind Rises, et dont nous sommes les témoins privilégiés, Takahata s’affaire à la réalisation de Le conte de la princesse Kaguya (présenté au Festival du nouveau cinéma en 2014). Les deux films doivent sortir simultanément. Or, Takahata prend du retard, beaucoup de retard. Nous ressentons alors, surtout dans le ton qu’emprunte Miyazaki en parlant de Takahata, la rivalité qui s’est installée entre eux au cours des années, qui, selon le producteur Suzuki, ne peut que pousser les deux hommes à réaliser leurs meilleurs films.

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La caméra est quelques fois maladroite, mais ajoute au sentiment de proximité avec l’artiste. Le chat Ushiko, un habitué qui gambade ici et là, ponctue le film par sa présence, incarnant d’une certaine manière l’âme du studio. L’incursion dans la routine de Miyazaki est tranquille et sans artifices visuels, mais laisse une impression indélébile: celle d’avoir assisté à une « classe de maître » sur la vie. Par exemple, le cinéaste nous étonne lors d’une simple conversation sur le toit du studio, tout en verdure, à propos du nom Ghibli. La documentariste lui demande quel est l’avenir du studio. À cela Miyazaki répond: « C’est clair, ça va tomber en morceaux. Je peux déjà le constater. Pourquoi s’en faire. C’est inévitable. Ghibli est juste un nom au hasard qui m’a été inspiré par un avion. C’est juste un nom. » Après cela il se retourne et regarde un arbre en face de lui: « Comme c’est beau ».

Le film est projeté dimanche prochain le 23 novembre à 21h, au Cinéma Excentris salle Cassavetes