Fantasia 2014 – Uzumasa Limelight, d’une génération à l’autre

uzumasa-limelight-film-poster

Il existe au Japon une forte tradition de jidaigeki, un genre cinématographique, télévisuel et théâtral dont les histoires se passent durant la période Edo. Le sous-genre est le chanbara, l’équivalent de nos films de capes et d’épées, mettant en scène des combats au sabre. L’histoire d’Uzumasa Limelight, réalisé par Ken Ochiai, est racontée du point de vue d’un comédien vieillissant, Kamiyama (Fukumoto Seizo), qui incarne ce que l’on appelle dans le jargon un kirare-yaku, un acteur qui se spécialise dans l’art de se faire tuer par le sabre. Or, un jeune producteur retire des ondes une émission qui dure depuis plus de quarante ans. La raison est qu’elle n’attire plus le jeune public. Il faut se renouveler et passer le flambeau à la génération suivante. C’est là que réside tout le propos du film, mené de mains de maître à partir d’un scénario écrit par le producteur Hiroyuki Ono, qui s’inspire très ouvertement de Limelight (1952) de Charles Chaplin. Évoquant la relation entre Calvero (Charles Chaplin) et Theresa (Claire Bloom), la ballerine, on retrouve dans Uzumasa Limelight une forte relation d’amitié qui se crée entre Kamiyama et une jeune actrice prometteuse, Satsuki (Chihiro Yamamoto).

Annex - Chaplin, Charlie (Limelight)_NRFPT_06 UZUMASA-LIMELIGHT3-1030x686

Satsuki ressent une grande admiration à l’endroit de Kamiyama, traduisant un profond respect pour ce qu’il représente: les traditions, illustrant par le fait même le respect que la jeune génération devrait exprimer à l’endroit des précédentes. Ce qui n’est pas toujours le cas. Certaines scènes d’Uzumasa Limelight sont fortement inspirées du film de Chaplin, prenant la forme d’hommages bien sentis. Notons, entre autres, Kamiyama qui va rejoindre Satsuki à l’arrière scène afin de la motiver, car elle est paralysée par le trac, rappelant Calvero qui rejoint également Theresa, paralysée avant d’entrer sur scène; aussi, la réputation de Kamiyama et l’admiration qu’on lui voue qui finissent par gagner sur les appréhensions du jeune producteur, comme dans Limelight, permettant ainsi à Calvero de performer une dernière fois; enfin, Kamiyama qui doit se résigner à exécuter des spectacles de rue dans le Studio Park, à l’instar de Calvero qui en est réduit à jouer les musiciens de rue et à mendier. La manière avec laquelle la salle de maquillage et Kamiyama sont filmés ne sont pas sans rappeler la même douceur et la simplicité des cadrages et de la lumière sur le personnage de Calvero. Ce sont des choix artistiques volontaires et bien assumés. La référence devient sans équivoque lorsque l’ont voit la photographie célèbre tirée du film de Chaplin, avec Calvero et Theresa, bien à la vue sur le miroir devant Kamiyama. Ce dernier regarde la photo de temps en temps, comme s’il reconnaissait bien humblement son propre sort.

hero719_limelight

Limelight est davantage autobiographique, centré sur Chaplin et la fin d’une carrière de clown, celui de Charlot qui s’incarne métaphoriquement à travers le personnage de scène créé par Calvero. La jeune ballerine, Theresa, tombe amoureuse de Calvero, le clown vieillissant, évoquant bien sûr la relation de Chaplin avec Oona O’Neill, sa dernière épouse de 35 ans sa cadette. Ainsi, ce sont plutôt les thèmes qui furent une source d’inspiration pour Hiroyuki Ono, se concentrant sur une problématique générationnelle à travers les yeux de Kamiyama, un vieil homme affable et humble qui va où la vie l’amène, et cela, contrairement au personnage de Calvero joué par Chaplin, plutôt batailleur, loquace et orgueilleux.

Par contre, dans une entrevue donnée sur le site twitchfilm.com, le réalisateur Ochiai explique qu’Uzumasa Limelight s’inspire du parcours d’un acteur qui existe bel et bien. Il s’agit d’un réel kirare-yaku bien connu du milieu, l’acteur et figurant Fukumoto Seizo , qui incarne lui-même le personnage de Kamiyama. On peut apercevoir l’acteur dans le film The Last Samurai (2003), dans lequel il incarne le « garde du corps » du personnage joué par Tom Cruise lorsque celui-ci gambade dans le village.

040329_seuziFukumoto_hmed_5p.grid-6x2

Ainsi, l’expertise et la longue expérience liées au rôle que Fukumoto incarne apporte sûrement au récit une crédibilité certaine en contribuant à l’un des thèmes du film: la pérennité des connaissances menacées de disparaitre. Ce que la jeune Satsuki n’est pas prête de laisser s’évanouir, à en juger par son entêtement à vouloir apprendre le maniement du sabre à travers les enseignements de Kamiyama. Ironiquement, ce dernier dit à Satsuki que les femmes n’ont pas besoin d’apprendre le maniement du sabre pour jouer dans un jidaigeki, illustrant bien comment lui-même n’a pas su suivre les changements socioculturels.

BN-CV678_samura_G_20140518233602

Charmant, touchant et profondément humain, ponctué de flashbacks qui nourrissent notre réflexion sur la passation des générations, Uzumasa Limelight est filmé sans artifices de montage ni d’effets visuels, avec une lumière qui donne toute la place aux acteurs. Le film nous invite à prendre position, et s’amuse au passage à ridiculiser gentiment l’industrie contemporaine du cinéma et de la télévision. Comme par exemple, lorsque le jeune comédien principal de la nouvelle série, une vedette de la scène pop, refuse de porter une perruque chonmage, ou lorsque les lames des sabres sont remplacées par de courts embouts verts pour l’ajout ultérieur des lames en images de synthèse. Notons en terminant que le film fut tourné en bonne partie au Toei Kyoto Studio Park (Toei Uzumasa Eigamura), que j’ai eu le privilège de visiter lors de mon passage au Japon en 2013. Vous pouvez visionner ici une courte vidéo Iphone d’un réel spectacle de rue que j’ai tournée.