Le jeu en temps de pandémie : remède ou échappatoire?

Appel à propositions de textes

Sous la direction de Gabrielle Trépanier-Jobin & Mathilde Savoie

La date limite de réception des propositions pour ce numéro est le 10 décembre 2020

Durant le confinement imposé par les autorités pour faire face à la pandémie de Covid-19, le jeu semble avoir pris une place primordiale – voire vitale – dans la vie de beaucoup de gens. Alors que les citoyens étaient sommés de rester à la maison, d’éviter les rassemblements et de limiter leurs déplacements, plusieurs d’entre eux se sont tournés vers des moyens ludiques de passer le temps, de socialiser, d’occuper les enfants et de s’évader. On peut alors se demander dans quelle mesure le jeu est devenu un véritable remède à l’ennui, à l’isolement et au surmenage pendant la pandémie. 

En effet, le temps consacré à la pratique du jeu vidéo a connu, dans différents pays, une augmentation allant de 20 à 45% au mois de mars 2020 (Advanced Television, 2020). Le succès phénoménal du jeu Animal Crossing: New Horizons (Nintendo, 2020), qui permet aux joueurs de se rassembler sur les îles paisibles de Tom Nook, a été attribué par plusieurs journalistes au besoin qu’avaient les gens d’interagir et de se dépayser en contexte de distanciation physique (Lamy, 2020; Lucas et Gleeson, 2020; Sylvestre, 2020; Woitier, 2020). Certains manifestants de Hong-Kong y ont poursuivi leurs protestations en ligne durant le strict confinement imposé par le gouvernement chinois, ce qui a mené au bannissement du jeu en Chine (BBC, 2020). Des rassemblements contre le racisme systémique s’y sont également déroulés suite à la mort de George Floyd durant une intervention policière aux États-Unis (Hernandez, 2020).

Alors que d’autres industries du divertissement ont connu un ralentissement sans précédent, l’industrie du jeu vidéo semble avoir tiré profit de la situation non seulement financièrement, mais aussi en redorant son image avec la campagne #PlayApartTogether. L’Organisation mondiale de la santé, qui dépeignait jusqu’à tout récemment la pratique fréquente du jeu vidéo comme une menace à la santé physique et mentale, a d’ailleurs ouvertement appuyé le mouvement Play Apart Together et souligné la capacité du jeu vidéo à briser l’isolement (La Presse canadienne, 2020). La couverture médiatique entourant le jeu vidéo est alors soudainement devenue beaucoup plus favorable qu’en temps normal.

Durant la pandémie, on a en outre assisté à un véritable « boom » des plateformes numériques de jeux de rôle et de jeux de société (Durivage, 2020). Le simulateur de jeux de rôle sur table Fantasy Grounds, par exemple, a accueilli 65 000 nouveaux membres en un mois après le début du confinement et les inscriptions hebdomadaires au site web Board Game Arena ont été 5 à 10 fois plus nombreuses qu’à l’habitude. On peut alors se demander quels effets à long terme aura la pandémie sur les dernières formes de jeux qui se jouaient encore en présentiel.

De leur côté, les parents ont cherché des moyens ludiques d’occuper leurs enfants durant le confinement, ce qui a donné lieu à des initiatives citoyennes comme des concours de dessins (Dumas, 2020; Siag, 2020) ou encore des chasses aux arcs-en-ciel (Sarrazin, 2020), aux oeuvres d’art (Agence France-Presse, 2020), aux oeufs de Pâques (Chabot, 2020) et autres items (Simard, 2020) dans plusieurs villes du monde. Plusieurs parents se sont en outre improvisés designer de jeu en créant, pour leurs enfants, des défis ludiques avec les items qu’ils avaient sous la main, pour ensuite partager leurs inventions sur les réseaux sociaux. Les jeux éducatifs comme Grimoire et Madame Mo sont, pour leur part, venus à leur rescousse lorsque fut le temps de faire l’école à la maison (Alloprof, s. d.; Simard, 2020). 

Le contexte de pandémie a enfin stimulé la créativité et donné lieu à la production de quelques jeux cherchant à faire comprendre la situation inédite aux plus jeunes ou à sensibiliser les adolescents à l’importance du confinement, comme Codroïd-19 (Herault, 2020) et le nouveau scénario Blockdown Simulator de Minecraft (Cimino, 2020).

Pour certains, ces événements mettront en évidence les vertus réconfortantes – voire curatives – du jeu qui apparaît comme bien plus qu’un simple passe-temps. Plusieurs études lui attribuaient déjà, avant la pandémie, la capacité à : apaiser les tensions après une journée de travail (Collins et Cox, 2014); aider les gens à s’évader (McCauley et al., 2018) ou à gérer leur stress suite à des événements traumatiques (Banks et Cole, 2016); susciter des formes alternatives de socialisation et de communication (Ducheneaut et Moore, 2004; Perraton et al., 2011); favoriser la connectivité sociale et la participation civique (Lee, 2019); renforcer le sentiment d’appartenance à une communauté autour d’une passion commune (Vella et al., 2019); procurer un bien-être psychologique (Przybylski et al., 2010); générer des affects positifs permettant de contrer la dépression et l’anxiété (Packiam Alloway et Carpenter, 2019), etc. 

D’autres diront peut-être que l’exode des gens vers toutes sortes de plateformes ludiques en temps de pandémie n’était qu’un moyen de fuir les nombreux problèmes sociaux et inégalités mis en évidence par la crise sanitaire (Campbell, 2020; Tircher et Zorn, 2020; Vigo et al., 2020). Plusieurs théoriciens dépeignaient d’ailleurs le jeu, avant la pandémie, comme un échappatoire à la réalité (Castronova, 2007; Calleja, 2010; McGonigal, 2011; Warmelink et al., 2009).

Dans ce numéro régulier en français de la revue Kinephanos, nous souhaitons aborder différents thèmes liés au jeu en contexte de pandémie incluant :

  • Les bienfaits psychologiques du jeu durant le confinement;
  • Les nouvelles habitudes de jeu en temps de pandémie;
  • La socialisation et la communication par le biais du jeu en ligne pour pallier la distanciation physique;
  • L’utilisation politique des jeux en ligne pour contourner l’interdiction de rassemblement;
  • Le jeu éducatif comme facilitateur de l’enseignement à distance;
  • Le changement de regard que la société ou les médias portent sur le jeu vidéo depuis le début de la crise sanitaire;
  • La vague de créativité ludique à laquelle a donné lieu cette situation inédite;
  • Les jeux créés pour faire comprendre la pandémie ou sensibiliser à l’importance du confinement;
  • Les stratégies marketing mises en place par l’industrie du jeu pour tirer avantage de la situation;
  • Le jeu comme moyen de fuir les problèmes mis en évidence par la pandémie;
  • Le discours qui réhabilite le jeu vidéo dans les médias de masse depuis le début du confinement.

Comment proposer?

Pour participer à ce numéro de la revue Kinephanos, vous devez soumettre une proposition de texte anonymisée d’environ 1000 mots (avant bibliographie) pour le 10 décembre 2020 à l’adresse courriel: info@kinephanos.ca. Celle-ci sera évaluée à l’aveugle par un comité qui annoncera son verdict le 20 décembre 2020. Les auteur.e.s auront ensuite jusqu’au 20 mars pour remettre leur article de 6000 mots (avant bibliographie) qui sera édité par Gabrielle Trépanier-Jobin et Mathilde Savoie, puis évalué en double-aveugle avant sa publication.

Politique éditoriale

Kinephanos est une revue Web avec arbitrage. Chaque texte reçu est soumis en anonymat à une double évaluation par les pairs. Kinephanos n’exige pas l’exclusivité de vos textes. Toutefois, l’article soumis doit être publié pour la première fois. Les textes qui paraîtront dans d’autres périodiques par la suite devront citer Kinephanos comme première source.

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Kinephanos est une revue Web universitaire, qui se veut bilingue, interdisciplinaire et transdisciplinaire, dont l’objectif est d’étudier les questions qui touchent de près ou de loin le cinéma et les médias populaires. Les films et téléséries populaires, les jeux vidéo, les technologies émergentes ainsi que la culture des fans constituent les principaux intérêts de la revue. Les approches favorisées sont les études cinématographiques, les théories de la communication, les sciences des religions, la philosophie et les études culturelles et médiatiques.

www.kinephanos.ca 

Références

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AGENCE FRANCE-PRESSE (2020). « Des oeuvres d’art aux balcons berlinois », La Presse,13 avril. 

BANKS J. et COLE J. G. (2016). « Diversion Drives and Superlative Soldiers: Gaming as Coping Practice among Military Personnel and Veterans », Game Studies, vol. 16, n°2. 

BBC. (2020). « Animal Crossing removed from sale in China amid Hong Kong protests », BBC, 13 avril. 

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CAMPBELL B. (2020). « Le coronavirus, révélateur retentissant des valeurs et des injustices de notre société », The Conversation, 17 avril. 

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DUCHENEAUT N. et MOORE R. J. (2004). « The social side of gaming: a study of interaction patterns in a massively multiplayer online game », in Proceedings of the 2004 ACM conference on Computer supported cooperative work – CSCW ’04 (p. 360). Chicago, ACM Press. 

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LAMY C. (2020). « Entre course aux clochettes et spéculation sur les navets, “Animal Crossing”, le grand jeu du confinement », Le Monde, 8 mai. 

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SIMARD É. (2020). « Une entreprise québécoise dédiée à la création de jeux éducatifs », Métro, 18 juin. 

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