Immersion sous contrainte et écologie des territoires hostiles dans la série Metro : enjeux ludiques et affectifs de la pratique vidéoludique en milieu post-apocalyptique

Numéro spécial, mars 2020 / Special Issue, March 2020

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GUILLAUME BAYCHELIER
Université Bordeaux Montaigne

Résumé :

Après avoir rappelé brièvement les conditions nécessaires à l’expérience immersive vidéoludique, ce texte observe comment le recours à un récit post-apocalyptique donne aux jeux vidéo de la série Metro (Metro 2033, Metro: Last Light) la possibilité de mettre en œuvre des modalités ludiques s’intégrant parfaitement à l’écologie de leur univers fictionnel. En outre, nous montrerons comment la spatialité contraignante propre à ces jeux permet d’observer l’incidence de la mise en image des jeux vidéo sur la qualité des expériences immersives qu’ils autorisent.

Mots-clefs : Metro, post-apocalyptique, jeu vidéo, espace de jeu, représentation, image vidéoludique.

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Introduction

En raison de leur capacité à donner corps à des mondes fictionnels, qu’ils soient plausibles ou invraisemblables, les jeux vidéo sont propices à l’expérience de l’immersion. Ce transport permet l’expression d’affects contrastés, à des intensités variables, selon des modalités distinctes, qui entrent en résonance avec les propos ludo-narratifs développé par les jeux vidéo. Ainsi, s’offre aux joueurs et aux joueuses un vaste champ expérientiel. Comme le propose Proteus par Ed Key et David Kanaga (2013), il peut être question de flânerie ou même d’errance entendue comme attitude d’abandon serein, associée à un glissement géographique apaisé, à l’instar de l’intention animant Journey (thatgamecompagny, 2011). À l’autre bout du large spectre de propositions immersives que le médium vidéoludique met en œuvre, un rapport inverse à celui que nous venons d’évoquer est également envisageable. En témoignent les jeux vidéode la série Metro qui invitent à se plonger dans un futur proche sombre et cruel, un monde post-apocalyptique difficilement habitable. Metro 2033 (4A Games, 2010) et Metro: Last Light (4A Games, 2013) déploient une aire de jeu, le métro moscovite, qui est pensée comme une entité dédiée à l’égarement. À dessein, la spatialité monstrueuse de ces environnements rend particulièrement difficile tout « investissement topographique » (Calleja, 2006, p. 181), c’est-à-dire toute tentative de localisation dans l’espace débordant celui affiché à l’écran. Cette recherche de désorientation, ou plutôt de non-orientation, contrevient à l’édification d’une maîtrise géographique de l’univers dans lequel les joueurs sont invités à pénétrer.

Metro: Last Light. (2013). 4A Games/Deep Silver.

Cette dynamique paraît constituer un frein important à tout élan immersif. Pourtant, l’association étroite du cadre narratif et du game design de ces jeux permet l’installation d’une écologie dont la force paradoxale est d’assurer la tenue d’une expérience immersive par le recours à la carence et à la résistance à la contrainte. En effet, l’univers de Metro induit des modes de vie et des modèles sociétaux dont le ressort est la capacité à interagir avec un environnement modelé par la catastrophe. À travers des mécaniques empruntées aux jeux de survie horrifique, les adaptations vidéoludiques des romans de Dmitry Glukhovsky invitent à fouler un environnement radicalement hostile, ne se laissant habiter qu’au prix de l’adoption de postures de résistance (Baychelier, 2016, p. 421-423). Cette approche est connexe à celle instaurée par la pratique ludique horrifique, qui consiste à proposer de s’immerger dans le lieu d’une catastrophe.

Cette étude cherchera donc à mettre en lumière l’incidence des modalités de construction de pareils territoires sur la qualité de l’expérience immersive proposée. Nous observerons comment le recours à la fiction post-apocalyptique permet un engagement actif sous contrainte qui, paradoxalement, est déterminant dans la mise en place de cette expérience. Plus encore, nous verrons comment l’édification de l’univers de jeu, c’est-à-dire sa mise en espace (via son level design [1], sa modélisation, sa mise en lumière, etc.), est fondamentale dans la mise en œuvre de ce processus, à la fois pour donner corps au monde de Metro selon des procédés spécifiques et pour instaurer un rapport à l’image qui s’avère déterminant pour l’engagement immersif. En somme, en nous appuyant sur les modèles fournis par la série Metro, il s’agit de nous demander quels ressorts permettent à l’image de se faire milieu d’imprégnation à même de moduler l’intensité du rapport affectif entretenu avec ces jeux et ainsi de convier les joueurs à une plongée dans des territoires qui, pourtant, affirment à chaque instant leur caractère hostile.

S’immerger dans et par l’image

Commençons par rappeler ce qui s’est imposé comme une évidence et a fait l’objet de nombreux développements théoriques ces dernières décennies (Amato, 2014, p. 39) : dans ses multiples dimensions, le concept d’immersion est un enjeu majeur des productions vidéoludiques. Cet état attentionnel spécifique, convoquant « la capacité de la fiction à devenir un monde secondaire, une réalité autre, propice à la simulation expérientielle », (Patoine, 2015, p. 202) conditionne largement les modalités comme la qualité de la réception des expériences cherchant à donner corps à des univers répondant au double régime du fictionnel et du virtuel (Caïra, 2014, p. 61-62). De ce fait, ils sont propices à une immersion vécue comme transport (Calleja, 2011, p. 32). Nombre de genres vidéoludiques permettent d’observer la capacité des jeux vidéo à « faire monde » [2] par effet diégétique et, de là, à se rendre « habitables » [3]. Le transport immersif s’opère d’autant plus facilement que les mondes auxquels les jeux donnent corps se laissent pénétrer et opérer via la médiation ludique. Avec ce médium, l’immersion est déterminée par un engagement actif (Georges, 2013, p. 51). Par l’acte de jeu, joueurs et joueuses sont amenés à actualiser les jeux et, conjointement, à entrer en contact avec ces mondes. Par le jeu (au sens de play [4]), s’opère ainsi la « déclosion » [5] de la spatialité. Dans ce mouvement se dessine la géographie d’espaces à arpenter ou à habiter au gré d’une prise de contact dont le ressort est la manipulation médiatisée des images. L’expérience interactive ludique demande d’endosser la triple fonction de spectateur, d’acteur et d’opérateur. Le caractère ergodique [6] du médium invite à éprouver l’opérabilité des images qu’il permet de produire et plus encore, à en expérimenter la plasticité. Les jeux vidéo imposent un régime de fréquentation de l’image impliquant nécessairement d’en saisir le caractère dynamique et fluide. Dans le cas des jeux en 3D polygonale qui va nous intéresser ici, il apparaît qu’à la fluidité caractéristique du pictural, l’image adjoint une présence propre au sculptural.

Bien que projetée sur le plan du moniteur permettant son visionnage, l’image vidéoludique tridimensionnelle est fondamentalement volumique : elle est image-objet et non image d’objets. Elle incorpore « la dimension réelle de l’espace en trois dimensions et non plus, seulement, sa représentation » (Rieusset-Lemarié, 2001). Elle ouvre la possibilité d’une exploration de l’image qui implique un mode de présence et un mode de perception singuliers : une observation mobile incorporée permettant d’éprouver l’image dans sa profondeur, de se saisir de sa « perspective mobile » (Maniglier, 2010, p. 66). Le médium vidéoludique tend à transformer l’expérience des visualités en expérience d’incorporation dans un autre monde, renvoyant à ce que O. Grau désigne comme un monde artificiel à même de remplir entièrement le champ de vision de l’observateur et, surtout, de donner corps à l’intégralité de la spatialité d’une image devenue environnementale (Grau, 2003, p. 13) qu’il s’agit d’expérimenter in situ. Sa modalité première d’appréhension est l’acte de traversée : une mise en parcours dont le rythme est modulé par la confrontation à des contraintes contre lesquelles il s’agit d’entrer en résistance par un élan volontaire ayant trait au ludus (Caillois, 1967, p. 75) et convoquant, par ailleurs, le plaisir éprouvé dans l’acceptation et dans la soumission au système de règles en vigueur dans le jeu, tel qu’analysé par Salen et Zimmerman (Salen & Zimmerman, 2004, p. 334). Pensé comme dispositif dont la spatialité est ouverte à la circulation (qu’elle soit libre ou sous contrainte), le jeu vidéo rend particulièrement puissante la fiction de l’entrée dans l’image.

Tous les points soulevés ici témoignent du caractère immersif du jeu vidéo en tant médium comme de sa capacité à donner corps à des mondes ouverts à une exploration incorporée. Dès lors, qu’en est-il quand le cadre fictionnel d’un jeu propose, paradoxalement, d’être transporté dans un monde refusant de se laisser habiter ? Quels peuvent être les modalités d’apparition et d’usage d’une spatialité contraignante ? Quels sont les enjeux afférents à un tel territoire hostile ?

Metro : l’apocalypse et après

La série de jeux vidéo Metro, à savoir Metro 2033 et Metro: Last Light, nous offre la possibilité d’appréhender ce paradoxe. Développés par le studio ukrainien 4A Game [7], ces jeux empruntent leur univers aux œuvres du romancier russe Dmitry Glukhovsky. Les romans dépeignent un monde tentant de survivre à une guerre nucléaire, à un pur anéantissement : une apocalypse générale qui, pour le dire avec les mots de Günther Anders, est nue, sans royaume (David, 2018, p. 128, 139). Ne s’arrêtant que très peu sur les causes du conflit, Glukhovsky s’intéresse à la vie qui tente de ne pas s’éteindre malgré le caractère irrémédiable d’une telle catastrophe [8]. Sous la surface vitrifiée de Moscou, dans les stations et les couloirs du métro, s’ébat une humanité « qui n[’est] plus en tant qu’être historique [9] mais comme un pitoyable résidu : comme une nature contaminée dans une nature contaminée » (Anders, 2002, p. 293). L’« apocalypse » n’est pas ici « dévoilement » comme son étymologie grecque l’indique (Nancy, 2012, p. 39). Au contraire, la catastrophe pose un voile lourd sur toute vie, pareil à un suaire fait de cendres radioactives ; elle n’ouvre sur rien, nie jusqu’à l’apocalypse elle-même. Aucun salut n’est accordé à ce monde, toute visée eschatologique lui est refusée puisque l’apocalypse n’y est ni renversement ni délivrance (Agnese & Hartog, 2018, p. 19).

Les trois romans (Metro 2033, 2034, 2035) invitent à suivre les péripéties d’Artyom, personnage qui sera au centre de la saga vidéoludique, et de Hunter, qui, pour sa part, n’occupe qu’un rôle secondaire dans les jeux. Ces personnages évoluent dans un monde clos qui tente de survivre et de se réorganiser plusieurs décennies après l’éradication de Moscou et du monde tel que nous le connaissons. On y assiste à des luttes de pouvoirs entre factions, auxquelles ces personnages prennent part, le plus souvent malgré eux. Le métro est soumis à une géopolitique très précaire faisant écho à l’ancien monde. La Ligne Rouge s’oppose au Quatrième Reich ; la Hanse [10], une confédération de marchands, rend possible la circulation des biens dans le métro ; les Brahmanes accumulent toutes sources de savoir ; l’Ordre (« Sparte » dans les jeux) opère dans le métro comme une force de défense autonome, ne répondant à aucune entité politique ; sectes, évangélistes, satanistes y prolifèrent, tout comme les êtres retournés à un état de nature indigent. Tous sont exposés aux menaces émanant de la surface irradiée qui engendre des créatures monstrueuses, au premier rang desquelles se trouvent les « Sombres », créatures télépathes menant à la folie toute personne croisant leur route, à l’exception d’Artyom. Tous sont associés à des stations et couloirs distincts dont le contrôle motivera nombre de tensions animant la trame narrative des romans comme des jeux.

Metro: Last Light. (2013). 4A Games/Deep Silver.

Ce contexte post-apocalyptique permet une mise à l’écart absolue caractéristique du basculement dysphorique (Maler, 1998, p. 277) : le monde de Metro est enfermé sur lui-même et constitue une entité qui, structurellement, renvoie à la « forme fondamentale de l’image utopique » (Jameson, 2007, p. 27). Mais ici, cet élan de sécession est contrarié parce qu’involontaire et brutal. Le monde anéanti de Metro est avant tout un monde dysphorique dont la forme témoigne de son statut. Le métro moscovite s’étend en rayonnant, formant une trame ponctuée de stations, s’effilant en tunnels de services, étendant des voies dont les extrémités se perdent sous terre, dans une obscurité insondable. Il est un organisme autonome et clos, un giron putride dont les méandres sont à la fois le terrain et les limites de cet univers condamné au repli. C’est un locus horribilis, c’est à dire un lieu d’écart dysphorique (Bermejo Larca, 2012, p. 9), contenu en lui-même, que les jeux Metro invitent à fréquenter. Il s’agit donc de cerner à présent comment joueurs et joueuses entrent en contact, via l’activité de jeu, avec ce monde, et selon quelles modalités.

Une économie de la contrainte

Sans pour autant en revendiquer la filiation, les jeux Metro empruntent aux jeux vidéo de survie horrifique des règles strictes de game design. Faisant écho à Silent Hill (Konami, 1999) ou Alien: Isolation (The Creative Assembly, 2014), pour citer des exemples paradigmatiques du genre, leur système de jeu est fondé sur les idées de carence et de privation. Par le gameplay [11], il s’agit d’expérimenter un rapport de force déséquilibré, qui se fait en la défaveur du joueur. Comme le résume B. Perron, ces jeux restent centrés en grande partie sur la mise en œuvre de l’action la plus fondamentale du médium vidéoludique : tuer pour survivre (« kill in order to survive ») (Perron, 2018, p. 1). De plus, les jeux vidéo apparentés au genre survival horror cherchent dès les premières occurrences à décupler cette tension en imposant un manque cruel de ressources [12] (Perron, 2009, p. 5) : le personnage joueur y est nécessairement dépourvu de force vitale, de résistance, de puissance offensive. En outre, les munitions y sont excessivement rares, comme tout autre expédient permettant de se défendre ou de se soigner (Therrien, 2009, p. 36-37). Ainsi, l’instinct de conservation est largement mobilisé (Baychelier, 2014, p. 82) afin d’offrir la possibilité du frisson plaisant procuré par la tension du manque, par un sentiment certain de vulnérabilité. En s’appuyant sur de telles mécaniques (sans pour autant s’y limiter), Metro 2033 et Last Light se montrent parfaitement cohérents : ils imposent un rapport au monde du jeu qui adhère à celui que tous les personnages doivent y adopter. Ressources les plus nécessaires qui servent à se défendre et à faire du troc, les munitions doivent être recherchées dans tous les recoins du métro, jusque sur les cadavres que l’on laisse derrière soi. Il en va de même pour les trousses de soins et les filtres pour les masques à gaz.

Metro: Last Light. (2013). 4A Games/Deep Silver.

Dans la logique propre aux productions horrifiques, cetteéconomie de carence s’étend aux modalités de perception de ces jeux qui se présentent sous la forme de jeux de tir à la première personne, s’inscrivant ainsi dans la longue histoire des First-Person Shooter (Therrien, 2015). Outre l’avantage tiré de l’adoption, par la vue FPS, d’une vue continue (Galloway, 2006, p. 65), il apparaît que pareil régime de vision peut offrir, comme le rappelle M. Triclot, de développer le rapport affectif des joueurs à ce qu’ils perçoivent,

à commencer par le sentiment de peur qui l’accompagne aisément, et qui fait partie des rares émotions que le jeu parvient à transmettre sans forcer […]. Il y a ici une alliance entre le dispositif artificiel de la vue en première personne à l’écran et une altération du régime normal de la vision dans le jeu, qui converge vers un certain type de contenus : soit du côté du genre horreur, où quelque chose peut toujours surgir, d’un angle que la vision périphérique n’avait pu explorer, soit du côté de l’agression et de la chasse qui requiert la même restriction et focalisation de la zone de vision (Triclot, 2011, p. 83).

Cette modalité expérientielle, telle que décrite ici, fait clairement écho aux intentions motivant le game design de Metro. Cependant, malgré l’apparente immédiateté de ce dispositif de vision (par ocularisation interne) [13], les jeux de la série Metro imposent des stratégies de regard complexes, parce que contrariées. En effet, jouant de leur contexte souterrain, Metro 2033 et Last Light imposent une limitation du champ visuel par le recours à une obscurité dédiée à entraver le regard afin de générer un sentiment d’insécurité lié à la peur de l’anticipation de l’émergence d’antagonistes (Perron, 2004, p. 132-141). Ces jeux invitant à la furtivité, il est néanmoins possible de tourner cette contrainte visuelle à son avantage en réduisant les sources de lumière (ampoules électriques, lampes à huile, projecteurs) à des fins tactiques. Il n’en reste pas moins que le regard est contraint par occlusion, même s’il peut parfois être assisté par des dispositifs aidant à pénétrer l’obscurité — dont la contrepartie est la défiguration partielle du perçu.

 Bien que l’obscurité soit ambivalente (en permettant la furtivité), elle est avant tout source d’une cécité qui peut être fatale pour le personnage joueur [14]. Le recours à la couleur noire tend à provoquer chez le joueur une peur dont l’intensité tient à la capacité de cette substance à engendrer des monstres, manifestations dynamiques de la contrainte. Les romans (notamment 2034) insistent sur la capacité de l’obscurité à prendre vie, à se faire dévorante. En tant qu’elle est une matière épaisse et nocive renouant avec l’étymologie latine « noxius » (Pastoureau, 2008. p. 35) du mot « noir », l’obscurité est l’ennemi premier de l’univers littéraire de Metro. Dans les jeux, elle est la matrice permettant le surgissement de formes hostiles. À l’exception de la « biomasse » envahissant le bunker D6 ou des « démons » volants dont les tactiques de coercition ont trait à leur vitesse de déplacement et aux trajectoires qu’ils empruntent, tous les monstres composant le bestiaire de la série habitent des recoins sombres, des angles morts et des béances. Ils exploitent la capacité du noir à se faire obstacle, tant sur le plan perceptuel qu’affectif.

Ce ressort émotionnel ainsi que les contraintes ludiques, visant à faire éprouver un sentiment relatif de mise en danger, font écho à l’architecture accidentée du métro. Outre son tracé tentaculaire, la structure du métro fait signe vers les enjeux spatiaux de la pratique ludique horrifique. Tout comme les corps des monstres possédant une puissance d’écart relative au dégoût qu’ils provoquent du fait de leur anormalité [15], le métro moscovite relève de la ruine — en tant qu’elle est forme symbolique renvoyant à l’idée d’expiation (Forero-Mendoza, 2002, p. 135). Rappels métonymiques de la catastrophe, les tunnels du métro, effondrés et fragmentaires, béants ou engloutis, se constituent en obstacles obligeant à une exploration conjecturale perturbant toute activité de « cartographie mentale » [16]. Les espaces traversés sont cellulaires, des modules prompts à enfermer, qu’il s’agisse des sections de tunnels encombrées, des locaux techniques ponctuant le réseau ou des rames de métro réduisant encore plus l’étroit chemin laissé pour progresser. En outre, aucun espace, même celui des stations, n’est fait pour véritablement accueillir d’autres présences que celles des monstres qui, s’ils ne sont pas mutants, sont, au mieux, des humains rongés par la haine, la vilénie ou l’hybris. La volumétrie étriquée des espaces modélisés dans les jeux rend nettement perceptible l’idée, développée dans les romans, d’un métro devenu parc humain, menacé de toutes parts. En jouant de la présence volumique d’une image 3D à la fois révélée et occultée, ces jeux proposent une qualité d’immersion rendant saillante une impression de confinement dont l’incidence est de permettre l’expression d’affects négatifs, au premier chef desquels l’angoisse vécue comme resserrement [17].

Metro: Last Light. (2013). 4A Games/Deep Silver.

À l’évidence, le métro imaginé par Glukhovsky, et auquel 4A Games a donné corps, n’est pas un lieu à vivre. Les joueurs ne semblent jamais pouvoir vraiment y trouver le salut, ni même le repos. Dès lors, quelles peuvent être les modalités de séjour dans un tel espace ? En quoi la structuration de cet espace de jeu peut-elle moduler les tensions phoriques[18] et la relation ludique qu’il est possible d’entretenir avec lui ?

Une économie de la catastrophe

Les romans Metro possèdent une très forte dimension géographique dont témoignent les cartes incluses dans les diverses éditions. Ce rapport à l’espace trouve à s’exprimer dans leurs transpositions vidéoludiques. Outre leur agencement local permettant d’établir des parcours fait d’obstacles sur lesquels achopper, les unités spatiales proposées par les romans s’offrent comme un modèle idéal de level design. L’espace navigable y est décomposé en motifs dont la fonction est double : s’offrir comme terrain de jeu et, dans le cas de jeux narratifs comme Metro, porter, le temps de leur traversée, un récit dont les joueurs doivent dérouler l’écheveau.

La structuration spatiale de Metro convoque la figure du labyrinthe, espace ludique capable de générer stress et peur — qui fait partie de l’ADN des jeux vidéo dès ses premières occurrences, comme en témoigne Pac-Man (Namco, 1980). En tant que dispositif spatial et temporel (Chomarat-Ruiz, 2008, p. 157), il constitue un motif paradigmatique du parcours vidéoludique horrifique. De fait, ainsi représenté, l’espace contraint le regard, empêche sa compréhension immédiate. E. Kirkland oppose deux types de structures vidéoludiques labyrinthiques (Kirkland, 2009, p. 74), à savoir : maze-like linearity (une linéarité à l’apparence labyrinthique reposant sur le tracé d’un motif labyrinthique unicursal[19]) et multi-branching rhizome (structure rhizomatique à bifurcations multiples dont l’appréhension ne peut se faire linéairement en raison de son tracé multicursal). Cette analyse centrée sur les jeux vidéo fait suite à celle, plus générale, réalisée par U. Eco (Eco, 2010, p. 84) caractérisée par la discrimination de trois motifs (labyrinthe unicursal, dédale/Irrweg mutlticursal, réseau-rhizome) auxquels M. Nitsche ajoute, dans le cadre de son analyse des espaces vidéoludiques, celui de « dédale logique » (logic maze) dont la forme est modulable (Nitsche, 2008, p. 177). La force des jeux Metro est de proposer un level design offrant, à qui les pratique, l’illusion de pénétrer dans des labyrinthes dont la structure serait rhizomatique : celle d’un réseau s’étendant en toutes directions, adhérant ainsi aux descriptions faites par Glukhovski. Pourtant, c’est par le jeu de la fiction et de sa mise en image (obscure et heurtée) que cette impression est communiquée aux joueurs et aux joueuses.

Au-delà de la complexité de son tracé, Metro s’ouvre à la dimension symbolique de ce motif qui est, fondamentalement, lieu d’initiation rendant possibles les récits (Requemora 2004, p. 121). Ainsi, la trame du métro incarne le propos narratif [20] des jeux ; son motif forme celui de la carte du récit. Le schéma narratif des romans joue de l’intrication du cheminement des personnages, de leur positionnement géographique et de la survenue d’événements à même de redynamiser le récit. Plus que l’apocalypse, ce qui donne à Metro sa force narrative est une véritable économie de la catastrophe, en tant que la catastrophe est, comme l’écrit Annie Le Brun : « Un événement qui est à la fois une rupture et un changement de sens et qui, de ce fait, peut aussi bien être un commencement qu’une fin. Bref, un événement décisif qui perturbe l’ordre du monde dût-il en amener un autre » (Le Brun, 2011, p. 25-26). Dans Metro, chaque nouveau lieu, chaque destination est l’occasion d’un bouleversement, qu’il soit écologique, économique, politique, militaire ou sanitaire. De ces effondrements répétés nait une dynamique. Tout ici est question de transit.

Metro 2033. (2010). 4A Games/THQ, Deep Silver.

Contrairement à des jeux comme Fallout 3 (Bethesda Game Studios, 2008) et Fallout 4 (Bethesda Game Studios, 2015) qui, au-delà de leur gameplay (qui mélange jeu de tir et jeu de rôle) et de leur structure (en monde ouvert), partagent avec Metro leur contexte de survie post-apocalyptique nucléaire, rien n’invite jamais ici à séjourner dans le monde du jeu. À travers chaque séquence, les personnages, et avec eux les joueurs, participent à un flux. Les couloirs du métro les charrient malgré/grâce à sa structure précaire et encombrée. S’engage ici un rapport moteur à l’entrave qui se fait « organe-obstacle », au sens qu’en donne Jankélévitch[21] : une gêne nécessaire, inscrite au cœur même d’un dispositif, organe interne engageant à la pratique d’un « faire-malgré ». À titre d’exemple, Fallout 3 déploie une spatialité dont le dynamisme n’est pas propre à chaque espace mais à leur interconnexion. Le ressort principal du jeu pensé en « monde ouvert »[22] est d’inviter à l’exploration d’une étendue constellée de zones ramassées sur elles-mêmes (grottes, entrepôts, métro, bases, etc.). Ainsi, la friction entre le clos et le déclos installe une respiration dont la force est d’imprimer une dynamique pulsatile faite de flux, de reflux mais également de pauses.

À l’inverse, les jeux Metro refusent pareilles pauses et installent le rythme continu d’un flux dont les joueurs doivent soutenir l’expérience au fil de l’écoulement du personnage dans les tunnels tentaculaires du métro. Bien sûr, tout comme dans les romans, Metro 2033 et Last Light permettent de s’aventurer hors du métro, à la surface désolée de Moscou. Mais la surface y est hostile au point de conférer aux sous-sols une certaine aménité[23]. Outre les créatures monstrueuses que l’on y croise, joueurs et joueuses sont confrontés à un péril plus sournois encore : la radioactivité.

Metro: Last Light. (2013). 4A Games/Deep Silver.

Ce danger relatif à la diégèse trouve à renforcer les enjeux de visibilité propres à l’expérience horrifique dans laquelle s’inscrivent ces jeux. En guise de dispositif de perturbation, l’obscurité du métro fait place à la surface embuée, tâchée et parfois fêlée du masque à gaz que doit obligatoirement porter Artyom, sous peine de s’effondrer. Le regard du joueur, adhérant par ocularisation interne à celui du personnage, se heurte à une surface limitant son accès au monde pourtant déclos de la « surface ». Moscou n’est pas le « Wasteland » de Fallout qui, malgré sa dangerosité, se laisse traverser en toutes directions et se montre propice une errance envisagée comme pratique laborieuse dont le terme semble toujours s’éloigner, bien plus que dans sa valence positive d’ « effort d’absence volontaire, de déracinement voulu, de distanciation active par rapport à son milieu [24] » dont parle Akira Mizubayashi (Mizubayashi, 2014, p. 107). Moscou se laisse à peine regarder et seulement traverser au prix d’une mise en danger dont le crépitement du dosimètre et l’écoulement du chronomètre (qui indique la durée de vie des filtres du masque à gaz) rappellent avec insistance l’inexorable survenue. Que cela soit sur ou sous la terre, Metro refuse l’immobilité à qui s’y trouve, que cela soit à cause de l’impossibilité de tout contact (avec l’extérieur devenu toxique) ou, inversement, dans le mouvement heurté des achoppements (imposé par le contact avec les scories donnant leur forme aux environnements). De par un contexte post-apocalyptique qui induit que tout contact avec le monde s’y fait dorénavant au coût d’une grande mise en danger, Metro s’offre comme un outil pour penser un rapport à l’espace fondé sur le flux et, plus encore, le transit.

Conclusion : de la relation à l’image comme facteur essentiel de l’immersion ludique

Le dispositif ludo-narratif développé (à ce jour) par les jeux vidéo de la série Metro éclaire nettement les enjeux d’une immersion en territoire hostile. Ces jeux proposent de faire l’expérience d’une plongée rendue possible par l’adéquation du cadre fictionnel hérité des romans de Glukhovsky à des attendus ludiques faisant de la contrainte exacerbée une force motrice paradoxale. L’immersion y est conditionnée par l’écosystème propre à l’univers de Metro, qui conjugue milieu hostile, dynamique de la catastrophe, économie de carence, manifestations monstrueuses, et dont les contours dessinent ceux du système de jeu. Dès lors, apparaît le paradoxe d’une immersion dont les conditions sont constamment contrariées, en tant que le séjour est une modalité première de l’immersion. Soumis au flux, joueurs et joueuses sont constamment empêchés de stationner dans ce métro, d’en goûter l’atmosphère. L’effondrement catastrophique impulse une mise en mouvement continue. Mais à travers le cheminement imposé, joueur et joueuses sont conduits à éprouver un contact avec l’image qui dépasse le champ de l’iconographique. Au-delà de l’attrait que peuvent exercer les représentations portées par le contexte narratif de ces jeux, s’impose un mode de présence de l’image impliquant une présence dans l’image, dont il est possible, malgré la pression du flux généré par le travail conjoint du récit et de l’activité de jeu, de goûter la texture comme le caractère volumique. L’image se fait milieu d’imprégnation à même de moduler l’intensité du rapport affectif entretenu avec ces jeux. En se montrant hostile au regard, en se faisant dense et opaque, profonde ou frontale, lisible ou inintelligible, bref, en jouant de sa plasticité, l’image permet ici la manifestation d’un large registre d’affects qui, même s’ils sont négatifs, participent à l’émergence du sentiment d’immersion. La relation à l’image proposée par Metro est fondée par une économie de regard contre-intuitive. En effet, sa force réside dans le fait de faire percevoir le caractère praticable des espaces modélisés par la contrainte. Dès lors, elle rend possible les conditions d’une plongée immersive dans un monde qui est pourtant tissé par une trame ludo-narrative dont le rythme et les exigences laissent croire qu’il est définitivement condamné à ne pas être foulé.

Références

Agnese R. & Hartog F., (2018), « Des Images pour penser la catastrophe. Dialogue sur la photographie et le présentisme », in C. Coquio, J.-P. Engélibert, R. Guidée, L’Apocalypse : une imagination politique, Paris, Presses Universitaires de France, p. 17-30.

Amato E. (2014), « L’Immersion par le jeu vidéo : origine et pertinence d’une métaphore significative », in B. Guelton, Les Figures de l’immersion, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, p. 39-59.

Anders G. (2002), L’Obsolescence de l’homme : sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle, Paris, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances .

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Chercheur rattaché à l’E.A. CLARE (Université Bordeaux Montaigne), Guillaume Baychelier est Docteur en Art et Sciences de l’art, agrégé d’arts plastiques et artiste vidéaste. À travers une démarche iconologique croisant divers champs artistiques, son travail de recherche s’attache à mettre en lumière les spécificités du jeu vidéo en tant que médium producteur d’images et à interroger son inscription dans l’histoire des images. Sa thèse à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (2016) est consacrée aux « dispositifs de contrainte : iconologie interartiale et vidéoludique des corps monstrueux ».A publié plusieurs articles liés à ce champ de recherches : « Jeux vidéo horrifiques et artialisation des émotions extrêmes » (Nouvelle revue d’esthétique), « Méduse à l’épreuve des affects : iconologie interartiale des figures monstrueuses radicales » (Presses Universitaires de Rennes) ou encore « Le corps-machine comme machine à image : enjeux de l’iconographie cyberpunk de la série vidéoludique Deus Ex » (Presses de l’Université de Montréal).

Abstract :

After shortly highlighting the necessary conditions of the video game immersive experience this text shows how the use of the post-apocalyptical context of the Metro series’ video games (Metro 2033, Metro: Last Light) gives the opportunity of building a gameplay that matches perfectly the inner ecology of this fictional universe. This study shows how the restraining spatiality of these games allows to observe the fallouts of video games representation on the quality of the immersive experience they provide.

Keywords : Metro, post-apocalyptic, videogames, game space, representation, video game image.


[1] Conception graphique et structurelle des niveaux d’un jeu vidéo sur le plan géographique et architectural appliqué à l’organisation des épreuves auxquelles sera confronté le joueur.

[2] En tant que la diégétisation rend possible un effet de monde qui doit moins au récit qu’à la capacité du spectateur à se projeter dans l’univers fictionnel, comme le montre R. Odin à propos du cinéma (Odin, 2000 p. 22).

[3] L’image vidéoludique adhère aux conditions formulées par Odin quant à l’élaboration d’un « effet de monde » : « figurativiser, effacer le support et considérer l’espace qui [est] donné à voir comme un espace habitable » (Odin, 2000, p. 23).

[4] « [L]e play désigne l’activité plaisante du jeu (en tant qu’expérience vécue), par opposition au game, qui se rapporte au système formel du jeu (en tant qu’ensemble de règles et de mécanismes) » (Vial, 2012, p. 244).

[5] La déclosion implique celle d’éclosion, de création d’un monde se faisant dans un renversement de ce qui est enclos (Nancy, 2005).

[6] « Espen Aarseth a inventé les termes de « noématique » pour qualifier la composante cognitive de la lecture, et « ergodique » pour qualifier l’activité physique supplémentaire qui représente un travail spécifique de la part du lecteur. La lecture d’un livre est donc une activité purement noématique, alors que celle d’un hypertexte est noématique et ergodique. […] Cette dualité confère une dimension ludique à la lecture d’une œuvre numérique interactive» (Bootz, 2006).

[7] Dont certains membres ont participé auparavant au développement de STALKER: Shadow of Chernobyl (GSC Game World, 2007).

[8]« La catastrophe atomique — militaire ou civile, toutes différences gardées — reste la catastrophe tendanciellement irrémédiable, dont les effets se propagent à travers les générations, à travers les sols, toutes les espèces de vivants et l’organisation à grande échelle de la production de l’énergie, donc aussi de la consommation » (Nancy, 2012, p. 11-12).

[9] La problématique de la réinscription dans une historicité de cette population coupée de tout passé est incarnée dans Metro 2034 par le personnage d’Homère (Nikolaï Ivanovitch), animé par la volonté de bâtir un récit à même de donner du sens à tous les événement auxquels il assiste et prend part.

[10] Précisément : la Confraternité des stations de la ligne Koltsevaïa.

[11] « [Le terme] gameplay est employé pour qualifier les modalités d’action laissées à disposition du joueur pour agir dans l’œuvre […].  Lorsqu’il actualise un jeu vidéo, le joueur va prendre connaissance du fonctionnement du système, de ses mécanismes (game) et va en éprouver le potentiel de “jeu” (la jouabilité) en adoptant une attitude ludique (play), ce qui traduit le terme gameplay en regroupant ces deux aspects dans une même notion de forme nominale » (Genvo, 2009, p. 143-144).

[12] En témoignent les conventions ludiques installées par le jeu fondateur du sous-genre survival horror, Alone in the Dark (Infogrames, 1992), visant à contraindre les joueurs par un cadre ludique extrêmement strict — associé à des procédés de mise en scène jouant sur la tension crée par le hors-champ (Roux-Girard, 2009, p. 151).

[13] Notion empruntée à François Jost et qui répond au principe simple selon lequel « le point de vue qui représente l’univers fictionnel au joueur [y] correspond à celui du sujet fictionnel regardant » (Genvo, 2009, p. 140).

[14] « Personnage principal du jeu, dont le point de vue et le corps sont ceux du gamer lorsqu’il joue » (Perron, 2016, p. 152).

[15] Au sens d’an-omalos, l’inégal, l’irrégulier, et donc d’une irrégularité dont la perception convoque l’idée de monstruosité.

[16] « Navigation is more than merely getting from one place to another; it is a cyclical process which involves exploration, the forming of a cognitive map of how spaces are connected, which in turn aids the decision making processes employed by the player to move through those spaces for further exploration » (Wolf, 2011, p. 19).

[17] « Angoisse » dérive du latin « angustia », lui-même dérivé du verbe angere (serrer, resserrer). Dans son acception moderne, « angoisse » renvoie à la notion d’anxiété se traduisant par un resserrement pénible de l’épigastre. (Rey, 1992, p. 78-79).

[18] Au sens qu’en donne Greimas et Fontanille dans la Sémiotique des passions (Greimas, 1991, p.18-19) en tant que manifestations passionnelles (ayant pour butées l’eu-phorie et la dys-phorie).

[19] C’est-à-dire n’offrant qu’un seul chemin par opposition au labyrinthe multicursal proposant plusieurs voies et donc ouvrant à la possibilité de l’erreur.

[20] « Le labyrinthe est par lui-même le récit larvé, diffracté dans ses angles et ses replis, de tous ces mouvements perceptibles ou invisibles. Il est à la fois cause et conséquence de rites de déplacements » (Schefer, 2013, p. 122).

[21] « [C]ar c’est le malgré qui est lui-même paradoxalement le grâce-à […]. Telle est en effet l’ironie d’un “grâceà” qui prend son élan dans le “malgré”, tel le paradoxe de l’impediment qui est lui-même l’instrument ! » (Jankélévitch, 1983, p. 19).

[22] Ou « open world » : procédé de game design consistant à proposer une aire de jeu de grande taille ouverte à la navigation, pensée sue le modèle des « dispositifs ouverts ».

[23] « L’espace qui s’étendait devant lui, à droite, à gauche, était si incroyablement vaste qu’il ne pouvait l’embrasser d’un seul regard. C’était un spectacle hypnotique et qui faisait naître un profond sentiment inexplicable de mélancolie. L’espace d’une seconde, Artyom voulut retourner sous terre, se sentir protégé par des murs tout proches, plonger dans la sécurité et le confort d’un espace clos et borné » (Glukhovski, 2010, p. 520).

[24] Mizubayashi A., Petite éloge de l’errance, Paris, Gallimard, 2014, p. 107