Vers un « Nouveau Hollywood »? Considérations sur la métalepse dans le cinéma populaire contemporain

Louis-Paul Willis, PDF
Université de Montréal
Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

Résumé

Cet article vise à proposer des pistes de réflexion sur l’apport de la métalepse dans la complexité narrative croissante au sein du cinéma populaire contemporain. En tant que trope suscitant un intérêt passablement important dans le champ de la narratologie, la métalepse demeure largement absente des intérêts propres au champ des études cinématographiques et ce, malgré le fait qu’elle joue un rôle de taille dans l’élaboration des stratégies narratives plus complexes typiques au cinéma avant-gardiste, et plus récemment récupérées par le cinéma populaire. Le but de cet article est donc avant tout de définir les caractéristiques et les manifestations de la métalepse au cinéma, afin d’établir par la suite la pertinence d’une étude proprement cinématographique de cette figure et de son lien avec la réflexivité, un lien qui semble être à la base de certaines confusions conceptuelles.

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Figure de rhétorique étudiée depuis l’Antiquité, la métalepse est originalement apparentée avec la métonymie et la synonymie en ce sens qu’elle procède à « la substitution d’un signifiant à un autre » (Roussin 2005, 42). Acceptée comme telle pendant deux millénaires, et confinée au domaine de la poétique et de la stylistique, il faudra attendre le début du 19ème siècle pour que le rhétoricien français Pierre Fontanier en vienne à proposer la métalepse plutôt comme un trope permettant à l’auteur de s’immiscer dans l’univers de sa fiction (1). Finalement ce n’est que beaucoup plus tard, soit en 1972, que Gérard Genette établit les fondations sur lesquelles reposent encore aujourd’hui les débats modernes entourant cette figure. En effet, dans Figures III, Genette s’inspire de Fontanier pour approfondir en quelques pages une étude narratologique de la métalepse, qu’il rebaptise « métalepse narrative », sans doute dans le but de lui conférer toute sa spécificité et de bien la discerner de la figure précédemment étudiée. Pour Genette, la métalepse narrative représente « le passage [transgressif] d’un niveau narratif à un autre » (Genette 1972, 243). Certes, il appert que Genette n’est pas le premier à s’interroger sur la métalepse; son apport récent sert néanmoins de point de départ pour l’étude contemporaine et narratologique de ce trope.

L’intérêt marqué de la narratologie pour la métalepse peut de surcroît paraître encore plus récent, considérant la tenue en 2002 du colloque « La métalepse aujourd’hui » à Paris, qui a mené Genette (2004) à approfondir sa propre réflexion et qui a donné lieu à la parution d’un ouvrage collectif dirigé par John Pier et Jean-Marie Schaeffer (2005). Perçue par la narratologie contemporaine comme une « intrusion du narrateur ou du narrataire extradiégétique dans l’univers diégétique (ou de personnages diégétiques dans un univers métadiégétique, etc.) » (Genette 1972, 244), la métalepse narrative participe amplement à la construction de formes artistiques modernes et postmodernes, qu’elles soient littéraires, théâtrales, picturales ou cinématographiques. Mais il reste que la présence de la métalepse dans le cinéma narratif prédate les débats plus récents entourant cette figure complexe. En effet, lorsque Pier et Schaeffer (2005) affirment que « la métalepse narrative est une pratique beaucoup plus ancienne que son nom » (10), force nous est de constater que la présence de cette figure dans le cinéma est presque aussi vieille que le cinéma narratif lui-même. En acceptant provisoirement une définition plus élargie de la métalepse comme étant à la fois une « violation des niveaux narratifs » et un bris du « pacte représentationnel » (Pier et Schaeffer 2005, 12), il devient aisé de noter la présence de métalepses dans plusieurs films ayant marqué l’histoire du cinéma (2).

Dès ses premières décennies d’existence, le cinéma narratif fait l’expérimentation de récits enchâssés, tel que Robert Wiene (1920) le fait dans Das Cabinet des Dr. Caligari par exemple, où le récit enchâssant appartient à une réalité distincte du récit enchâssé (3). Ce type d’expérimentation filmique permet l’élaboration de complexités narratives qui se manifestent spécifiquement par la présence de niveaux diégétiques et ontologiques distincts. La transgression des frontières séparant ces niveaux ne tardera pas à se manifester, donnant ainsi lieu à la métalepse narrative au cinéma – le voleur tirant sur le spectateur dans The Great Train Robbery (Porter 1903) se montre d’ailleurs un exemple notoire des premières métalepses du cinéma narratif. Mais si la figure est généralement associée à la modernité et à la postmodernité au cinéma, comme c’est le cas chez Campora (2009), il importe de souligner sa présence et sa persistance dans les productions comiques de l’âge d’or de Hollywood. En effet, la métalepse se manifeste régulièrement au sein du cinéma burlesque et vaudevillesque de cette époque, particulièrement par le biais de mouvements des acteurs qui entrent et sortent de leurs rôles diégétiques. On peut notamment remarquer ce genre de métalepse dans les films mettant en vedette Bob Hope, le duo formé par William Abbott et Lou Costello, le duo formé par Dean Martin et Jerry Lewis et, plus récemment, dans les films réalisés par Mel Brooks (pour ne nommer que ces exemples). Jean-Marc Limoges (2008a) a d’ailleurs publié dans Humoresques un article qui explore précisément la question des effets comiques liés à certaines formes de métalepses filmiques dans le cinéma de Brooks, et sur lequel nous aurons la chance de revenir. Ajoutons pour l’instant que le cinéma animé expérimente rapidement avec la métalepse dans le but de générer, lui aussi, des effets comiques; les animations créées par Tex Avery pour les studios Warner Brothers, MGM et Walter Lantz constituent ici d’excellents exemples (4). Plus récemment, les animations The Simpsons et Family Guy tendent à poursuivre cette longue tradition de ruptures métaleptiques diverses dans l’animation filmique et télévisuelle. Notons également que le comique reste le seul genre populaire ayant fait usage de la métalepse, la figure étant longtemps restée absente des autres genres hollywoodiens. Toutefois, comme le remarque Limoges (2008a), la métalepse ne crée pas « forcément des effets comiques » (31), même si elle s’y prête très bien; elle peut également être tributaire d’une certaine radicalité dans le cinéma (et dans la fiction au sens plus large), une fonction pour laquelle elle est plus couramment reconnue dans le champ des études narratologiques.

En effet, en mettant de côté le genre comique, il est possible de noter que l’usage de la métalepse a longtemps été typique au cinéma expérimental et avant-gardiste. Dans l’introduction de leur ouvrage collectif, Pier et Schaeffer (2005) notent bien comment la métalepse se veut un « dispositif expérimental qui explore les frontières de l’acte représentationnel » (12), ce qu’elle fait de façon marquée à partir des années 1950 et 1960 surtout. Dès ce moment, on peut noter la présence grandissante et persistante de la métalepse dans le cinéma moderne, notamment celui de la Nouvelle Vague française qui tente de remettre en question le réalisme du cinéma hollywoodien. La figure se voit alors récupérée par des auteurs et réalisateurs qui visent non pas à faire rire, mais à déstabiliser. Dans cette optique, À bout de souffle (Godard 1960) se veut certes un exemple des plus notoires, l’illusion de réalité étant rompue par plusieurs dispositifs. Alors que les faux-raccords de Godard ne sont pas métaleptiques en soi, les interpellations de Michel Poiccard (Jean-Paul Belmondo) à l’endroit du spectateur, elles, le sont. Godard explore également cette forme de métalepse dans Pierrot le fou (1965), notamment au moment où Ferdinand (Jean-Paul Belmondo) se tourne pour adresser la parole au spectateur ; Marianne (Anna Karina) lui demande alors à qui il parle, et il lui répond qu’il parle au spectateur. Le réalisateur va même jusqu’à effectuer des citations au caractère métaleptique, incorporant dans le monde diégétique des connaissances extradiégétiques; c’est le cas dans Une femme est une femme (1961), lorsque Alfred (Jean-Paul Belmondo) mentionne le fait que À bout de souffle joue à la télévision et qu’il ne veut pas manquer l’occasion de l’écouter chez son ami Marcel (5). Conséquemment, il est aisé de voir dans le refus des conventions narratives hollywoodiennes chez Godard l’exemple parfait d’une mise en forme moderne et avant-gardiste de la métalepse narrative; Dorrit Cohn (2005) dira d’ailleurs de la métalepse qu’elle se veut « une rupture radicale de la frontière normalement close entre l’action narrative et l’acte narrateur » (125, nous soulignons). Ainsi, depuis l’avènement du cinéma moderne, qui cherche délibérément à créer une rupture avec les conventions du cinéma populaire hollywoodien, la métalepse peut être perçue comme tributaire d’un cinéma radical et avant-gardiste.

Étant données les diverses manifestations précédemment évoquées de la métalepse au cinéma, il demeure surprenant de constater que relativement peu ait été écrit sur le sujet dans le champ des études filmiques. Cela laisse planer plusieurs interrogations, dont la plus importante viserait à savoir comment un dispositif associé à la culture cinématographique burlesque et vaudevillesque a été repositionné comme un des catalyseurs de la radicalité avant-gardiste. De plus, en considérant cette connexion de la métalepse avec la modernité plus radicale au milieu du 20ème siècle, il serait légitime de se demander dans quel contexte et dans quelles visées esthétiques la figure se trouve à refaire surface, comme il nous sera possible de le constater, dans plusieurs genres hollywoodiens depuis les années 1990. Alors que de rares contributions au champ des études filmiques tentent de proposer des pistes de réponse à cette question, l’impossibilité de la résoudre définitivement mène vers la nécessité d’avancer une notion précise de la métalepse narrative au cinéma, et cela notamment en raison des possibles confusions avec la réflexivité et l’autoréflexivité, des phénomènes amplement scrutés dans le champ des études cinématographiques (6). En effet, dans sa forme actuelle et à travers ses parentés avec les dispositifs réflexifs, le concept de métalepse risque une expansion telle qu’il devient difficile d’en cerner le sens et la portée avec concision. Il devient donc nécessaire de se pencher sur de possibles précisions permettant de discerner la métalepse des phénomènes liés à la réflexivité. Dans cette veine, après avoir effectué un bref retour typologique sur la figure, nous serons à même de constater comment la présence de la métalepse au cinéma tend à impliquer le spectateur dans le mécanisme narratif ainsi que dans la réception filmique, ce qui confère à la figure une certaine spécificité. Cela nous mènera enfin à voir comment la métalepse peut (et doit) être abordée de façon distincte et dissociée de la réflexivité. Le but de cet article se déploie conséquemment sur deux fronts : nous soulignerons d’une part des problématiques entourant l’étude filmique de la métalepse, tout en interrogeant d’une autre part les apparitions plus fréquentes de la figure au sein du cinéma hollywoodien contemporain. Loin de prétendre résoudre de façon définitive ce questionnement émergent et complexe, nous tenterons pour le moins de proposer des pistes de réflexion pouvant servir à des études plus poussées de la métalepse filmique, qui suscite un intérêt croissant dans le champ d’études.

1- Typologies de la métalepse

Avant de discuter des types de métalepses et de leurs caractéristiques respectives, il convient de rappeler certaines notions narratologiques propres à l’étude des récits cinématographiques présentant des trames narratives plus complexes (7). La théorie du cinéma a effectivement vu se développer plusieurs approches visant à aborder les films présentant de telles narrations. Selon la contribution récente de Jane Stadler et Kelly McWilliam (2009), ces narrations complexes peuvent comporter à la fois plusieurs récits parallèles, ou plusieurs récits enchâssés; on se retrouve alors devant deux grandes catégories de « narrations complexes » : les narrations multi-composantes (« multi-strand narratives ») et les narrations multiformes (« multiform narratives »). Stadler et McWilliam définissent comme multi-composante la structure d’un film qui présente plus d’une narration. Nous pourrions citer en exemple des films tels Magnolia (Anderson 1999), Amores Perros (Iñárritu 2000) et Crash (Haggis, 2004), qui présentent plusieurs protagonistes évoluant dans des temporalités fragmentées et des espaces séparés. Comme les personnages évoluent dans le même univers diégétique, la complexité de ces films découle spécifiquement de la multiplication des éléments narratifs que le spectateur doit prendre en compte afin de construire le sens et la chronologie du film. Stadler et McWilliam définissent par ailleurs la narration multiforme comme une narration qui présente plusieurs univers diégétiques. Ces films sont similaires aux films avec narration multi-composante puisqu’ils présentent plusieurs narrations; leur particularité réside dans le fait que leur multiplicité narrative n’est pas seulement structurale, mais également ontologique. Ces narrations présentent des réalités parallèles ou alternatives au sein de leurs composantes diégétiques; elles sont communes dans le cinéma artistique, où elles servent souvent à illustrer la perspective interne/subjective d’un ou des personnage(s), entre autres (8). Nous pourrions citer en exemple Das Cabinet des Dr. Caligari, mentionné précédemment, ainsi que (Fellini 1963) et, plus récemment, Mulholland Drive (Lynch 2001), Eternal Sunshine of the Spotless Mind (Gondry 2004) et Inception (Nolan 2010). Dans ces films, le spectateur est confronté non seulement à plusieurs narrations, mais à plusieurs niveaux de réalité qui se déclinent à travers la multiplication des trames narratives (9). Étant données leurs structures englobant plusieurs univers diégétiques, les films présentant une narration multiforme peuvent aisément se prêter à des configurations métaleptiques, ce qui nous mène à effectuer un bref détour conceptuel visant à mieux définir cette figure complexe.

Même si la discussion qu’effectue Genette (1972) sur la métalepse dans Figures III reste sommaire, elle renferme néanmoins les fondations nécessaires ayant permis à des penseurs contemporains de discerner deux types de métalepse, qui seront développés entre autres par Brian McHale (1987) et Marie-Laure Ryan (2004 et 2005). Genette s’attarde avant tout à effectuer un rapatriement définitif de la notion de métalepse dans le champ de la narratologie. Dans les trois pages qu’il consacre à la figure en 1972, il réussit à soulever un nombre important de questions sur son déploiement narratif, ainsi que sur ses répercussions sur le lecteur/spectateur. Marie-Laure Ryan résume de façon efficace la façon dont les propos de Genette désignent avant tout la métalepse rhétorique, alors que ceux de McHale, publiés quinze ans plus tard, s’attardent plutôt à la métalepse ontologique (Ryan 2005, 207). Dans sa forme la plus répandue, du moins avant l’avènement de la modernité, la métalepse se veut avant tout rhétorique : dans cette optique, elle « fait vaciller la distinction entre les deux niveaux narratifs – entre le monde de celui qui raconte et le monde de ce qui est raconté » (Pier et Schaeffer 2005, 11). C’est généralement ce genre de métalepse qui est au cœur des traditions comiques mentionnées précédemment, notamment au sein des animations de Tex Avery – nous pourrions également ajouter comme exemple ici les animations La Linéa de Osvaldo Cavandoli (1972), dans lesquelles le personnage s’adresse régulièrement à son dessinateur, souvent pour se plaindre des situations dans lesquelles il a été dessiné; il s’en dégage un effet comique lié aux interactions entre créateur et personnage. Ainsi abordée, la métalepse rhétorique permet communément à l’auteur de s’immiscer dans son œuvre, tel que Diderot le fait dans Jacques le fataliste lorsqu’il propose au lecteur de passer d’une partie du récit à une autre. Pour emprunter des exemples au cinéma, nous pourrions citer l’intervention que fait Alfred Hitchcock au début de The Wrong Man (1956), lorsqu’il explique au spectateur l’origine véridique de l’histoire du film qu’il s’apprête à visionner. Les interpellations de Jean-Paul Belmondo à l’endroit du spectateur dans plusieurs films de Godard, dont certains ont été mentionnés précédemment, constituent ainsi une forme de métalepse rhétorique, une métalepse qui est également courante dans le cinéma de Woody Allen – l’exemple le plus notoire étant l’interpellation de Alvy Singer (Woody Allen) à l’endroit du spectateur au début de Annie Hall (1977). Ce même film comporte d’ailleurs une autre séquence métaleptique au sein de laquelle un personnage extradiégétique (Marshall McLuhan) s’adresse aux personnages diégétiques, brouillant à nouveau les niveaux narratifs. Ainsi, comme le résume adéquatement Matthew Campora (2009), « the boundary crossing of rhetorical metalepsis, as the name suggests, is verbal » (125) – ou du moins est-ce fréquemment le cas au cinéma.

De son côté, la métalepse ontologique repose plutôt sur un bouleversement narratif qui confond des niveaux diégétiques distincts, ce type de métalepse pouvant aisément déborder du récit pour intégrer la réalité – c’est le cas dans la nouvelle littéraire The Kugelmass Episode de Woody Allen (1977), utilisée en exemple par Marie-Laure Ryan (2005), où un professeur d’université se rend dans l’univers flaubertien pour entretenir une relation amoureuse avec Emma Bovary. Ce faisant, il change l’intrigue du roman, menant « les professeurs de littérature du monde entier [à être] affolés de découvrir Emma en compagnie d’un juif de New York » (Ryan 2005, 204). Présentant une transgression beaucoup plus destructive des frontières séparant les niveaux diégétiques (Campora 2009, 125), la métalepse ontologique procède à un effondrement des niveaux et à « l’interpénétration des domaines qu’ils représentent » (Ryan 2005, 208). En voulant proposer une distinction limpide entre les deux types de métalepse, Ryan affirme d’ailleurs que « la métalepse rhétorique présente un acte de communication entre deux membres du même monde au sujet d’un membre d’un autre monde, [alors que] la métalepse ontologique met en scène une action dont les participants appartiennent à deux domaines distincts » (Ryan 2005, 207) (10). Force nous est donc de constater que les types de métalepse se distinguent non seulement par leur façon de rompre le pacte représentationnel, mais également par les effets qu’ils produisent; alors que la métalepse rhétorique se prête aisément à des effets plus comiques, la métalepse ontologique se veut porteuse d’une forme de radicalité qui la rend peu utilisée dans le cinéma populaire classique.

Pour sa part, Dorrit Cohn (2005) apporte certaines précisions en distinguant la métalepse extérieure, qui « se produit entre le niveau extradiégétique et le niveau diégétique » (122), de la métalepse intérieure, qui « se produit entre deux niveaux de l’histoire elle-même » (122), et donc entre le niveau diégétique et le ou les niveaux métadiégétiques. Une métalepse rhétorique peut donc être extérieure, lorsqu’il y a adresse au spectateur ou à l’auteur, mais elle peut aussi être intérieure, lorsqu’un personnage métadiégétique s’adresse à un personnage diégétique. Il en va de même pour la métalepse ontologique, qui peut être extérieure en brouillant la frontière entre le monde extradiégétique et le monde diégétique, ou intérieure en brouillant la frontière entre le monde diégétique et un ou des mondes métadiégétiques. Tout en complexifiant la donne, cette distinction s’avère cruciale puisque Cohn précise plus loin que la métalepse intérieure « ne semble appartenir qu’à la modernité » (125), confirmant de ce fait la différence entre la métalepse « comique » et la métalepse « radicale » proposée précédemment. En conjuguant les typologies de métalepse proposées par Ryan et par Cohn, il nous est conséquemment possible de mieux comprendre ce qui différencie la métalepse présente dans le cinéma comique de la métalepse propre au cinéma avant-gardiste et radical. Effectivement, lorsqu’elle est rhétorique et extérieure (comme c’est le cas dans les adresses au spectateur et dans les mouvement des acteurs dans et hors de leurs rôles diégétiques), la métalepse rhétorique vise à faire tomber le quatrième mur, révélant le processus discursif ainsi que l’acte énonciateur de la narration; les effets ainsi générés peuvent être comiques, comme Jean-Marc Limoges le démontre bien dans son article sur Mel Brooks (2008a). La métalepse ontologique agit quant à elle sur la narrativité elle-même, et est communément intérieure; elle produit des effets que Dorrit Cohn (2005) apparente à « un désarroi, une espèce d’angoisse ou de vertige » (129). Elle ne peut être comique que dans un contexte absurde, tel celui des films Being John Malkovitch et Adaptation (Jonze 1999 et 2002) par exemple, mais elle reste avant tout déstabilisante en raison de son aspect plus radical et antifictionnel. Si la métalepse rhétorique/extérieure apparaît fréquemment et depuis longtemps au cinéma commercial, c’est la complexité narrative inhérente à la métalepse ontologique (intérieure ou extérieure) qui mènera avant tout notre réflexion sur la présence de ce trope dans le cinéma populaire contemporain, ainsi que sur l’implication qu’elle suscite chez le spectateur.

Métalepse rhétorique Métalepse ontologique
Intérieure

Adresses entre personnages diégétiques et métadiégétiques

Extérieure

Adresses au spectateur;

Mouvement d’acteurs dans et hors de leurs rôles diégétiques

Intérieure

Rupture de frontière séparant le monde diégétique d’un monde métadiégétique

Extérieure

Rupture de frontière séparant le monde diégétique du monde extradiégétique

Exemple

Annie Hall (séquence de flashback)

Exemples

À bout de souffle, Une femme est une femme, High Fidelity, Annie Hall (monologue d’ouverture)

Exemples

Eterrnal Sunshine of the Spotless Mind, Lost Highway, Mulholland Drive

Exemples

Wes Craven’s New Nightmare, Last Action Hero, The Player, Annie Hall (intervention de Marshall McLuhan)

2- L’implication du spectateur

Dans un des rares articles étudiant la présence de la métalepse au cinéma, Matthew Campora (2009) établit des liens entre les narrations multiformes et la métalepse. Son article explore plus en profondeur la métalepse sonore dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind, qui est ontologique (et intérieure), et vient bouleverser le rapport des personnages et du spectateur avec les mondes diégétiques. Mais étant donnée l’unicité de son propos, il s’attarde tout de même à soulever des réflexions plus élargies entourant la présence de cette figure dans le cinéma populaire contemporain. Faisant suite à un article paru en 2007 dans The New Yorker, où David Denby constate la présence grandissante de narrations complexes dans le cinéma de masse, Campora (2009) avance que « narrative pleasures formerly reserved for knowing audiences are now available to everyone » (120). Si, comme le mentionne Denby (2007), l’arrivée du cinéma expérimental suit presque immédiatement l’invention du cinéma (« As soon as film was invented, experimental film was invented »), ce cinéma ne ciblait pas du tout la masse, selon lui, mais plutôt un auditoire spécifique constitué de cinéphiles pour qui la réception de nouvelles formes narratives se voulait une source de plaisir. Cependant Campora, tout comme Denby, note qu’à partir des années 1990 et du succès de films tels Pulp Fiction (Tarantino 1994), le public prend de plus en plus plaisir à se faire ébranler par des formes narratives plus complexes, ce qui va bien entendu à l’encontre des trames narratives linéaires tributaires du classicisme hollywoodien, qui lui ont longtemps convenu et qui, pourrions-nous ajouter, répondent encore à une demande élargie. Le succès du film Inception, mentionné précédemment, se montre un exemple récent d’un film à « narration complexe » ayant connu du succès. Bien que Campora semble omettre les configurations métaleptiques propres au cinéma comique et vaudevillesque de l’âge d’or de Hollywood, il reste que son examen de l’usage plus radical de la métalepse s’avère hautement pertinente; sans doute pourrions-nous interpréter son omission comme la manifestation d’un intérêt spécifique pour la métalepse ontologique et intérieure, qui apparaît de plus en plus fréquemment dans le cinéma populaire.

Parmi les pistes de réflexion soulevées par Campora, une des plus probantes reste l’idée selon laquelle les narrations plus complexes nécessitent une implication accrue du spectateur qui doit contribuer, par une activité cognitive plus étendue, à la construction du sens – une affirmation qui pourrait mener vers une étude proprement cognitive de la métalepse, un détour conceptuel impossible dans le cadre notre parcours actuel (11). Si certains des films mentionnés par Denby et Campora présentent des narrations multiformes et/ou multi-composantes (c’est le cas notamment des films de Alejandro González Iñárritu, de Amores Perros à Babel [2006]), ces narrations ne sont pas toujours métaleptiques. Par contre, à mesure que ces types de narration complexe se font plus fréquents, les films intégrant la métalepse se greffent également au corpus du cinéma populaire. Alors que les interpellations de Michel Poiccard (Jean-Paul Belmondo) à l’endroit du spectateur se voulaient en rupture avec le cinéma hollywoodien, ce même cinéma nous présente Rob Gordon (John Cusack) s’adressant de nombreuses fois au spectateur dans High Fidelity (Frears 2000). Dans les deux cas, le quatrième mur est enfoncé par le biais d’une métalepse rhétorique et extérieure; l’effet généré se différencie de celui, purement comique, que Limoges (2008a) associe à la métalepse dans les films de Brooks. Le film Stranger Than Fiction (Forster 2006), pour sa part, se veut un exemple à la fois récent et notoire de la métalepse ontologique dans le cinéma hollywoodien; le film met en scène un fonctionnaire à l’existence plutôt morne qui entend une voix narrer sa vie, pour découvrir qu’il est le personnage d’un roman écrit par une auteure connue. La métalepse dans ce film est résolument ontologique, en plus d’être intérieure, puisque l’auteure en question vit dans la même réalité diégétique que son personnage. Ce genre de métalepse se retrouve épisodiquement dans le cinéma hollywoodien, surtout à partir des années 1990 et avec des films tels Last Action Hero (McTiernan 1993), où un jeune adepte de films d’action se voit transporté dans l’univers métadiégétique où évoluent ses héros. En suivant la logique de Campora, nous pourrions être portés à attribuer le succès de Mulholland Drive – qui surprend étant donné la réception tiède des films précédents de David Lynch auprès du public élargi – à l’implication que le film suscite chez le spectateur. Les versions sur support DVD vendues en Amérique et en Europe témoignent de cette implication, le film étant accompagné des « 10 clés de David Lynch » permettant de lever le voile sur les énigmes de cette œuvre métaleptique. Cet exemple authentifie l’intérêt croissant des spectateurs pour les intrigues plus complexes, et confirme une nouvelle tendance vers l’interactivité et l’approfondissement dans la lecture des films, une question soulevée par Campora et qui mériterait une attention plus poussée. Cependant, il demeure tout à fait aisé d’adhérer à la solution partielle proposée par Campora; si ces films cherchent à ébranler le spectateur et à le confronter à des réalités diégétiques plus complexes, ils lui permettent également de s’engager de façon beaucoup plus dynamique dans la construction du sens.

3- Métalepse et réflexivité

Tout en impliquant plus activement le spectateur, les films présentant plusieurs niveaux narratifs se contaminant par le biais de métalepses ontologiques permettent fréquemment au cinéma une forme de réflexivité (et d’autoréflexivité); d’emblée, il semblerait donc tout à fait normal de regrouper l’étude de ces deux procédés. De plus, étant donnée la place relativement importante de l’étude des processus réflexifs dans le champ des études cinématographiques, l’intégration adéquate de la métalepse dans ce champ d’études s’avère plus qu’appropriée; elle apparaît incontournable. Par contre, cette inclusion doit tenir compte des spécificités propres à la métalepse. Les travaux récents ont tendance, de leur propre aveu, à apparenter la figure avec la réflexivité, alors qu’il s’agit en fait de deux phénomènes distincts. En permettant une rupture du pacte représentationnel – souvent dans une visée esthétique et/ou critique – la métalepse (ontologique) demeure assurément le procédé discursif par excellence pour mettre en place un cinéma proprement réflexif – une visée que les tropes plus conventionnels ne sauraient combler, la métalepse étant une figure beaucoup plus complexe au plan narratif. Roussin (2005) s’attarde d’ailleurs sur les aspects rhétoriques de la métalepse pour constater qu’il s’agit d’une « figure d’expression par réflexion »; il en vient ainsi à la déduction que « la métalepse est une figure réflexive et la réflexivité n’est pas la fiction » (51), ce qui positionne la métalepse comme un processus de destruction fictionnelle, permettant l’articulation d’une radicalité cinématographique, et permettant fréquemment de « déchirer » le « contrat fictionnel » afin de « mettre à mal la fameuse ‘suspension volontaire de l’incrédulité’ » (Genette 2004, 23). S’il demeure intéressant de noter comment la réflexivité étayée par la métalepse occupe une place grandissante dans le cinéma populaire contemporain, réduisant de ce fait les frontières entre le film d’auteur et le film commercial (Campora 2009, 119), il reste néanmoins crucial de proposer une approche plus focalisée de l’étude de la métalepse au cinéma. Pour ce faire, il nous apparaît pertinent de relever des exemples filmiques où une confusion entre métalepse et réflexivité semble se matérialiser, afin de dégager des approches possibles visant à départager ces notions.

Les exemples filmiques contemporains permettant de lier la métalepse à la réflexivité, tout en incarnant un cinéma accessible à un public plus élargi, sont particulièrement nombreux. Parmi les exemples plus notoires, et étudiés, mentionnons Mulholland Drive, qui utilise la métalepse ontologique pour véhiculer une critique surréaliste du système de production hollywoodien et, plus spécifiquement, du star-system qui y est lié. Le film porte sur le cinéma et est donc réflexif, cela va de soi; mais il met également de l’avant une complexité narrative et ontologique qui finit par exposer une configuration proprement métaleptique. En effet la narration principale, qui se présente sous une forme linéaire et réaliste, éclate après les deux premiers tiers du film pour révéler la présence d’un niveau narratif supérieur; ici, l’esthétique réaliste raconte le rêve, alors que l’esthétique onirique raconte les déboires « réels » d’une jeune actrice incapable d’intégrer l’univers chimérique de la production cinématographique commerciale. Les niveaux narratifs sont souvent brouillés, notamment par la présence anamorphique d’éléments appartenant à un autre niveau diégétique. Si le film de Lynch offre des pistes de solution aux énigmes qu’il met en place, ce sont sans doute ces pistes qui ont permis à Mulholland Drive de connaître un succès beaucoup plus retentissant que Lost Highway (Lynch 1997), un film qui utilise pourtant des procédés métaleptiques et narratifs similaires; car contrairement à Lost Highway, Mulholland Drive offre au spectateur une résolution possible, résolution qui nécessite plusieurs visionnements et qui génère ainsi un plaisir cognitif et interactif chez le spectateur (12) (13).

En explorant un registre de cinéma plus commercial, il demeure possible de relever des métalepses ontologiques dans des films très diversifiés, surtout à partir des années 1990, ce qui permet de confirmer à nouveau les constats effectués par Campora (2009) – nous avons d’ailleurs déjà fait mention, à cet effet, du film Last Action Hero. Le film Wes Craven’s New Nightmare (Craven 1994) s’avère lui aussi un exemple fort pertinent qui réussit à utiliser la métalepse ontologique et la réflexivité cinématographique pour poser un regard novateur sur la généricité et ses manifestations dans le cinéma d’horreur. Le film met en scène plusieurs des acteurs ayant joué dans le film A Nightmare on Elm Street (Craven 1984); on les suit « jouant » leurs propres rôles à l’approche du dixième anniversaire du premier film de la série. L’histoire se déroule autour de l’actrice Heather Langenkamp, qui est invitée à considérer l’opportunité de reprendre le rôle de Nancy dans une énième suite à la saga. Le film brouille incessamment les frontières entre les univers diégétique, métadiégétique et extradiégétique; Craven pousse d’ailleurs l’audace jusqu’au point où il se met lui-même en scène, scénarisant le film que le spectateur visionne. Le film se clôt d’ailleurs sur une métalepse ontologique complexe, alors qu’on voit Heather Langenkamp lire le scénario du film même qui se termine. Par contre, il importe de noter que le dispositif ici décrit peut tout aussi bien être vu comme une mise en abyme aporétique, étant donné que le récit enchâssé semble « inclure l’œuvre qui l’inclut » (Dällenbach 1977, cité dans Limoges 2007) (14). Ce constat vient toutefois brouiller, une fois de plus, les pistes pouvant mener à une définition claire, spécifique et concise de la métalepse. Bien entendu, il reste que métalepse et mise en abyme sont des procédés discursifs distincts; cependant il peut selon nous y avoir métalepse lorsqu’une narration mise en abyme se fond avec le niveau narratif supérieur, puisque le pacte représentationnel s’en trouve sérieusement mis à mal (15). Ce constat de proximité entre métalepse et mise en abyme aporétique dans le film de Craven est par ailleurs fort bien étudié par Aude Weber-Houde (2009), dans son mémoire de maîtrise consacré aux deux films de Craven; elle y constate notamment l’aspect métaleptique de plusieurs dispositifs mis en scène dans le film. Œuvre présentant un exercice de style original et intéressant, Wes Craven’s New Nightmare se veut la réplique de Craven aux dérapages des multiples films faisant suite à A Nightmare On Elm Street. Son recours à la métalepse se veut une forme de critique, au caractère réflexif, dirigée vers la pauvreté narrative qui frappe les diverses séries de films d’horreur, où un film original mène à l’apparition d’innombrables suites plus ou moins bien réussies; son film est par le fait même annonciateur d’une tendance vers l’apparition dans le cinéma populaire d’une forme de métalepse propre à la radicalité avant-gardiste.

La métalepse se présente sous un angle tout aussi réflexif et satirique dans The Player (Altman 1992). Tout d’abord, le long plan-séquence qui ouvre le film vient participer au processus réflexif qui y est déployé; en effet, le plan-séquence présente à plusieurs reprises des personnages discutant de divers plans-séquences ayant marqué l’histoire du cinéma. L’effet est subtil, mais demeure tout de même réflexif dans la mesure où des personnages diégétiques échangent sur le dispositif énonciatif et esthétique qui les met en scène. Par contre, nous y voyons également une forme de métalepse étant donné le fait qu’ils confrontent le spectateur à ce qu’il voit simultanément à l’écran et dans la narration, ce qui tend à ébranler un tant soit peu le réalisme de la scène, ainsi que le pacte représentationnel. Mais cette introduction du film se veut avant tout annonciatrice de la suite. En effet, le film de Altman met en place d’importants dispositifs métaleptiques et réflexifs, cette fois plus évidents, notamment en présentant un nombre important d’acteurs connus jouant leurs propres rôles – dont « Julia Roberts dans le rôle de Julia Roberts jouant le rôle de l’héroïne fictionnelle d’un film-dans-le-film qui flirte avec la mise en abyme » (Genette, 2004, p. 73). Et si le « film-dans-le-film » mis en scène dans The Player peut effectivement être perçu comme une mise en abyme, et non comme une métalepse, il en va tout autrement de la fin du film, qui vient brouiller les niveaux narratifs mis en abyme pour révéler une fascinante métalepse ontologique. Au moment où Griffin (Tim Robbins) rentre chez lui, un scénariste le contacte pour lui proposer une histoire qui est en fait l’histoire même de The Player. Le spectateur entend alors un personnage du film raconter l’histoire de ce même film, qui est en train de se terminer. À travers ce procédé, qui relève du déboîtement énonciatif, Altman révèle en quelque sorte un « film-dans-le-film-dans-le-film » (16). Le dispositif ainsi mis en place s’avère hautement réflexif et semble, lui aussi, renvoyer à la fois à la mise en abyme et à la métalepse, ce qui vient confirmer à nouveau la nécessité de réfléchir aux distinctions qui doivent être effectuées autour de cette dernière. Car si les dispositifs narratifs en place à la fin de The Player (et de Wes Craven’s New Nightmare) ont tout d’une mise en abyme aporétique (Limoges 2007 pour The Player; Weber-Houde 2009 pour Wes Craven’s New Nightmare), ils nous apparaissent tout de même, et avant tout, métaleptiques étant donnée la transgression des frontières diégétiques qui s’y opère. Ainsi, comme Denby (2007) et Campora (2009) le font avec Pulp Fiction, nous pouvons voir dans des films tels Wes Craven’s New Nightmare, Last Action Hero et The Player l’arrivée de tendances narratives plus complexes dans la sphère du cinéma populaire.

À la lumière du parcours conceptuel sinueux nous ayant guidé jusqu’à présent, il est aisé de comprendre pourquoi la théorie du cinéma a mis autant de temps avant de s’intéresser à la métalepse, tout en faisant couler beaucoup d’encre autour des questions liées à la mise en abyme, à la réflexivité et à l’autoréflexivité : ces notions se recoupent autant dans leur articulation conceptuelle que dans leurs manifestations filmiques. Ainsi l’intérêt porté aux uns a retardé celui porté à l’autre. Dans son article sur la métalepse dans l’œuvre de Mel Brooks, Jean-Marc Limoges (2008a) affirme d’ailleurs que la mise en abyme se veut un « procédé (par moment) métaleptique » (38), confirmant de ce fait les liens étroits unissant ces deux dispositifs pourtant distincts. Limoges aborde d’ailleurs, dans sa thèse doctorale sur la mise en abyme et la réflexivité, la dynamique qui relie ces concepts, affirmant que « si toute configuration autoréflexive [est] forcément métaleptique, toute métalepse [n’est pas] forcément autoréflexive (ni même plus simplement réflexive) » (Limoges 2008b, 299). Il apparaît dès lors nécessaire de se pencher beaucoup plus longuement sur ces questions. Car malgré leurs similitudes, ces procédés se différencient autant dans leurs visées que dans leurs effets : alors que la réflexivité se veut avant tout, et dans sa configuration la plus simple, « un retour du cinéma sur lui-même » (Gerstenkorn 1987, cité dans Limoges 2007), la métalepse se définit par une transgression du pacte de la représentation, rupture s’opérant par le non-respect des frontières ontologiques entre les univers diégétiques, métadiégétiques et extradiégétiques. Sans doute pourrions-nous proposer ici un dernier exemple des correspondances entre métalepse et réflexivité en abordant brièvement le générique du film Le mépris (Godard 1963). Dans ce générique, l’univers diégétique (le monde de ce qui est raconté) se fond dans l’univers extradiégétique (le monde de celui qui raconte), générant une rupture du pacte représentationnel sur lequel plusieurs se sont penchés, notamment en raison de son aspect réflexif. En effet, le générique est réflexif notamment parce qu’on y voit un tournage cinématographique, et aussi en raison de la citation de André Bazin sur le cinéma qui est lue à la toute fin, lorsque la caméra se tourne vers le spectateur. Par contre, ce générique est tout autant métaleptique puisque Godard (l’auteur, le réalisateur) s’adresse à nous et que la caméra nous regarde, rompant le pacte de la représentation et brisant la frontière diégétique séparant l’univers extradiégétique (le monde de celui qui raconte) de l’univers diégétique (le monde de ce qui est raconté). Cet exemple, comme les nombreux qui l’ont précédé, démontre selon nous la nécessité de repenser, dans des contributions futures, la spécificité de la métalepse et de ses effets sur l’esthétique filmique et sur la réception.

Métalepse et narrativité cinématographique

Si notre parcours nous a permis d’effecteur plusieurs constats sur la métalepse, sa spécificité et sa parenté avec la réflexivité, il reste tout à fait possible de reconduire le constat effectué par Pier et Schaeffer (2005), selon qui « la métalepse nous en apprend […] beaucoup sur les conditions de fonctionnement normal de la représentation. » (1). En impliquant plus directement le spectateur dans le processus de réception filmique, et en lui procurant un rôle plus interactif dans la construction du sens, le cinéma métaleptique remet en question la primauté du réalisme et du classicisme hollywoodien, et permet l’immersion de procédés narratifs associés à l’avant-garde et à la modernité dans un grand nombre de genres propres au cinéma populaire contemporain. Ainsi, la présence grandissante de la métalepse – surtout ontologique et intérieure – dans le cinéma populaire révèle une tendance vers une nouvelle forme de spectature filmique. Par contre, alors que l’étude du rôle de la métalepse dans le processus réflexif est absente chez Stam (1992), qui reste un des penseurs les plus lus et cités sur les questions de la réflexivité, les narratologues ayant étudié cette figure ne s’attardent pas vraiment au cinéma – une tendance qui s’avère néanmoins en plein changement, comme en témoignent les textes récents dont les propos ont permis d’étayer notre parcours conceptuel.

Ainsi peut-on constater une certaine absence théorique qui mériterait d’être comblée, car si les critiques francfortistes, Theodor Adorno et Max Horkheimer en tête, voyaient dans le cinéma commercial de leur époque un médium asservissant qui évacuait toute nécessité d’implication de la part du spectateur, force nous est de constater que cette tendance a été renversée au fil des deux dernières décennies. Sans affirmer que le cinéma hollywoodien contemporain est dénudé des visées idéologiques critiquées par l’école de Francfort, nous pouvons pour le moins avancer que ces visées empruntent une nouvelle esthétique narrative. En intégrant dans son corpus des procédés métaleptiques typiques au cinéma d’avant-garde, le cinéma hollywoodien semble ainsi procéder à une forme de légitimation culturelle, mettant à profit le large éventail de dispositifs narratifs et esthétiques issus des explorations avant-gardistes, et repoussant du même coup les limites de l’acceptabilité spectatorielle. Denby (2007) semble particulièrement intéressé par cette question, allant jusqu’à affirmer que les réalisateurs hollywoodiens manipulent de plus en plus des dispositifs propres au cinéma d’auteur, et suggérant que « [they] may be trying to jolt us into a new understanding of art », une affirmation à la fois porteuse et sans doute un peu ambitieuse. Dans cette veine, et étant donnés les intérêts théoriques et pratiques pour la métalepse et ses effets sur le spectateur et sur la narrativité, il ne serait pas surprenant de voir naître un plus grand intérêt théorique pour la réception de séries télévisées récentes; certaines mettent effectivement de l’avant des procédés discursifs proprement cinématographiques, et parfois métaleptiques – c’est le cas des séries Lost et FlashForward, toutes deux diffusées sur le réseau américain ABC. Ultimement, par le biais de la présence grandissante de la métalepse dans le cinéma populaire contemporain, il est possible de percevoir de nouveaux rapports entre le spectateur et le récit cinématographique. Par l’interactivité et l’implication qu’il exige du spectateur, ce cinéma mène vers de nouveaux comportements spectatoriels, comportements qui mériteraient une attention plus poussée en raison de l’avènement du BluRay et de la consommation cinématographique en ligne, phénomènes qui modifient à leur tour le rapport entre le film et son spectateur.

Notes

(1) Dans le but de centrer notre propos sur la métalepse dans le cinéma narratif, nous éviterons de revenir sur le passé de cette figure « ballotée à travers sa longue et complexe histoire entre synonymie et métonymie » (Pier et Schaeffer 2005, p. 10), et nous nous contenterons de signaler la présence d’une contribution fort pertinente sur l’histoire et la typologie de la métalepse dans l’ouvrage collectif de Pier et Schaeffer (voir Roussin 2005).

(2) Notons au passage que, lorsque Pier et Schaeffer (2005) précisent que « toute contamination d’un niveau [diégétique] par l’autre semblerait aller à l’encontre de la nature même de la représentation, et plus spécifiquement du récit » (p. 11), ils permettent de mieux comprendre ce qu’ils entendent par l’expression « pacte représentationnel ».

(3) Au plan narratif, le fait d’inclure un récit enchâssé (et donc métadiégétique) ajoute un degré de complexité dans la réception du film. Cette complexité se décuple lorsque les récits appartiennent à deux réalités distinctes, comme c’est le cas dans le film de Wiene et, beaucoup plus récemment, dans Inception (Nolan 2010), par exemple.

(4) Les actes du colloque « Metalepsis in Popular Culture », qui paraîtront au cours de la prochaine année, contiendront d’ailleurs un article de Jean-Marc Limoges à cet effet, qui s’intitulera « Metalepsis according to Tex Avery: Pushing back the frontiers of transgression (an extended definition of metalepsis) ».

(5) Certes, il est plutôt commun que l’univers diégétique d’un film fasse référence à des connaissances culturelles extradiégétiques. Par contre, la spécificité de l’exemple ici mentionné réside dans le fait que Godard cite un de ses propres films et, qui plus est, que le personnage joué par Belmondo cite un autre film dans lequel Belmondo tient le rôle principal.

(6) Parmi les rares contributions portant sur la métalepse dans le champ des études cinématographiques, mentionnons celles de Werner Wolf (2009) et de Sonja Klimek (2009), ainsi que celles de Jean-Marc Limoges (2007, 2008a et 2008b), Aube Weber-Houde (2009) et Matthew Campora (2009). Le colloque « Metalepsis in Popular Culture », tenu à Neuchâtel en juin 2009, se veut un exemple à la fois récent et notoire de cet intérêt très actuel pour la figure, et confirme sa réapparition plus élargie au sein de la culture populaire. Aussi, afin d’alléger un parcours qui se veut déjà chargé, nous éviterons volontairement les débats conceptuels et esthétiques entourant la réflexivité et l’autoréflexivité, tout en mentionnant au passage les travaux de Robert Stam (1992), qui ont eu un impact de taille dans le domaine des études littéraires et filmiques, ainsi que ceux de Jean-Marc Limoges (2007 et 2008b), qui procède à un examen plus contemporain de ces questions.

(7) Le terme « narration complexe » désigne ici une narration qui ne suit pas la forme plus linéaire typique du cinéma hollywoodien classique.

(8) Pour un approfondissement de la question de la narration multiforme et de ses effets sur l’identification et la subjectivité, voir McMahan (1999).

(9) Considérant leurs traitements narratifs et esthétique distincts, ainsi que leur caractère subjectif, les rêves intradiégétiques sont considérés par plusieurs, dont Campora (2009), comme des niveaux narratifs et ontologiques distincts.

(10) Il importe d’apporter une précision au propos de Ryan : il n’est pas nécessaire qu’il y ait « deux membres du même monde » pour qu’il y ait métalepse rhétorique. En effet, les adresses au spectateur n’impliquent souvent qu’un seul personnage provenant du monde diégétique.

(11) Notons néanmoins que si les travaux novateurs de Hugo Münsterberg, précurseurs de l’approche cognitive du cinéma, permettent rapidement d’avancer que « le film n’existe ni sur la pellicule, ni sur l’écran, mais seulement dans l’esprit, qui lui donne sa réalité » (Aumont et al. 1994, 161), il reste que Campora ne fait aucune mention de cette approche dans son article.

(12) Il est tout à fait opportun de noter ici que, rapidement après la sortie de Mulholland Drive en 2001, des articles visant à démystifier le film apparaissent sur Internet. Certains de ces articles proposent des pistes de réflexion tout à fait efficaces – c’est le cas notamment de l’article de Wyman, Garrone et Klein (2001) paru sur salon.com.

(13) En affirmant que Lost Highway n’offre pas de résolution possible au spectateur, nous faisons référence à la circularité qui relie ses deux principaux niveaux ontologiques. Cette circularité court-circuite toute possibilité de construire un sens logique au film; nous pourrions à cet effet affirmer que Lost Highway est un film schizophrène, à l’image de son protagoniste.

(14) Dans son incontournable Essai sur la mise en abyme, Lucien Dällenbach (1977) définit la figure comme un « miroir interne réfléchissant l’ensemble du récit par réduplication simple, répétée ou spécieuse » (52), avançant du coup trois « versions » de la mise en abyme. Alors que les mises en abyme « simple » et « répétée » se limitent à la duplication (ou réduplication) de « miroirs internes » (ou récits emboités), la mise en abyme aporétique se veut incalculable de par son aspect illusoire et trompeur, le fragment mis en abyme semblant inclure le récit même qui le met en abyme, comme c’est le cas dans le film de Craven.

(15) Pour une distinction rigoureuse de ces deux figures, voir Cohn (2005); pour une typologie détaillée de la mise en abyme, ainsi qu’une explication rigoureuse de la notion de mise en abyme aporétique, voir Dällenbach (1977) ainsi que Limoges (2007 et 2008b); pour une analyse détaillée du film de Wes Craven, et de son recours à la métalepse, voir Weber-Houde (2009).

(16) Voir Limoges (2008a et 2008b) pour une explication détaillée des concepts de déboîtement et d’emboîtement énonciatifs.

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Notice biographique

Doctorant en études cinématographiques à l’Université de Montréal, Louis-Paul Willis est également professeur invité à l’UER en création et nouveaux médias de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (Rouyn-Noranda), où il enseigne depuis 2006. Il s’intéresse principalement aux problématiques féministes et psychanalytiques du cinéma, tout en manifestant un intérêt actif pour les questions liées la réception. Sa recherche doctorale (De Jocaste à Lolita : Œdipe et l’hypersexualisation des jeunes filles au cinéma) porte sur le regard, l’identification et le désir dans le phénomène de l’hypersexualisation des jeunes filles. Il a notamment reçu en 2008 la Bourse du 6-décembre, décernée par le comité permanent sur le statut de la femme de l’Université de Montréal.

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Mots-clés

Métalepse, cinéma hollywoodien, cinéma et narratologie, réflexivité, narration multiforme, metalepsis, cinema, multiform narrative

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Abstract

This article aims to put forward possible reflections on the role of metalepsis within the growing narrative complexity manifested in contemporary mainstream cinema. As a trope largely discussed inside the field of narratology, the study of metalepsis within the field of film studies is somewhat rare, despite its important role in the elaboration of complex narrative strategies developed by avant-garde cinema, and gradually recuperated by mainstream cinema. Therefore the goal of this article is twofold: firstly it aims to define characteristics and manifestations of metalepsis within the cinema; it then also tries to establish the pertinence of a cinematic study of metalepsis, as well as its (sometimes) problematic relation to reflexivity.