Helter Skelter – Critique Fantasia

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Les manga de Kyoko Okazaki présentent une facture peu commune, épurée et minimaliste, qui s’éloigne de l’esthétique manga traditionnelle du style d’Osamu Tezuka. En noir et blanc, aux dessins simples et sans fioritures – malgré le sujet traitant de la mode, Helter Skelter (lire le manga ici) est une œuvre originalement publiée en série de 9 volumes de 1995 à 1996, et republiée en 2003. Une des rares femmes ayant percé le milieu du manga comme illustratrice, Okazaki se fait d’abord un nom en travaillant sur des manga érotiques et contribue ensuite à l’émergence du courant gyaru manga. Puis, il y a Mika Ninagawa, la réalisatrice de l’adaptation cinématographique du manga en titre, photographe de métier, et qui œuvre dans le milieu de la mode, de la publicité et du vidéoclip (dont Sayonara Crawl sortie en mai 2013, de AKB48). Ses clichés sont colorés, faisant un usage peu modéré et saturé des palettes de couleurs rouge et bleu, toujours dans le ton du sujet. Une application Itunes intitulée Cameran permet même à ses utilisateurs de photographier à l’aide de filtres reproduisant l’esthétique propre de Ninagawa!

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Le film Helter Skelter bénéficie du meilleur de ces deux artistes, mais le film possède également les défauts de ses qualités. En effet, Okazaki coécrit le scénario avec Minagawa. Or, le film aurait grandement profité d’un élagage afin que l’histoire s’adapte mieux au format de long métrage, expliquant sa durée un peu longue de 127 minutes. Le film donne l’impression de s’étirer en longueur vers la fin. Alors que la résolution du récit semble se conclure, au point que certains spectateurs quittent déjà la salle, l’histoire reprend. Les nombreux climax musicaux et les plans larges traditionnellement utilisés en Occident pour clôturer un film en tromperont plus d’un. C’est malheureusement là où le bât blesse, car le scénario tente de reprendre tous les éléments, les fils narratifs et les personnages du manga en les intégrant de manière peu soutenue. Les scènes avec le procureur et ses élans philosophiques, bien qu’intéressantes, auraient mérité un resserrement par souci de concision, et d’être mieux intégrées avec la trame principale. Certains dialogues se retrouvent souvent mot pour mot, outre quelques adaptations comme une référence à Michael Jackson qui a dû être modifiée – il était en effet encore en vie à la sortie du manga en 1995. L’avantage certain d’avoir l’auteure originale adaptant son oeuvre, est que le message et le propos sont respectés. Avec en plus Minagawa, à la réalisation colorée et dégourdie, une habituée de l’industrie de la mode, Helter Skelter demeure une réussite cinématographique qui mérite d’être vue.

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L’histoire raconte la déchéance de Ririko (appelée Liliko dans la version anglaise du film), une vedette et idole de la scène pop, alors qu’elle est au sommet de la gloire. Elle a subi un nombre très important de chirurgies esthétiques, à tel point que peu de son apparence est encore authentique. Lorsque Kozue, une jeune modèle rivale au look garçonne affublée d’un béret, vient tranquillement prendre sa place, Ririko commettra de viles bassesses en entraînant son assistante Hada dans ses manigances perfides.

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Ririko affiche une concupiscence qui désarçonne. Par ailleurs, le manga ciblant les jeunes adultes présente de nombreuses scènes de nudité au langage cru, ce que le film a conservées, et même plus, en allongeant notamment certaines scènes de baises torrides initialement courtes dans le manga. Mais là où le film excelle réside dans sa critique acerbe du milieu de la mode, en proposant une réflexion sur la beauté et son côté sournoisement éphémère alors que les jeunes modèles sont étourdis par le regard admiratif des autres. Ririko dit d’ailleurs à Hada, lors d’une scène où elle lui donne un bâton de rouge à lèvres, que le succès c’est comme une drogue. Or, le personnage de Ririko nous touche rarement, on éprouve aucune empathie à son endroit, car bien qu’elle soit une victime d’un système bien rôdé, elle transforme malicieusement les événements à son avantage. Aigre, elle est victime de sa propre avarice, et on assiste impuissant à sa propre déchéance, la beauté la dévorant ironiquement, littéralement dans le film, de l’intérieur comme un cancer. Alimentée par l’orgueil et la cupidité, elle est un monstre créé par l’industrie qui n’obtiendra jamais l’absolution ni n’atteindra l’affranchissement… Assoiffée par l’adulation d’autrui.

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Même si le scénario est quelque peu décousu, touffu et débridé souffrant de la densité du matériel source, la réalisation de Minagawa réussit amplement à nous faire oublier ces écueils. Dynamique, délurée, surréaliste, les références ne manquent pas. La décadence qu’inspire le décor de l’appartement de Ririko, au style baroque, les tons de rouge saturés, rendent bien l’agressive artificialité dont elle est victime. On sent également bien l’inspiration de Minagawa pour les années 50 et 60, une époque florissante sur le plan économique qui vit l’émergence d’un boom de la mode, particulièrement en Europe. Cela se sent dans la direction artistique et la bande sonore éclectique qui fait beaucoup penser à l’esprit désinvolte, délinquant, de la Nouvelle Vague, passant du jazz à l’opéra, du rock indie à l’industriel, aux compositions originales de Koji Ueno qui semblent sorties d’un film muet expérimental, un avant-gardiste inspiré par le classique. Les effets visuels sont également utilisés parcimonieusement lorsque nécessaires au récit, ajoutant au malaise et illustrant bien l’angoisse de Ririko. Contrairement au manga d’Okazaki et ses lignes épurées, l’esthétique préconisé par Minagawa est chargée, mais demeure néanmoins un festin pour les yeux, et l’esprit. Jusqu’à présent, l’un des meilleurs films japonais présents à Fantasia cette année.