L’effet-clip au cinéma

Laurent JullierPDF
Université de Lorraine/IRCAV-Paris III

Julien Péquignot
Université d’Avignon et des Pays du Vaucluse

 

Résumé

Le terme effet-clip est depuis longtemps employé par la critique cinématographique pour stigmatiser certains films ou même certains aspirants stylistiques « gangrenés » par l’esthétique du clip ou de MTV. Dans l’immense majorité des cas, y avoir recours est un moyen de caractérisation esthétique péjoratif. Mais est-il si facile de le définir? L’article tente au moins de comprendre ce que l’on convoque pour caractériser, parfois anachroniquement, certains objets ou fragments d’objets cinématographiques qui sont supposés en relever. Car des possibles définitions – format importé de la télévision musicale, forme standardisée par le clip de l’ère MTV, idée esthétique, suspension musicale de la narration, configuration culturelle historique, ensemble de gestes techniques, etc. –, aucune n’a la rigueur voulue. C’est que l’effet-clip est de ces objets qui pointent les limites d’une approche textuelle, qu’elle soit structurelle, technique ou générique. La « même chose » à l’écran peut ainsi, selon le contexte, relever du « pur » geste artistique comme de la plus banale trivialité mercantile. L’article envisage alors une approche pragmatique de l’effet-clip en tant que type particulier de production de sens et d’affect chez le spectateur. Ce changement de point de vue conduit les auteurs à envisager la dimension éthique que l’effet-clip peut venir interroger, et l’ambiguïté, voire la contradiction qui peut en résulter.

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Depuis les années 1980, la critique cinématographique stigmatise de manière récurrente certains films qui seraient « gangrenés » par l’esthétique clip ou MTV, se contentant d’enchaîner des moments de musique populaire plus ou moins « esthétiquement » mis en images sans se soucier de la solidité de leur scénario, de la bonne tenue de leur narration, ni bien sûr de la cohérence de leur mise en scène.

Prenons trois exemples français (1) :

« Un film très inégal et artificiel. À voir comme un long clip aux images soignées avec le duo de charme formé par Whitney Houston et Kevin Costner. La B. O. a fait un carton. » (Anonyme 2002, p. 100)

« Cyril Collard a fait ses armes chez Maurice Pialat, puis à l’école du clip. Du premier, il a hérité du goût pour la vérité incisive, l’improvisation humaniste et l’ennoblissement des faiblesses humaines. De son travail dans le monde de la chanson, il a gardé un penchant pour la vitesse en images. » (Landrot 2005, p. 145)

« […] ces cinéastes néo-publicitaires qui sacrifient tout à l’effet visuel ou graphique, [ces] tenants d’un cinéma clip qui ne pense qu’à satisfaire les jeunes spectateurs, à les faire planer (Coursodon et Tavernier 1995, pp. 749-750).

Dans ces trois exemples, le clip est toujours un moyen de caractérisation esthétique (esthétisme, artificialité, tape-à-l’œil, vitesse) pointant le défaut ou la faiblesse (jeunisme, publicité, sensation contre pensée, « penchant pour la vitesse » face à « vérité incisive », « improvisation humaniste » ou « ennoblissement des faiblesses humaines »). Or il n’y a rien là que de très courant : que l’on cherche dans des publications fonctionnelles de type Télé Câble Satellite Hebdo, ou « culturelles » de type Télérama, trouver chaque jour en France des textes qui en appellent au clip pour caractériser un certain effet un peu facile ou, plus généralement, un certain style cinématographique bas de gamme, n’a rien de bien compliqué. Le terme semble ainsi se hausser, dévalorisation mise à part, au rang de paradigme esthétique : il existe un cinéma ou des séquences « clip » comme il existe des cinémas « expérimentaux », « Nouvelle Vague » ou « série B ».

Mais qu’est-ce que l’effet-clip ? Quelquefois, sous certaines plumes, c’est un format importé de la télévision musicale et donc en ce sens daté – à l’apparition du clip, en l’occurrence, dans le courant des années 1960 si l’on prend l’explosion de la musique populaire à la télévision et l’utilisation de la vidéo comme marqueurs. D’autres fois, c’est une forme qui se serait vue identifiée, nommée (et stigmatisée) une fois exploitée systématiquement par les clips à partir de l’« ère MTV » dans les années 1980. D’autres fois encore, l’effet-clip fonctionne comme une idée esthétique kantienne, « représentation de l’imagination qui donne beaucoup à penser, sans pourtant qu’aucune pensée déterminée, c’est-à-dire sans qu’aucun concept ne puisse lui être approprié et, par conséquent, qu’’aucun langage ne peut exprimer complétement ni rendre intelligible » (Kant 1985, p. 1097)… Dans le présent article, à la lumière de cette pluralité d’acceptions, nous défendons l’idée qu’il ne peut exister que des définitions d’usage de l’effet-clip, et qu’il s’ensuit que toute affirmation d’un lien automatique entre effet-clip et « mauvaise qualité » (faillite esthétique, artistique, figurale ou éthique) est indéfendable.

Essai de définition

L’usage du terme effet-clip, dans un article ou une notice critique, se fonde en général sur l’interprétation de gestes techniques. On pourrait être tenté de croire que par ce biais il est possible d’en donner une définition d’essence ou une définition analytique et non une définition d’usage. Faisons, en ce sens, une première tentative : une séquence-clip remplace les sons diégétiques par une chanson – ou, à la rigueur, par un « instrumental », car l’important pour cette musique n’est pas d’avoir ou non une voix chantée, mais de sembler avoir été écrite sans souci de coller aux images, celles-ci devant en revanche se ranger sous sa double bannière rythmique et affective. Un effet-clip, à l’échelle d’une séquence entière ou d’un simple passage, se produit donc quand le montage des images semble largement déterminé par la structure, le tempo et le « climat » de la musique. L’idée se fait jour d’un objet sonore préexistant à l’histoire raconté, même si, en réalité, il a été écrit tout exprès. Mais du point de vue de l’analyste ou du critique, trancher entre l’effet-clip et son inverse, l’effet-cirque – qui se produit quand la musique s’adapte aux changements qui surviennent à l’image –, n’est pas toujours des plus aisés. Quand Cléo (Corinne Marchand) descend l’escalier de la voyante, au début de Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda 1962), avec deux faux raccords de suite synchronisés au tempo de la musique de Michel Legrand, il semble absurde de décider lequel des deux, de la monteuse ou du compositeur, s’est ajusté à l’autre.

La suspension de la narration le temps d’une pause musicale ou d’une chanson, en outre, constitue une figure aussi vieille que le cinéma sonore, ce qui pourrait conduire à affirmer que l’effet-clip a toujours existé. Quand les tourtereaux de Casablanca (Michael Curtiz 1942) filent le parfait amour dans le Paris de leur propre passé, il n’y a que de la musique, par exemple. Mais est-ce suffisant pour parler d’effet-clip ?

On pourrait tirer notre définition du côté des gestes techniques, et en donner une seconde version plus détaillée de ce côté. Non seulement une séquence-clip remplace les sons diégétiques par de la musique, mais :

– elle privilégie la synesthésie, à la fois la synesthésie plastique, correspondance romantique des matières sonores et visuelles et la synesthésie rythmique, qui s’établit entre les vitesses et les cadences d’apparition des éléments sonores et visuels ;

– elle empêche que cette synesthésie donne lieu à une immersion diégétique, et au lieu de s’échiner à construire un monde habitable ou à peaufiner une narration palpitante, elle pratique l’autoréflexivité, chaque plan disant « Je suis une image! ».

Cette autoréflexivité ne débouche pas, comme dans les œuvres modernistes, sur une prise de conscience du dispositif par le spectateur, mais sur une disparition du représenté au profit d’un effet direct du représentant sur le corps du spectateur (regarder des clips fait plaisir, fait bouger, berce, etc.). Elle s’épanouit, en outre, via l’impermanence des contenus et des styles (on passe sans arrêt du coq à l’âne, à la fois en ce qui concerne le contenu et en ce qui concerne les réglages techniques du cadrage et du montage (2)). L’impermanence n’est pas totale, cependant, car certains gestes sont privilégiés :

– l’altération de l’iconicité (la transparence « bazinienne » y est mal vue);

– le décadrage (tout ce qui peut distinguer cadre et champ est le bienvenu);

– les manipulations de la vitesse de défilement (ralenti, accéléré, step-motion…);

– les points de montage elliptiques. Outre l’ellipse pure et simple du changement d’espace-temps, mentionnons le raccord-mouvement sans raccord-objet, l’anti-cut et le jump-cut (3).

Le problème, avec ce genre de définitions basées sur les gestes techniques, est qu’il est possible de trouver les figures qu’ils engendrent ailleurs que là où l’on voudrait les circonscrire ! Le cinéma de la Modernité, certaines scènes d’action de blockbusters ou certains spots publicitaires fourmillent de ces gestes sans pour autant « faire clip ». Le regard-caméra quasi-systématique de la chanteuse ou du chanteur, pour citer une figure qui renforce l’autoréflexivité du clip, appartient aussi au format du journal télévisé.

Le recours à l’histoire ne serait pas plus concluant. Le phénomène de l’effet-clip, en effet, est tout sauf « nouveau », et concerne nombre de moments musicaux du cinéma (4) jusques et y compris du cinéma « muet », où il arrivait que des airs connus joués par le pianiste (quand ils n’étaient pas repris par le public) cannibalisent en quelque sorte le flux narratif des images (5). Ce phénomène est d’ailleurs fréquent dans les « numéros musicaux » insérés dans des films appartenant à d’autres genres que le cinéma musical au sens large. Ainsi quand, dans Rio Bravo (Howard Hawks 1959), les personnages réunis dans la prison se mettent à chanter My Rifle, My Pony and Me, le son devenant « studio », avec une réverbération et un delay qui ne se trouvent pas dans le reste du film, que se passe-t-il ? Rien dans la diégèse précisément, sinon que ce moment est là pour décrire un état, un sentiment de camaraderie, de solidarité apaisée. L’action s’arrête, et les cowboys chantants, issus d’une longue tradition cinématographique, reprennent le dessus sur les gunfighters. En revanche, dans la « vraie vie », Ricky Nelson et Dean Martin vendent bel et bien des disques (la chanson, classique de la country, sera disponible dans le commerce dès la sortie du film), comme pouvaient le faire Gene Autry ou Roy Rogers.

Resterait encore, pour l’amateur de définitions d’essence, à se pencher sur la correspondance texte/image ; mais là encore, il perdrait son temps, nulle spécificité ne mettant le clip à part. L’écart entre les mots chantés que l’on comprend, la mélodie, les arrangements, le « visuel » et la narration – chacun pouvant apparaître « décalé » au regard de l’autre – est une caractéristique classique du cinéma. Continuons avec les westerns de l’Age d’or de Hollywood, soit par exemple Rivière sans retour (1954). Marilyn Monroe, qui joue Kay, une chanteuse de l’Ouest sauvage, y interprète quatre chansons : One Silver Dollar, Down in the Meadow, I’m Gonna File My Claim, et The River of No Return.

La première title song (chanson titre) résume et commente le parcours de l’héroïne en la comparant à un dollar d’argent, produit précieux, convoité, gâché, roulant sans fin le long d’un chemin fait de situations violentes, « [t]roué par la balle d’un hors-la-loi, et tombé dans une poussière rouge de sang ». C’est un regard à la fois négatif et empathique porté sur Kay : son éclat personnel la place à son corps défendant au centre de toutes sortes de rixes, mais elle ajoute à cette infortune une propension à suivre les inclinations de son cœur, qu’elle laisse percer par Harry, un voyou dont elle ne voit pas, pour cause d’attirance invétérée, qu’il la traite comme un simple outil de plaisir personnel et de réussite sociale. La deuxième chanson, à la gloire du printemps qui chasse l’hiver, est chargée de présenter le deuxième homme du film, Matthew. Après l’irrésistible hors-la-loi, voici l’homme tranquille, papa poule et fermier. Il représente les joies de la domesticité : « Les réserves de maïs sont hautes, les citrouilles cueillies et prêtes pour les tartes ». Et s’il semble insensible aux charmes de l’héroïne, en réalité, il est « mordu » (« tout au fond de l’onde, le poisson-chat attend l’hameçon »). La troisième chanson valide le choix de Kay. Cela fait plusieurs fois qu’elle « change de main », en tant que précieux dollar, mais cette fois est la bonne.

En revanche, la chanson du générique final (credit song),  portant le titre du film (The River of No Return), prend des libertés avec les événements du film, du moins tels qu’ils nous sont présentés. « J’ai perdu mon amour, au long de la rivière sans retour. Et pour toujours mon cœur saignera. Il est parti, oh parti pour toujours, au fond de la rivière sans retour ». Les paroles indiquent donc que Kay continuera à regretter cet irrésistible voyou de Harry bien après qu’elle se sera changée en fermière aux côtés de Matthew, alors que tout dans le film nous pousse à croire le contraire. C’était d’ailleurs souvent le cas durant l’âge d’or du cinéma, comme si les credit songs étaient considérées comme des variations, sinon des univers alternatifs explorant des possibilités narratives rejetées par le récit – bref, exactement ce qui ferait l’ordinaire du futur format clip.

Connexion de l’effet-clip au genre musical

Et si tout cela n’était qu’affaire de genres musicaux ? Tentons donc une troisième version de notre définition, plus « culturelle » et plus soucieuse de coller à la chronologie de l’apparition des étiquettes. Réservons maintenant les appellations d’effet-clip et de séquence-clip à des passages où la chanson ou l’instrumental qui semble commander au montage appartient aux genres rock, pop, soul, rap, etc., et a déjà fait l’objet d’une sortie en single ou de passages radio (6). L’analyste, dès lors, est plus à l’aise pour trancher : ainsi, le faux raccord au début de Mean Streets (Martin Scorsese 1973), qui rappelle ceux de Cléo vus plus haut (la tête de Harvey Keitel semble brièvement revenir en arrière dans le temps) relève-t-il sans conteste de l’effet-clip, en vertu de sa synchronisation avec un tube des Ronettes sorti dix ans plus tôt, Be My Baby. Mais c’est aussi une question de durée : quand Jean-Pierre Léaud danse le twist dans La Chinoise (Jean-Luc Godard 1967) au son de Mao Mao, la chanson de Claude Channes, l’effet-clip naissant est coupé par un cut brutal au bout de quelques secondes.

Sous la houlette de cette définition, la première séquence-clip digne de ce nom du cinéma américain mainstream deviendrait celle du Lauréat (The Graduate, Mike Nichols 1967), qui montre la routine des cinq-à-sept s’installer entre ses deux héros, Ben et Mrs Robinson (un « syntagme fréquentatif », en l’occurrence), cependant que le duo Simon & Garfunkel, qui appartient bien à la galaxie « pop », égrène ses célèbres refrains. En matière de coup d’envoi, les auteurs du film ont frappé fort : il n’y pas une mais deux chansons enchaînées in extenso, The Sound of Silence et April Come She Will, cependant que Ben prend peu à peu conscience que cette affaire qui s’étiole (c’est le thème des paroles de la seconde) n’est qu’une histoire de sexe qui ne résoudra pas ses problèmes existentiels (elle ne chassera pas « les ténèbres ses vieilles amies » mentionnées dès le premier vers de la chanson précédente). Le montage de cette séquence comprend déjà des figures qui feront le succès des clips, comme les raccords-mouvements ménagés à la faveur d’ellipses et de changements d’espace. Notons que le titre « The Sound of Silence » comprend une allusion sarcastique à The Sound of Music, sorti deux ans auparavant, sans doute la dernière comédie musicale hollywoodienne classique à avoir connu un succès planétaire après-guerre, et qui, elle, ne contient aucune séquence-clip mais bien des numéros chantés.

Les films musicaux – ceux des Beatles en premier lieu – avaient préparé le terrain de ce renouveau dès 1964. Des séquences de suspension de la narration au profit du libre jeu de la musique, des figures plastiques et des corps filmés, avaient aussi été tournées avant Le Lauréat, certaines employant déjà beaucoup de techniques qui s’épanouiraient plus tard dans le format du clip, mais pas avec une chanson pop en guise de bande-son. Quand, par exemple, les deux héroïnes de Deux copines, un séducteur (The World of Henry Orient, George Roy Hill 1964) font les folles dans les rues de New York, tout l’arsenal visuel du clip est déjà là (ralenti, accéléré, décadrage, etc.) ; mais la musique a été composée tout exprès. En revanche, le cas d’Un Homme et une femme, (Claude Lelouch 1966) est plus complexe : sorti un an avant Le Lauréat, il pourrait le battre dans la course à l’invention de l’effet-clip à l’échelle mondiale si les puristes se mettaient d’accord. Qu’y voit-on ? Quand il vient retrouver Anne sur la plage de Deauville, Jean-Louis est fou de joie ; la caméra le suit en longue focale, mais préfère bientôt s’attarder sur les ébats solitaires d’un chien qui court sur la grève, le tout sur fond de « cha-bada-bada » chanté par Nicole Croisille et Pierre Barouh. Le problème est là : la narration est suspendue, il y a quelques cuts dans le tempo, mais a-t-on bien affaire à une chanson « pop » ? De même, la Samba Saravah entonnée par Barouh un quart d’heure après le début du film serait presque l’occasion d’une séquence-clip, si l’on n’y voyait pas de temps à autre Barouh l’interpréter en personne, ce qui tire la séquence du côté des anciens numéros musicaux.

Après Le Lauréat et Un homme et une femme, les choses se sont radicalisées au sens où la séquence-clip s’est installée et banalisée dans le cinéma grand public et les émissions de télévision, faisant le terreau de la future « ère MTV ». En 1968, The Thomas Crown Affair (Norman Jewison) et 2001: A Space Odyssey (Stanley Kubrick) n’utilisaient certes pas de chansons pop dans leurs instants hautement synesthésiques (Michel Legrand et Johann Strauss étaient convoqués, respectivement pour une partie de polo en split-screen et une valse d’astronefs), mais Bob et Ted et Carole et Alice (Paul Mazursky 1969) s’ouvrait sur l’alléluia du Messie réaménagé façon pop par Quincy Jones, avec basse et batterie. La même année, George Roy Hill, qui n’avait pas franchi le pas pour Deux copines, un séducteur, s’y mettait lui aussi avec Raindrops Keep Fallin’ on My Head, que Burt Bacharach chantait dans la séquence de la bicyclette de Butch Cassidy and the Sundance Kid. Et si Michelangelo Antonioni avait filmé les Yarbirds en 1966 dans Blow-Up sans changer sa patte, il passait à l’effet-clip avec le final de Zabriskie Point sur fond de Pink Floyd, final que Roman Coppola copierait en 2000 dans son clip Gangster Trippin’ pour Fatboy Slim, scellant ainsi la continuité des formes.

Souvent, donc, les chansons importées se cantonnaient aux moments où la narration semble suspendue, rien d’« important » ne se déroulant pendant la durée de la chanson – une errance, une rêverie diurne, un « syntagme fréquentatif », comme disait Christian Metz de ces scènes qui, dans le cinéma classique, présentent à grand renfort de fondus enchaînés des actions qui se répètent dans le temps (1966, p. 121). C’est pourquoi l’on trouve des « génériques-clips » depuis si longtemps : avant que le monde diégétique ne s’installe et que le récit ne démarre vraiment, le spectateur est plus disposé à accepter de plaisants jeux audiovisuels, même s’il est venu là d’abord pour se faire raconter une histoire. Les variations plastiques des génériques des James Bond, par exemple, restent célèbres. Depuis le From Russia with Love (Terence Young 1963), on y entend un tube chanté par un artiste connu (7), mis en image pendant plus de deux décennies (1962-1989) par Maurice Binder à la façon d’un clip inspiré par les enjeux diégétiques du film à venir mais détachés causalement d’eux (certains génériques ou extraits de génériques ont effectivement connu une carrière parallèle en tant que clips). Et le succès de la formule, de nos jours, est toujours patent, à la fois au cinéma – le générique de Dark Shadows (Tim Burton 2012) sur les Moody Blues, celui de The Girl with the Dragon Tattoo (David Fincher 2011) sur une reprise de Led Zeppelin, etc. – et à la télévision – le générique de True Blood (Alan Ball 2008) sur Jace Everett, celui de Sons of Anarchy (Kurt Sutter 2008) sur Curtis Stigers, etc.

C’est au moment où les séquences-clips commencèrent à quitter les bornes des génériques de début et de fin que les grincements de dents se firent entendre. Nombre de critiques y voyaient, comme on l’a signalé en introduction, la naissance d’une vogue de l’effet pour l’effet, de la compilation de moments esthétisants et de la dilution du sens, le tout sur fond d’enjeux commerciaux sans âme. Et, style visuel mis à part, le reproche continue souvent à être proféré du remplacement pur et simple des musiques originales par des chansons qui occupent parfois la presque-totalité de l’espace musical du film (8). On ne voit cependant pas pourquoi ce remplacement occasionnel signifierait automatiquement une régression.

En réalité, ce n’était pas la « faute » du procédé ; tout dépendait de qui et dans quel contexte artistique on l’employait… Quand une séquence-clip devenait le moyen de représenter un sentiment ou de décrire un état intérieur connectés au « feeling » préassocié à la chanson, surtout quand un réalisateur « non commercial » était aux commandes, parler de dilution du sens n’était plus de mise. Pour prendre un de ces contre-exemples d’encensement critique, citons la séquence de réminiscence érotique de Who’s That Knocking at My Door, que Martin Scorsese a tournée à Amsterdam en 1968 (9) pour satisfaire un distributeur spécialisé dans les films lestes. Tournée en 16 mm puis gonflée et insérée en cut brutal pendant une discussion sur la différence entre jeunes filles et poules, elle constitue un îlot au sein du film, entièrement construit sur The End des Doors. Elle en importe le trouble sulfureux qui avait fait sa notoriété (« father, I want to kill you, mother I want to fuck you… ») – Coppola réutiliserait la chanson dans Apocalypse Now pour l’ouverture du film et la séquence du meurtre du Colonel Kurtz en montage alterné avec le sacrifice d’un buffle. Surexposition, mouvements à 360° et gros plans y célèbrent à la fois Shadows et l’enthousiasme pour l’esprit libertaire porté par certaines branches du rock : la preuve était faite (si besoin était) que nulle relation d’automaticité ne connecte effet-clip (non répertorié comme tel à la sortie du film, bien entendu) et vide artistique.

Cependant, déplacer notre définition sur le terrain générique n’en a pas fait une définition d’essence imparable. D’une part, l’influence des musiques populaires électriques s’est très tôt fait sentir sur les compositions originales du cinéma, et sous l’impulsion de compositeurs comme John Barry, Ennio Morricone, Henry Mancini, Burt Bacharach, etc., les musiques de films mainstream se sont parées de couleurs pop dans l’écriture, les arrangements ou l’instrumentarium. D’autre part, les contre-exemples fourmillent de séquences-clips à des années-lumière du rock, à commencer par le Fantasia de Walt Disney, en 1940.

Tentative de lecture sémio-pragmatique

Au lieu de s’échiner à produire une approche textuelle, qu’elle soit structurelle, technique ou générique, peut-être faut-il se tourner vers le public, à la recherche d’un effet-clip en tant que production de sens et d’affect par le spectateur (10).

Premier problème : considérée ainsi, la notion d’effet-clip autorise à voir du clip là où il n’est pas censé, technologiquement et culturellement, y en avoir. Quand les Cahiers du cinéma titrent « Un clip de Jean-Luc Godard » (Burdeau 2005), ils ne visent pas le seul clip que le réalisateur ait effectivement réalisé lorsqu’on prend le mot clip au sens de son format institutionnalisé (pour France Gall en 1996), mais une séquence de Vivre sa vie (1962), censée « rendre visible » la pensée de l’héroïne en train d’écouter Ma môme… Comment un film tourné trente ans avant la naissance de MTV peut-il contenir un clip, sachant que certaines figures qu’évoque l’article, comme le regard-caméra, « font » certes clip, mais, comme on l’a dit, ne lui sont pas spécifiques ? La chanson, de surcroît, n’est pas tout le temps off, puisque des plans en montrent la source (le juke-box) et l’origine réelle (Jean Ferrat). Comment l’auteur de l’article peut-il parler de clip, quand bien même il le fait pour montrer comment Godard, bien sûr, désamorce le côté cheap de l’effet-clip ?

Première explication : il y a contamination du regard, puisque l’effet-clip, en partie constitutif du format clip lui-même et importé dans les longs-métrages, (dé)forme le regard du contemporain sur des objets antérieurs présentant certains paramètres du clip (la chanson-séquence, l’absence de dialogue, la répétitivité des plans et le regard-caméra). D’un point de vue pragmatique, il n’y a rien de plus banal : lire un texte consiste à le mettre en adéquation avec nos propres structures de production de sens, que celles-ci correspondent à celles qui ont prévalu à l’élaboration du texte ou non relève du contingent et non de l’immanent.

Deuxième explication : l’effet-clip ne date pas du clip et celui-ci n’est qu’une forme contingente d’un principe plus général que l’on peut retrouver ailleurs que dans le cadre de ce qui est recouvert aujourd’hui par ce mot. L’exemple de Vivre sa vie fonctionne d’ailleurs très bien car la présence de Ferrat à l’image renforce l’idée que l’on pourrait tout à fait extraire la séquence et la diffuser « comme un clip ». Pragmatiquement, le contexte fait certes le sens de l’objet, mais l’objet reste. Ici l’objet est une alliance particulière de musique et d’images animées qui, diffusée sur MTV, s’appelle clip – « instantané de fast-food culturel » – et, montée dans un film de Godard, s’appelle une séquence de la Nouvelle Vague – « moment de Septième Art ». Cette alliance particulière débouche, sous la plume du critique des Cahiers du cinéma, sur un phénomène d’émergence de la pensée – la pensée que l’on prête à Anna Karina et à Godard, notre propre pensée qui vagabonde sur ce visage et qui fait résonner le texte de la chanson avec les images pour les mettre en correspondances… L’image semble alors illustrer le texte chanté, tandis qu’en sens inverse le texte constitue la clé interprétative de l’image. Bien sûr le réalisateur est tenu pour responsable de la mise en relation de ces deux énoncés, ce qui le construit en « super-énonciateur ». Mais la réalité est plus complexe. À partir du moment où le spectateur, à supposer chez lui quelque compétence en la matière, reconnaît la chanson pour ce qu’elle est à l’origine – un objet déjà énoncé autre part –, il importe avec elle dans le film au moins une partie de cette énonciation préalable. Par conséquent, cette séquence n’est plus complètement à Godard, non plus qu’à Jean Ferrat : elle appartient autant à Vivre sa vie qu’à Ma Môme, au cinéma qu’à la chanson, et se place dans une situation nouvelle d’énonciation – une énonciation off, pourrait-on dire. Les exemples fourmillent, en réalité, de séquences qui regroupent tout ou partie des figures que l’on attribue un peu vite à l’effet-clip, dans des films qui ne sont pas considérés aujourd’hui d’abord comme particulièrement « commerciaux », rock, ou à destination des adolescents.

Ainsi la séquence de Play Misty For Me (Un Frisson dans la Nuit, Clint Eastwood 1971) sur The First Time I Ever Saw Your Face constitue-t-elle un « clip » elle aussi, même privée de la figure de l’interprète (on n’y voit pas Roberta Flack). Entièrement construite sur le temps d’une chanson qui passait à l’époque du tournage, cette séquence, sans dialogues, est entièrement constituée d’une journée entre les deux amants retrouvés : promenade sur les grandes plages de Californie, pique-nique, amour dans les herbes au bord d’une cascade, puis retour main dans la main à travers la forêt côtière au soleil couchant. Retrouvailles amoureuses et sexuelles, cette délicate pastorale maritime, que seule la douce voix émouvante de la chanteuse accompagne avec un texte en pleine concordance avec la scène (11), forme un îlot de communion simple et tendre au milieu du récit. Le rythme, en accord avec la chanson, est plus calme que dans le reste du film : les plans sont relativement longs, les raccords se font en fondus enchaînés, la caméra est stable et la majeure partie du temps, fixe, hors quelques lents panoramiques. La séquence entière se déploie en extérieurs lumineux, qui contrastent avec les intérieurs sombres ou les extérieurs nuits qui constituent la majeure partie du reste du film. Enfin, l’image elle-même affiche un grain particulier, d’un rendu moins léché que celles des séquences qui l’encadrent, avec pour résultat de produire quelque chose de plus intime et de plus « authentique ».

À l’instar du couple, le spectateur se repose, peut suspendre son activité proactive de constitution du récit et laisser son esprit vagabonder au rythme de la chanson et de la promenade, se laisser pénétrer par la sensation de l’état amoureux. Contrairement à la séquence de Vivre sa vie, la musique ici n’a aucune racine dans la diégèse, elle s’en va comme elle est apparue dans le film, sans justification particulière, sans attaches. Pause dans la bande sonore du film, elle confère cependant à la séquence le même statut de parenthèse que dans Vivre sa vie. On retrouve ce double rapport entre musique et image où chacune se désolidarise en partie du reste du film pour former un espace particulier. L’effet-parenthèse est d’ailleurs « confirmé » par le réalisateur. En effet, dans les bonus du DVD, Clint Eastwood explique avoir entendu la chanson à la radio (elle venait de sortir) et décidé, autant pour enrichir son film que pour faire quelque chose de cette chanson qui l’avait touché, de tourner cette séquence, en une journée, avec des moyens restreints (ce qui explique le grain particulier de l’image). On le voit, les informations génétiques et l’effet de cette séquence sont en adéquation avec sa raison d’être : mettre des images sur une chanson, faire un clip. « L’effet-clip » correspond ici à un « faire-clip ».

Dans les deux exemples, chez Godard et chez Eastwood, la suspension de l’action joue moins que la dilatation. Il se passe quelque chose : une jeune femme réfléchit, un couple s’aime ; mais ces éléments du récit s’étendent au-delà de leur seule utilité causale dans la progression du récit. Dans les deux films, d’ailleurs, la répétitivité des plans le souligne bien : retours incessants sur le visage d’Anna Karina, multiplication des plans sur le même couple en train de marcher. Le temps du récit suspend son vol, l’image varie sur un thème mais n’en change pas le temps de la chanson. Au lieu de s’accompagner mutuellement dans une progression narrative, la bande musicale et la bande image se répondent à travers leur unicité : à une chanson correspond un moment du récit, un type d’action, un type de plan, un style filmique. De plus, ces « minifilm[s] dans le film » (Burdeau 2005, p. 72) correspondent à des moments d’accomplissement, de plénitude des personnages, moment de méditation paisible après un long monologue dans Vivre sa vie ou de pleine complicité amoureuse dans Play Misty for Me. Ils n’ont rien à dire, le film non plus, sur ces moments où la sensation de bien-être s’épanouit. De là l’abandon du texte dialogué pour celui chanté et importé de l’extérieur du film. La crise, l’événement déclencheur à l’origine du récit, la grande transformation (Greimas 1966) semblent alors bien loin. D’où la quatrième définition de l’effet-clip : une adresse au spectateur, visant à lui demander d’entrer dans une parenthèse filmique de rapports nouveaux entre images et musique. Ici, ces rapports nouveaux visent à évoquer un état intérieur des personnages, inaccessible aux matières de l’expression cinématographique utilisées comme elles le sont d’ordinaire.

Dans cette perspective, l’effet-clip n’est plus aussi « barbare » qu’il en a l’air, pour utiliser le vocabulaire de l’Ecole de Francfort. Max Horkheimer, l’un des représentants les plus connus de ce courant, considérait en effet le cinéma d’un œil peu amène ; il trouvait que la complicité des films hollywoodiens avec l’ordre capitaliste le plus injuste se lisait surtout dans les séquences dont nous avons parlé plus haut, que Metz appellerait en 1966 les syntagmes fréquentatifs :

Vous vous rappelez sûrement, écrivit-il dans une lettre à un collègue, ces horribles scènes de certains films où quelques années de la vie du héros sont traitées en une série de plans d’une ou deux minutes qui montrent comment il a grandi et vieilli […] Ce découpage d’une existence en quelques instants futiles qu’on peut caractériser de façon schématique symbolise la dissolution de l’humanité en fragments à l’intérieur d’un monde administré  (Jay 1997, p. 246).

Or, détachées, elles, de la tâche de faire avancer le récit, et propres à « réinjecter de l’humain » en laissant le spectateur un peu plus libre de vagabonder que lorsqu’il est soumis aux cadences du suspense comme on est soumis aux cadences de l’usine, les séquences-clips peuvent justement échapper à cette malédiction.

Pour finir : la piste éthique

« Effet-clip » est donc possiblement une étiquette utile, que l’on mobilise en situation, dans le contexte particulier d’un film, parce qu’on remarque une ressemblance entre ce que nous fait d’ordinaire un clip (ou cherche à nous faire) et ce qui s’est produit dans telle partie du film en question. Ce n’est pas que les paramètres structuraux, techniques et culturels énoncés dans nos définitions y soient étrangers, bien au contraire, mais toute tentative de classification arborescente en matière de conditions nécessaires et suffisantes échouerait à rendre compte de ce qui se passe. L’effet-clip est typiquement une notion que l’on manie sur le modèle des ressemblances de famille défendu par Wittgenstein. Clips et séquences-clips sont « unis non par un trait commun qui les définit, mais par un réseau complexe de similarités qui se chevauchent et s’entrecroisent » comme les membres d’une même famille se ressemblent. « Ce qui fait tenir le concept et lui donne son unité n’est pas le “fil unique” reliant tous les cas, mais des fibres différentes qui se chevauchent comme s’il s’agissait d’une corde » (Glock 2003, p. 60).

L’une au moins de ces fibres qui interviennent dans la sensation d’avoir affaire, sur l’écran, à un effet-clip a certainement maille à partir avec l’éthique. Une acception plus large, et plus éthique que technique, de la notion d’effet-clip, autorise en effet à y voir une préférence, depuis la fin des années 1970 et le succès du « film-concert » postmoderne (12), pour les musiques tonales et mélodiques, même dans les séquences dures et pénibles (13). L’effet-clip devient là le symptôme de l’œil esthétique ou du regard dandy que le spectateur cool pose sur le monde en général, horreurs comprises ; et les jolies mélodies constituent la bande-son de « la souffrance à distance », du nom de l’ouvrage de Luc Boltanski (1993) qui décortique cette nietzschéisation du rapport au spectacle de la douleur d’autrui. La séquence des douches d’Auschwitz de Schindler’s List (Steven Spielberg 1993) ou la scène de torture de Reservoir Dogs (Quentin Tarantino 1992), dans des registres différents, l’illustrent bien.

Bien sûr, on peut appréhender cette évolution d’un œil moins pessimiste, et croire au contraire que l’effet-clip est une arme de lutte contre  la « barbarie culturelle » à laquelle il est fait allusion plus haut – la question divise d’ailleurs les auteurs du présent article. Le regard kantiennement désintéressé que l’effet-clip invite à adopter sur « n’importe quoi de visuel mis sur une chanson » (Chion 2000, p. 140) permettrait alors, de façon réflexive, de se poser la question de la justesse éthique du dispositif – cessant au passage d’être désintéressé. Par exemple, les jumelles et la musique de la scène de torture finale de Salò o le 120 giornate di Sodoma (Salò ou les 120 Journées de Sodome, Pier Paolo Pasolini 1976), en s’opposant aux récits qui construisent le reste du film, pourraient faire quitter le cadre confortable de la lecture fictionnalisante à certains spectateurs, pour passer du côté du fabulisant (Odin 2000, p. 68 sqq.) ou du moralisant (Odin 2011, p. 53 sqq.). Peut-être se cache-t-il là un lien avec certains états de transe, où la musique comme « ondulation de l’âme jusqu’à l’autre âme » (Gide 1952, p. 70) aide via l’effet synesthésique – mais sans s’arrêter au plaisir sensuel qu’il procure – à considérer les choses sous un autre angle.
Notes

(1) Respectivement : partie critique d’un texte de présentation du film Bodygard diffusé sur TF1 le 21/05/2002 à 20h55 ; partie critique d’un texte de présentation du film Les Nuits fauves, diffusé sur Paris Première le 01/12/2005 à 23h50 ; article consacré à Alan Parker, dans un dictionnaire critique.

(2) C’est pourquoi l’intensified continuity définie par David Bordwell caractérise souvent les séquences-clips. Cette question est discutée dans Jullier 2012, p. 276.

(3) Toutes ces figures sont détaillées dans Jullier et Péquignot 2013.

(4) Les courants dada et impressionniste des années 1920 emploient déjà quantité des futurs tics stylistiques du clip, voir Chateau 1992 et Jullier 1997, pp. 117-129.

(5) Altman 2007 ; Barnier 2001.

(6) Sur l’émergence du phénomène, voir Smith 1998, p. 55 sqq.

(7) Matt Monro, Shirley Bassey à plusieurs reprises, Carly Simon, Duran Duran, Dionne Warwick, Paul McCartney & Wings, A-ha, Nancy Sinatra, Garbage, Tina Turner, Sheryl Crow, Madonna, Alicia Keys, Adele.

(8) Une simple comédie comme Dumb and Dumber (1994) comprend ainsi la bagatelle de 33 chansons… Le genre de la rom com en fait une consommation effrénée – il y en a 33 aussi dans Valentine’s Day (2010), dont il suffit de lire les titres pour comprendre leur présence : Say Hey I Love you, I’m in the Mood for Love, Somebody to Love, Lost Love, California Love, When a Man Loves a Woman, Keep on Lovin’ You, etc.

(9) Une première version du film intitulée I Call First était sortie en 1967.

(10) Nous nous référons ici au modèle sémio-pragmatique proposé dans Odin 2000.

(11) La chanson est une suite de « premières fois » : premier regard, premier baiser, premier ébat, déclaration d’amour d’une femme à un homme (mais l’inverse fonctionne aussi quand un homme chante cette chanson maintes fois reprises).

(12) Un film-concert « invite celui qui le regarde à le recevoir en termes d’ambiances, de sentiments et de sensations informulés » (Jullier 1997, p. 10). Le terme convient à toutes les œuvres audiovisuelles qui donnent l’impression de transférer au médium dans lequel elles sont encodées et diffusées l’efficacité haptique et les pouvoirs d’évocation non figuratifs de la musique.

(13) Voir analyse d’exemples dans Jullier 2012, ppp. 257-260.

 

Bibliographie

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Anonyme. « Bodyguard », Télé Câble Satellite Hebdo, n° 628 (semaine du 18 au 24 mai 2002) : 100.

Barnier, Martin. Bruits, cris, musique de films. Les projections avant 1914, Rennes : PUR, 2001.

Boltanski, Luc. La souffrance à distance. Morale humanitaire, médias et politique, Paris : Métailié, 1993.

Burdeau, Emmanuel. « Un clip de Jean-Luc Godard », Cahiers du cinéma, n°598, (Février 2005) : 72-73.

Château, Dominique. « Le rôle de la musique dans la définition du cinéma comme art : à propos de l’avant-garde des années 20 », CiNéMAS Vol. 3, No 1, automne 1992 : 78-94.

Chion, Michel. L’audio-vision (1990), Paris : Armand-Colin, 2000.

Coursodon, Jean-Pierre et Tavernier, Bertrand. « Alan Parker », 50 ans de cinéma américain, éd. revue et mise à jour, Paris : Nathan (1991) 1995 : 749-750.

Gide, André. Les Cahiers et poésies d’André Walter, Paris : Gallimard, 1952.

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Greimas, Algirdas Julien. Sémantique structurale, recherche de méthode, Paris : Larousse, 1966.

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Jullier, Laurent. L’écran postmoderne, Paris : L’Harmattan, 1997.

Jullier, Laurent. Analyser un film. De l’émotion à l’inteprétation, Paris : Flammarion, 2012.

Jullier, Laurent et Péquignot, Julien. L’art du clip. Paris : Armand-Colin, parution été 2013.

Kant, Critique de la faculté de juger, Œuvres philosophiques tome II, trad. fr. Alexandre J.-L. Delamarre, Paris: Gallimard, 1985.

Landrot, Marine. « Les Nuits fauves », Télérama, n° 2915, (semaine du 23 novembre au 1er décembre 2005) : 145.

Metz, Christian. « La grande syntagmatique du film narratif », Communications Vol. 8, No 8, 1966 : 120-124.

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Smith, Jeff. The Sounds of Commerce. Marketing Popular Film Music, New York, Chichester : Columbia University Press, 1998.

 

Notices biographiques

Laurent Jullier est professeur d’études cinématographiques à l’IECA (Université de Lorraine), directeur de recherches à l’IRCAV (Sorbonne Nouvelle-Paris III), et membre d’ARTHEMIS (Concordia, Montréal). Détails sur site web : www.ljullier.net.

Julien Péquignot est enseignant-chercheur à l’Université d’Avignon et des Pays du Vaucluse (Équipe Culture et Communication du Centre Norbert Élias) en sciences de l’information et de la communication, spécialisé dans l’approche sémio-pragmatique des cultures populaires audiovisuelles.

 

Abstract

“Music video effect”, at least in France where it is called “effet-clip”, is a label used by film critics to stigmatize some movies supposedly “tainted” by the so-called MTV aesthetic. Most of the time, this resort to music video is a pejorative mean of characterization.  In the same time,  this “effect” belongs to this kind of notions which operate in the same way as the family resemblance pattern described by Wittgenstein. This paper therefore tries to understand what it is. Of possible definitions, imported shape from musical television, figure appropriated by MTV’s era music videos, aesthetic idea, musical suspension of the narrative, historic and cultural configuration, set of technical gestures, none is sufficient to explain the whole phenomenon. Because the effet-clip  points out the limits of the textual approach, may it be structural, technical or generical. The “same thing” can be, depending on the context, the most “pure” artistic gesture or the most mundane and commercial triviality. For this, the authors propose a pragmatic approach of the effet-clip, as a particular kind of production of meaning and feeling. This change of point of view leads to the ethical question that the effet-clip can raise, and the ambiguity, even the contradiction which can result.