The Force Awakens – bande-annonce: confidence, et confession d’un « aca-fan »*

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*Le terme acafan est utilisé, entre autres, par Henry Jenkins et Matt Hills, célèbres universitaires spécialistes de la culture des fans. Un acafan est un universitaire qui étudie les fans et qui se dit fan lui-même. 

Les prequels (épisodes I à III) ont déçu plusieurs fans de la première garde. Ces derniers se sont littéralement sentis trahis. Ils critiquaient, et encore aujourd’hui avec plus de véhémence, la présence du burlesque Jar Jar Binks, l’esthétique factice rendue par le numérique et le jeu médiocre de Hayden Christensen (oh et de Jake Loyd!). Mais qu’à cela ne tienne! Dans les mois suivant sa sortie, j’ai été voir The Phantom Menace dix-neuf fois en salle (quinze fois ici et quatre fois au Pérou doublé en espagnol). La voilà ma confidence! Mais pourquoi aller voir autant de fois un film aussi décrié comme mauvais par les fans? La réponse est simple: j’ai eu du plaisir, certes un plaisir naïf, mais totalement assumé à l’époque! Je redevenais un enfant, l’instant du film, me rappelant mes soirées en pyjama avant de me coucher, à réécouter A New Hope en rediffusion sur CBC (je ne comprenais rien à l’anglais, mais tant pis). Et puis, finalement, les prequels m’ont eu à l’usure, me rangeant du côté des fans déçus. J’étais par contre, à l’époque de Phantom Menace, très loin de me douter qu’un jour j’allais écrire une thèse de doctorat sur la question de la réappropriation affective chez les fans. Peut-être essayais-je inconsciemment de légitimer un acte de visionnage répétitif et compulsif?

À trois ans mes parents m’amenèrent voir l’épisode IV, mon génome fut alors imprégné par SW. La cinéphanie totale! À 8 ans je passais les week-ends chez mon père, qui était équipé d’un système audio digne de ce nom. L’une de mes activités favorites consistait à m’installer bien confortablement dans le salon avec une paire d’écouteurs surdimensionnés, et écouter les vinyles de l’épisode IV et V, en me réimaginant les images de A New Hope (effectivement, je n’avais pas encore vu Empire Strikes Back).

Tous les moyens étaient bons pour réactualiser ma cinéphanie originale. Je grandis au rythme des sons de Star Wars, des zzoushh de sabres lasers, et des piou piou de blasters venant des stormtroopers, et comme plusieurs jeunes de ma génération, mon enfance et mon adolescence furent bercées par les cuivres de Williams. Les années passèrent, ainsi que les nombreuses rééditions de la trilogie originale que j’achetais toutes sans exception (sauf les disques lasers). Puis, c’est le retour tant attendu: Episode I – The Phantom Menace. La planète geek s’enflamme et se galvanise autour d’une campagne marketing bien orchestrée. Mais…

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À sa sortie, les critiques ne sont pas tendres, mais accordent au film sa valeur de divertissement. Partagé entre la déception et l’excitation, j’ai préféré garder le souvenir d’une projection avec mon petit frère et ma petite soeur, applaudissant sur le bout de leurs sièges lors du climax explosif final, alternant judicieusement entre le duel contre Darth Maul (sous-utilisé), et l’attaque du vaisseau mère de la Fédération du commerce. Encore, la musique continua de bercer ma vingtaine avec la très wagnérienne composition de John Williams Duel of the FaithRevenge of the Sith réussit toutefois à réconcilier une majorité de fans, mais c’était trop tard. Les images de synthèse, les décors presqu’entièrement ajoutés sur des écrans verts, et les tournages numériques des épisodes II et III avaient déjà émoussé le respect des fans pour le maître. Le plaisir qui semblait poindre à l’horizon de l’épisode I s’effaça doucement pour faire place à l’ennui d’un récit politique sur la corruption et les manigances de coulisse qui endormiraient n’importe quel enfant, voire même un adulte. Et pourtant, il y avait dans ce récit quelques flèches volontairement tirées par Lucas à l’endroit du gouvernement Bush. La plus célèbre, entre autres, étant Anakin qui réplique à Obi-Wan dans Revenge of the Sith: « If you’re not with me, then you’re my enemy! ».

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Malgré l’ennui suscité par les prequels, il faut toutefois reconnaitre ceci : Lucas sait composer une image. Il a un flair de concepteur visuel hors pair qui sied bien à la science-fiction. Mais quel mauvais scénariste (à l’exception de A New Hope!), et quel mauvais directeur d’acteur! Or, malgré ces lacunes qui distinguent les mauvais des meilleurs réalisateurs, ce talent pour la composition visuelle qui définit l’identité fondamentale des six Star Wars chapeautés par Lucas risque de me manquer grandement. Je sens « a great disturbance in the Force » à venir. Une rupture esthétique et même idéologique marquée par une nouvelle génération de fans professionnels (des pro « fan » sionnals, comme disait mon directeur de thèse). Je dois faire mon deuil, je présume. Par ailleurs, Star Wars a inspiré un nombre incroyable de fanfilms de qualités inégales. Lucasfilm fut très tolérant et créa même un événement pour célébrer les fanfilms: The Official Star Wars Fan Film Awards. Le fanfilm est une déclaration d’amour pour une oeuvre de fiction existante. Le film qu’on fait entre amis afin de perpétuer un sentiment fort pour une oeuvre qui nous a marqués, ou même pour réaliser une carte de visite dans le but de percer l’industrie du divertissement. Et des fanfilms de Star Wars j’en ai vus plusieurs! De TROOPS, à George Lucas in Love, de Ryan VS Dorkman à Pink 5; Star Wars Revelation, Knight Quest, Broken Allegiance, The Formula, (…).

Alors voilà, mon constat est bien simple, et honnêtement animé par la crainte de perdre quelque chose de pure et de fidèle à l’esprit des premiers opus The Force Awakens ouvre l’ère des fanfilms professionnels de Star Wars, et s’éloignera tranquillement du style visuel et musical instaurés par Lucas et Williams. Comme ce fut le cas pour James BondStar Trek, Doctor Who, les films de Marvel, les derniers Batman, et j’en passe. Ces dernières franchises ne s’en portent pas plus mal me direz-vous. Effectivement! Il s’agit ici d’une plainte oiseuse et futile d’un fan nostalgique. Mais il y a pire! (soyons encore plus tragiques et dramatiques!)

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Le visionnage de la dernière bande-annonce de The Force Awakens m’a laissé totalement froid. Il est bien là le drame absurde du pauvre fan de SW que je suis.

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Alors que la planète geek s’enflamme à nouveau, anticipant avec une joie non dissimulée sur les réseaux sociaux le retour des effets spéciaux pratiques (même BB-8!), des vrais décors, du tournage sur pellicule – il y a déjà de quoi s’exciter! – moi, je me sens largué par cette dernière bande-annonce (avouons-le, encore un teaser, mais plus long que les autres), qui serait en théorie sensée faire vibrer ma fibre nostalgique au rythme des images et des sons qui pourtant n’offrent encore peu de sens sur le plan narratif. Mais non. En effet, le film n’est pas encore sorti, que les fans accordent déjà à leur expérience de la seule bande-annonce une valeur affective hautement positive, hypnotisés par une campagne de marketing redoutable qui permet même à ses jeunes acteurs de se filmer, comme c’est la mode de nos jours, en train de regarder la bande-annonce.

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Daisy Ridley, l’actrice qui joue Rey, regardant la bande-annonce.

Par une « mise en performance » habile du soi, on assiste presque en direct à leurs réactions qui explosent de joie et d’excitation (un sentiment inconfortable m’envahit: « If you’re not with us, you’re against us »). Une émotion de joie que les fans espèrent réactualiser le jour venu de la sortie en salle. De mon côté, mon expérience affective de la bande-annonce est plutôt négative. Je n’ai pas eu de cinéphanie préliminale! Ce qui n’est pas garant non plus d’une mauvaise expérience du film à sa sortie en décembre! Néanmoins, en tant que fan de Star Wars, on se sent drôlement largué, avec un goût amer et l’impression que quelque chose nous échappe. Pourquoi eux, pourquoi pas moi? On ne fait soudainement plus partie de cette grande communauté.

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Pour l’instant, ce que je vois et ce que j’entends ce n’est pas Star Wars, mais un fanfilm réalisé avec des gros moyens financiers et endossé (oui, et produit) légalement par Lucasfilm. Un produit qui s’apparente davantage à un reboot clandestin. Ce que je vois: une caméra qui bouge trop; les travellings étourdissants à la steadycam affectionnés par J.J Abrams (que l’on retrouvent dans Star Trek); un flare de lentille (oui juste un, mais un de trop!); des X-Wing noirs; un stormtrooper chromé (le personnage Phasma) sorti tout droit des vieux Battlestar Galactica tel un Cylon; des jedis relégués au rang de mythe alors qu’ils ont protégé la galaxie durant 1000 ans; la musique qui, malgré les mélodies bien connues de la saga, ne « sonnent » juste pas Williams avec le piano d’introduction qui installe un pathos très abramesque. Mais où est le plaisir dans cette bande-annonce? Why so serious? Où est C3-PO? Pourquoi cette référence navrante par son manque de subtilité esthétique au nazisme et même à Leni Riefenstahl? Pourquoi ne pas avoir identifié The Force Awakens épisode VII? Je suppose que je vais devoir attendre le 18 décembre pour répondre à toutes mes questions. Mais soyez avertis mes chers amis geek que j’ai maintenant sur vous une longueur d’avance, qui risque de favoriser avantageusement mon expérience, car mes attentes sont maintenant très basses!