Fantasia 2014 – Giovanni’s Island. Un coup de coeur, charmant, amusant et déchirant

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Récipiendaire de la distinction du jury au Festival international du film d’animation d’Annecy cette année, le drame historique des studios Production I.G, réalisé par Nizuho Nishikubo (Musashi: The Dream of the Last Samurai) et coscénarisé par Yoshiki Sakurai (GITS S.A.C., Redline) et Shigemichi Sugita (The Last Ronin), est l’exemple parfait du cinéma d’animation qui, malgré son esthétique naïve, risque d’abord de s’adresser à la sensibilité des adultes. Il arrive souvent que j’aie à expliquer à certaines personnes plus âgées, comme mon père, que le cinéma animé n’est plus seulement réservé qu’aux enfants d’âge préscolaire ou aux adolescents timides et reclus. Le genre n’est plus circonscrit au créneau horaire du samedi matin. À cet égard, on peut dire que les Japonais ont contribué, et cela depuis longtemps, à faire éclater les cloisonnements génériques et les publics cibles. La cinématographie nipponne regorge d’exemples, à commencer par l’autobiographique Barefoot Gen (1983) du producteur Keiji Nakazama, mais surtout le fantastique Grave of the Fireflies (1988) d’Isao Takahata, avec lequel Giovanni’s Island partage quelques similitudes. En effet, les deux films relatent les conséquences de la Deuxième Guerre mondiale, à travers les yeux de deux jeunes enfants. Or, la comparaison s’arrête là, autant sur le plan esthétique, historique et narratif.

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L’histoire de Giovanni’s Island suit Junpei et Kanta, deux frères très liés dont la famille et les habitants de l’ile de Shikotan subissent l’occupation russe après la défaite japonaise de 1945. Le film porte sur un moment de l’histoire de la Deuxième Guerre peu connu. En effet, appartenant toujours aux Russes, les iles de Kuril les plus au sud, juste au nord de l’ile d’Okaido, sont encore à ce jour disputées entre la Russie et le Japon. Quelques années après la défaite, beaucoup de familles japonaises habitant ces iles, essentiellement des pêcheurs, furent déportées, avec des conséquences dramatiques.

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Le titre du film vient du nom du personnage central tiré d’une nouvelle extrêmement populaire au Japon Train de nuit dans la Voie lactée (Ginga Tetsudō no Yoru, 1934) écrite par Kenji Miyazawa. Les deux frères, Junpei et Kanta, attachent une grande importance à cette nouvelle, dont leur père leur fait la lecture depuis la mort de leur mère, il y a quelques années. Les frères se sont rebaptisés Giovanni et Campanella, deux grands amis d’enfance dans la nouvelle. À l’aide de leur train jouet, les deux frères s’approprient l’univers littéraire en visitant la galaxie, ce qui donne de magnifiques envolées magiques sur le plan visuel, illustrées par une imagerie graphique naïve tout droit sortie de la tête d’un enfant, où les coups de crayon sont rois.

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Par ailleurs, il n’est pas anodin de relever que le train occupe une grande place dans l’imaginaire nippon. On parle même de train otaku pour identifier le fan collectionneur passionné de locomotives miniatures. Il existe plusieurs boutiques dans le célèbre quartier Akihabara à Tokyo entièrement consacrées à la vente de trains miniatures et d’accessoires.

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Dans les anime, on notera également la place du train dans la célèbre série Galaxy Express 999 de Leiji Matsumoto (Albator, ou Captain Harlock), fortement inspirée de la nouvelle de Miyazawa, mais on peut aussi remonter aussi loin qu’en 1929 avec le court métrage Taro’s Toy Train, mêlant tournage en action réelle, animation stop-motion et animation dessinée.

Le génie quant à l’utilisation de l’image du train dans Giovanni’s Island vient de la force de son apport comme métaphore de réunion et de lien social. Le train n’est plus seulement qu’un simple moyen de transport, servant à relier les individus éloignés géographiquement les uns des autres, il est aussi un puissant symbole utilisé comme leitmotiv dramatique. Ici, le train jouet se prête à la métaphore du rapprochement entre deux cultures. Lorsque Junpei et Kanta font le montage de leur train électrique donné par leur oncle, la porte coulissante menant vers la demeure adjacente s’ouvre délicatement, puis de petits rails sont insérés dans l’ouverture. Junpei et Kanta comprennent rapidement l’invitation ludique et utilisent les petits rails qui leur sont donnés par Tanya, la petite voisine russe dont Junpei tombera amoureux, afin de rallonger le parcours du train électrique jusqu’à elle. Ce dernier roule ensuite en boucle entre la demeure de Junpei et celle de Tanya. Ce qui illustre à merveille, au fond, que les enfants étaient loin de se préoccuper de la guerre et que déjà la réconciliation se préparait en germe. Cette scène est réalisée avec une rare finesse, la lumière orangée éclaire le train en créant d’imposantes et ensorcelantes silhouettes ombragées en mouvement sur le mur, sous les regards éblouis des enfants. Sans qu’un seul mot ne soit échangé, le récit travaille subtilement à faire passer son message. Lorsque le train revient dans la pièce où se trouve Junpei et Kanta, la boucle à cheveux de couleur rose de Tanya repose sur la locomotive de tête.

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Malgré les injustices vécues par les habitants de l’ile, cela n’affecte en rien les relations entre les enfants. En tant que spectateurs, nous constatons la présence d’injustices, mais sans jamais la « ressentir », puisque le récit est toujours soigneusement raconté du point de vue de Junpei, qui lui vit sa vie d’enfant, rendant l’histoire encore plus déchirante pour le spectateur adulte. Giovanni’s Island se concentre donc en bonne partie, disons les deux premiers tiers du film, sur les conséquences de l’occupation russe d’un point de vue culturel. Le récit prend une tournure plus dramatique lorsque toutes les familles de l’ile se voient déportées. Or, jusque-là, toute cette aventure reste positive dans la tête de Junpei, et cela, sans que jamais les Russes ne soient antagonisés. Junpei et Kanta sont même invités à manger avec la famille de Tanya lors d’une soirée festive. Ainsi, jusqu’à la déportation, la seule conséquence de l’occupation russe pour Junpei est bien simple: il y a des enfants de plus avec qui jouer.

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Pourtant, l’injustice pourrait être vécue chez les jeunes japonais, dont la classe est déménagée dans un local adjacent moins confortable. Les enfants russes occupant maintenant la classe principale. En apprenant la nouvelle, les enfants japonais ne comprennent pas, et Junpei demande candidement, le sourire aux lèvres, s’ils apprendront le russe. Une réplique suivie d’un silence qui en dit long. Et puis il y a les scènes lors desquelles les deux classes chantent dans leurs langues respectives. Lorsque les jeunes Russes se mettent à chanter bruyamment, clairement audibles à travers les murs, les jeunes Japonais arrêtent de chanter puis reprennent, encore plus fort, en offrant une certaine résistance. Quelques scènes plus tard, les petits Japonais entendent, contre toute attente, les enfants russes chanter en japonais. S’ensuit une séquence montrée en montage alterné, entre les enfants japonais et russes chantant dans la langue de l’autre. Une scène terriblement efficace, lors de laquelle les choeurs s’entremêlent, se répondent, échangent; une scène dont le message atteint sa cible en illustrant la mixité culturelle à l’oeuvre.

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Sur le plan esthétique, le réalisateur Nishikubo prend le parti pris artistique du dessin à la main. Les contours des objets ainsi que les lignes des bâtiments, droites en tant normal, sont volontairement imparfaits. À la différence des manga traditionnels, les réactions très spontanées des personnages sont illustrées de manière originale, laissant les fines lignes des visages se métamorphoser au gré des humeurs. Le regard naïf qu’ont les enfants sur le monde extérieur se traduit merveilleusement bien avec le dessin animé. Or, en abordant un sujet aussi sérieux, on peut se demander si le film n’aurait pas été plus fort s’il avait été tourné en action réelle. Ma réponse est non, car c’est justement l’imaginaire de Junpei et le sentiment naïf qui s’en dégage par le dessin, qui illustre le mieux son propre regard sur le monde en tant qu’enfant. Et c’est justement par cette esthétique animée que le spectateur est le plus en mesure de partager les sentiments de nos jeunes protagonistes. L’utilisation des images de synthèse est réduite à son minimum, davantage évidentes avec la mer durant l’introduction. Contrairement à Grave of the Fireflies, qui utilise des couleurs sombres et terreuses, Giovanni’s Island a recours aux couleurs vives et franches, se réservant les tons plus sombres vers la fin. Une histoire touchante qui saura, subtilement et avec finesse, vous tirer quelques larmes, Giovanni’s Island se fait le héraut de l’espoir et de la résilience. Mon coup de coeur du festival jusqu’à présent, à voir absolument!