Critique – Mother!, de Darren Aronofsky

Pour les cinéphiles, la sortie d’un film de Darren Aronofsky ne peut être qu’un évènement. Sa carrière était encore bien jeune lorsqu’il nous a offert Requiem for a Dream (2000), devenu instantanément un film-culte grâce à son montage révolutionnaire et à son scénario cruel et sans concession. Par la suite, il nous a gratifié d’autres oeuvres coups-de-poing, notamment The Wrestler (2008) et Black Swan (2010), deux films extrêmement sensibles, impeccablement mis en scène et remplis de morceaux de bravoure. Malheureusement, Mother! laisse le spectateur sur sa faim, bien qu’il soit loin d’être sans qualités.

 

Un poète qui a perdu l’inspiration habite une grande demeure retirée dans les bois avec sa jeune compagne. Ils souhaitent avoir un enfant. Un jour un homme, qui s’avèrera être un des admirateurs du poète, fait irruption chez lui avec sa famille, et parvient à s’installer. L’épouse prend très mal cette intrusion dans leur vie privée. C’est pour elle le début d’un calvaire qui prendra des proportions dantesques.

 

L’intrigue de Mother! évoque immédiatement les univers de Polanski et de Kubrick. Il y a certes du Rosemary’s Baby dans ce personnage féminin appelé à devenir mère, qui se voit traîné jusqu’au bord de la folie alors que son intimité vole en éclats et que son mari la trahit, tout comme il y a du Shining dans ce personnage masculin foncièrement diabolique, écrivain confronté à la page blanche. Là où Mother! pêche cruellement par rapport à ses modèles, c’est qu’il ne prend pas le temps de planter son décor et de peindre ses personnages. Alors que chez Polanski et Kubrick, l’élément perturbateur mettait un long moment à survenir, chez Aronofsky il est précipité, ce qui nuit à l’implication émotionnelle du spectateur. Paradoxalement, le rythme du film en est affecté, puisque comme le sort des protagonistes nous concerne moins, l’intrigue traîne en longueur dans sa première partie, offrant des situations parfois grotesques. En revanche la deuxième partie vient (partiellement, du moins) sauver les meubles : à partir du moment où toute prétention réaliste s’évanouit, Mother! se mue en une sorte de parabole assez stimulante sur le statut de l’artiste dans une société qui le porte au pinacle, ainsi que sur la nature de l’inspiration artistique. Il faut hélas bien du temps pour en arriver là.

 

Si le scénario paraît cassé en deux, la réalisation est, comme à l’accoutumée chez Aronofsky, une réussite indéniable : on note un usage extrêmement habile du gros plan, des mouvements de caméra remarquablement immersifs et une direction photo granuleuse qui ajoute du poids aux images. Ce n’est certes pas la première fois que le cinéaste fait primer le concept et les belles images sur la qualité de l’intrigue et des personnages (ceux qui ont vu The Fountain (2006) ou Noah (2014) le savent). Or, on sait qu’il est capable de prendre le cinéphile aux tripes, ce qui n’est pas à la portée de tous. C’est juste qu’il ne semble pas se sentir obligé de le faire à chaque fois.