Critique – Kong: Skull Island, de Jordan Vogt-Roberts

S’il y a une aspiration humaine que le cinéma d’aventures a utilisée et réutilisée en tant que ressort narratif de ses productions les plus fastueuses, c’est bien le désir de découverte, et son corollaire, la fascination de l’inconnu. De Méliès à Spielberg, on ne fera certes pas l’inventaire des cinéastes qui ont planté leur caméra dans des endroits exotiques et inconnus de l’homme (ou, à tout le moins, de l’homme occidental). Et il ne faut pas s’en étonner, car la fascination de l’inconnu est un sentiment fort riche, puisque double : c’est une attirance, certes, mais aussi une peur. C’est pourquoi le cinéma fantastique et le cinéma d’horreur ont longtemps misé là-dessus : durant la période dite « classique » du cinéma, le monstre, la menace surnaturelle vient presque toujours de l’étranger, tantôt des confins de l’espace ou du fond des mers, tantôt d’un caveau égyptien ou d’une sombre forêt transylvanienne. Il faudra attendre les années soixante pour voir apparaître des films où la menace provient non pas de l’étranger mais du terroir, voire du voisinage.

Ces quelques remarques préalables résument sans doute bien la popularité rencontrée par les aventures cinématographiques du singe géant King Kong. Celles-ci se composent de trois films principaux, qui furent d’importants succès au box-office : celui de 1933, réalisé par Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, celui de 1976, par John Guillermin, et celui de 2005, par Peter Jackson. À ces trois œuvres sont venues se greffer un certain nombre de suites, plus ou moins heureuses, et aujourd’hui, Kong revient en force dans cette méga production financée par la Warner. Néanmoins les temps ont changé : dans un univers devenu globalisé, mondialisé, les rêves d’antan n’ont plus leur place. Si les spectateurs des années trente pouvaient encore rêvé de contrées sauvages inexplorées et de terrifiantes créatures inconnues de l’homme, ceux d’aujourd’hui peuvent parcourir le monde sans même quitter leur chez-eux grâce à Google Streetview. Il sera donc impératif que Kong : Skull Island mette l’accent sur autre chose. Et il y réussit de façon assez brillante.

L’intrigue se déroule à la toute fin de la guerre du Vietnam. Une équipe de scientifiques part faire des relevés géothermiques sur une île isolée du Pacifique sud et reçoivent l’escorte d’un bataillon de marines de retour de la guerre. Rendus sur place, ils sont attaqués et décimés par Kong. Les survivants apprendront toutefois, via des peuples autochtones vivant sur l’île, que Kong n’est pas un monstre sanguinaire, mais bien leur protecteur, puisqu’il combat les démons gigantesques qui sortent périodiquement du sous-sol de l’île pour se repaître d’humains. Les survivants sont alors divisés entre un premier groupe qui souhaite fuir l’endroit au plus vite, et un second qui veut d’abord tuer Kong pour venger les marines morts.

On peut d’ores et déjà constater que Skull Island s’éloigne des versions précédentes sur beaucoup de points. Si le scénario est en quelque sorte forcé de se dérouler dans une époque antérieure pour que l’idée de l’île inconnue de la civilisation reste crédible, il compense en mettant en scène un univers hors du temps, aux accents lovecraftiens plus que bienvenus. Dans les versions précédentes, Kong était ramené de force dans le monde civilisé, lequel devait goûter à son courroux. Ici, l’action ne quitte pas l’île, mettant l’emphase sur la présence intrusive de l’homme, sur son côté destructeur et insensible, beaucoup plus que sur le caractère impitoyable de la nature, ce qui donne au film des accents indubitablement contemporains.

Pour le dire franchement et sans détour, Skull Island nous apparaît comme le meilleur des King Kong. Certes, il n’a pas l’aspect novateur (pour l’époque) de la version 1933, et ses scènes d’action ne sont pas aussi ébouriffantes que celles de la version 2005. En revanche, il est mieux écrit et présente des personnages autrement plus intéressants, dont la quête n’est plus uniquement motivée par un appât du gain démentiel ou par des sous-intrigues amoureuses frisant le ridicule. Ils se révèlent donc plus attachants, même lorsqu’ils font le mal. Pour les incarner, le film bénéficie d’un casting cinq étoiles, où Tom Hiddleston et Samuel L. Jackson se distinguent tout particulièrement, le premier prêtant son visage félin et son regard bleu acier à un explorateur bourru qui se découvrira une sympathie pour le singe géant, le second incarnant avec la conviction et le talent qu’on lui connaît un militaire aigri et obsédé par la vengeance.

Pour être honnête, Skull Island a également ses défauts : on y note certaines touches d’humour maladroites, et un sentiment de déjà-vu qui découle du peu d’imagination de la direction artistique et de la bande sonore. Ceci étant dit, étant donné qu’au cinéma il est rare que les nouvelles versions dépassent en qualité les anciennes (ce qui est le cas ici), il serait idiot de bouder son plaisir. Gageons que les spectateurs ne le feront pas.