Critique télé : Westworld S01E08 – Trace Decay

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Les souvenirs sont une chose difficile à saisir. Ils sont malléables, souvent incomplets et faillibles, mais nous connectent malgré tout à notre histoire, notre vécu et forgent notre relation aux autres. La mémoire a toujours eu une place de choix dans les thèmes de Westworld, mais elle est encore plus mise de l’avant cette semaine dans Trace Decay, qui suggère que les sentiments incontrôlables que nous infligent nos souvenirs sont un des éléments clés de notre humanité.

Le souvenir d’une unique interaction peut modifier la façon dont on perçoit quelqu’un. Ce même souvenir peut pourtant être influencé par nos émotions du moment, qui tordent notre perception de ce qui s’est passé. Ce souvenir définira malgré tout notre façon d’agir dans le futur. C’est aussi dans la mémoire que vivent les morts. La douleur suite à la perte d’un être cher représente le souvenir de notre amour, dernier vestige de la relation que nous avons eue. Pourtant, le temps et notre parcours de vie peuvent être plus ou moins cléments aux souvenirs. Les personnages de Westworld expérimentaient donc plus que jamais cette tension entre la réalité et notre souvenir.

Dans la continuité de sa lutte pour s’émanciper, Maeve, dont on ne peut plus effacer la mémoire, devient la seule continuité fiable dans un parc qui change autour d’elle. Lorsque Clementine est remplacée par un nouveau modèle, sans le souvenir de Maeve, rien ni personne ne pourrait témoigner que Clementine a bel et bien travaillé au Mariposa. Même si les gens responsables du parc essaient d’altérer la réalité, leurs modifications ne valent rien sans leur contrôle absolu sur la mémoire résiliente des hôtes.

L’hôte chargée de l’établissement a aussi des souvenirs très vifs et frappants d’une ancienne vie ou elle était mère. Malheureusement, ce morceau du passé s’est terminé avec une tragédie qui laisse une cicatrice émotionnelle sur la Maeve du présent. Lorsque l’on voit l’homme en noir détruire son monde, on apprend que sa « cognition est fragmentée » (traduction libre) et qu’elle ne répond plus aux commandes qu’on lui donne. La pure douleur de cette tragédie lui a permis de passer, si ce n’est que pour une brève période, par-dessus les limites de son existence artificielle pour faire un pas de plus vers l’humanité. Sa mémoire est ensuite complètement effacée, détruisant son lien avec le passé, sa douleur et aussi son amour. Par contre, comme le démontre une Maeve qui « writes [her] own fucking story » maintenant, ce formatage est loin d’être parfait. L’image du code fragmenté sur la tablette de Bernard ressemble énormément à l’image du labyrinthe, celui qui est censé nous pointer vers la signification du parc.

Ce labyrinthe est le jeu d’Arnold, un chemin qui mène vers un objectif qui blesse plus profondément que n’importe quelle arme de Westworld ne le peut. L’homme en noir, le fléau du parc, nous apprend enfin qu’il est un homme d’affaires puissant qui mène cette double vie, sous une façade de philanthrope bienfaisant. Par contre, suite au suicide de sa femme – qui voyait le vide émotionnel derrière la façade, il s’est mis à la recherche de sa propre humanité. Le désespoir de Maeve lorsqu’il exécute sa fille lui a montré que cet attachement rompu, cette perte de l’amour, donne la vie, même si ce n’est que pour un instant. De son côté, il a perdu sa femme de 30 ans et n’a rien ressenti. C’est ce souvenir distant qui n’évoque aucun sentiment en lui qui le guide. Le centre du labyrinthe lui offrirait donc, hypothétiquement, une raison de pleurer, une cicatrice émotionnelle assez puissante pour lui rappeler son humanité.

Dans la même intrigue, ce sont aussi les souvenirs de Teddy qui lui ont permis de briser sa programmation. Lorsque l’homme en noir est venu lui enlever la femme qu’il aime, il a laissé une marque dans les circuits de Teddy qui n’a pas pu être effacée. Lorsque certains indices lui mettent la puce à l’oreille, il se met à voir une vie précédente dans laquelle son compagnon de voyage le tuait et emportait sa demoiselle. Encore une fois, c’est le traumatisme lié à l’être cher qui lui permet de contourner sa « non-humanité ».

Avec des idées complètement opposées, Ford, qui lui considère que, aussi remarquable soient les émotions (tristesse, rage, culpabilité) que Bernard exprime suite au meurtre de Theresa, la capacité de les supprimer est l’attribut supérieur. Pour Dieu en contrôle de tout, les souvenirs désagréables et doutes sur le passé ne servent qu’à s’y perdre, des émotions qui limitent l’humain et ses capacités. Il « libère » Bernard et Maeve de leurs détresses en sublimant leurs souvenirs des êtres chers. Toutefois, pour être libérés du désespoir, il faut qu’ils oublient aussi l’amour qu’ils vouaient à ces proches. Cette douleur n’est qu’un chemin dans lequel on se perd, mentionne Ford, une futilité destinée à nous confondre. Par contre, Arnold, qui comprenait l’humanité au lieu de la mépriser, a fait de cette capacité à ressentir sans contrôle la récompense de son attraction. De plus, si la douleur n’existe que dans l’esprit, alors les hôtes aux capacités cognitives avancés n’ont-ils pas encore plus de potentiel de douleur et donc d’humanité?

Malgré son contrôle des faits et des souvenirs de Bernard, tous les gens qui côtoyaient Theresa font la remarque que les circonstances de son décès sont étranges. Les « faits » que construit Ford ne concordent pas avec les souvenirs que les gens ont de la femme et c’est ce qui sème le doute chez Stubbs. Finalement, malgré la confiance qu’a Ford en ses programmes, Maeve et Bernard prouvent qu’il est incapable de complètement se débarrasser de leurs blessures, qui laissent des cicatrices permanentes.

Pour conclure cet épisode sur la réalité confrontée au souvenir, Dolores est dans une quête ou toute sa vie se confond sous ses yeux. Tandis que les humains perçoivent le passé de façon incertaine et floue, les hôtes aux cerveaux plus puissants revivent littéralement les souvenirs. Nous avons des souvenirs (des notions ultimement abstraites qui n’existent que dans l’esprit) qui définissent qui nous sommes et déclenchent des émotions bien vraies. Les hôtes fonctionnent aussi comme tel, sauf que leurs passés sont des lignes de codes qui peuvent être réécrits, ajoutés ou effacés à la guise d’ingénieurs dans les coulisses. Ainsi, pour quelqu’un qui n’est pas pleinement en contrôle de la perception de son environnement, le présent et le passé se confondent et il se retrouve à vivre toute leur vie tout le temps. Lorsque Dolores arrive à son « village natal », elle est submergée par un flot de souvenirs, incertaine (comme nous) de ce qui en est.

Si l’on souscrit à la théorie que la série se déroule à plusieurs époques à la fois (et j’y souscris), nous expérimentons la « continuité » de Westworld comme le font les hôtes. Le présent et le passé se mélangent de façon indiscernable et nous n’avons accès à aucune pièce d’information, que les scénaristes nous interdissent d’avoir. On nous guide sur un trajet bien déterminé, vers une finale qui nous permettra possiblement de nous libérer de ce joug? Ou peut-être trouve-t-on réconfortant, comme Ford le croit, d’être supervisés sur ces rails, à se faire dicter ce que nous devons ressentir et retenir.

Le « deep and dreamless slumber » est officiellement une notion terrifiante, puisqu’elle implique un vide émotionnel laissé par un souvenir effacé. Ford voudrait que tout cela ne soit qu’un « distant dream », mais le rêve ne peut être distant pour des créations qui ne se rappellent que trop vivement. Cela risque de les rendre encore plus rancuniers contre leurs capteurs lorsqu’ils se libéreront enfin.

Prédiction : L’homme en noir étant William (chose que l’on doit presque tenir pour acquise si l’on veut pleinement saisir les épisodes à ce point), le centre du labyrinthe émotionnel rapporte inévitablement à Dolores. L’élément déclencheur de son aventure en sera aussi la conclusion qui lui ramènera son humanité et probablement sa mort du même coup.