Critique – Miss Peregrine’s Home for Peculiar Children, de Tim Burton

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Mesdames, messieurs,

Parents et amis, chers cinéphiles éplorés,

Nous sommes réunis ici aujourd’hui pour offrir un ultime hommage à un des grands génies cinématographiques d’une époque, l’idole de bien des jeunes mordus de films fantastiques, notre frère Tim Burton. Et quelle meilleure façon de lui rendre hommage que de se remémorer l’immense artiste qu’il fût?

Dès les années quatre-vingts, comme cinéaste débutant il faisait montre d’un style extrêmement assuré. Avec des films comme Pee-Wee’s Big Adventure (1985), Beetlejuice (1988) et Batman (1989), le dessinateur de métier qu’il était sût faire preuve d’un sens de l’humour noir caractéristique, allant parfois jusqu’au malaise, tout en amenant beaucoup d’audaces visuelles dans la direction artistique. Les maquillages grimaçants de Michael Keaton et Jack Nicholson sont d’ailleurs devenus iconiques. Dans la décennie suivante, il fût encore meilleur. Chacun des films portant sa griffe tenait du chef-d’œuvre. Edward Scissorhands (1990) est un bijou d’onirisme, l’une des transpositions les plus sensibles et les plus justes des codes du conte de fées au cinéma. Batman Returns (1992) se révéla encore meilleur que le premier opus, livrant une véritable déclaration d’amour envers les monstres et les parias en la déguisant habilement en blockbuster hollywoodien. The Nightmare Before Christmas (1993), film qu’il ne réalisait pas mais qu’il avait supervisé, reste l’un des meilleurs films pour enfants de l’époque, abreuvant notre œil de tout un bestiaire de créatures colorées et expressionnistes, et notre oreille des merveilleuses comptines de Danny Elfman. Avec Ed Wood (1995), Burton se trouve au zénith de son talent, et profite de son piédestal pour livrer un hommage senti au cinéma de série Z, tirant vers le haut les artisans de l’ombre qui le créent, et permettant au passage à Johnny Depp de livrer une des meilleures performances de sa carrière. Le grand cinéaste qu’il est semble impossible à arrêter, et sa carrière continue de prendre du galon: il signe Mars Attacks! (1997), parodie mordante et iconoclaste de deux genres (science-fiction et film de guerre), où la Terre est littéralement réduite en miettes par des extra-terrestres déchaînés. Puis avec Sleepy Hollow (1999), il transforme une populaire légende du terroir américain en une enquête policière mâtinée d’éléments horrifiques particulièrement réussis.

C’est alors qu’un premier incident survient: en 2001, il tente un remake de Planet of the Apes, classique des années soixante, mais le résultat, en dépit d’indéniables qualités plastiques, est plombé par des scènes d’humour mal maîtrisées et par une scène finale incohérente et incompréhensible. Pour ses fans, il y eut alors une inquiétude: le maître était donc faillible. Néanmoins, il se ressaisit. Il enchaîne coup sur coup Big Fish (2003), Charlie and the Chocolate Factory et Corpse Bride (tous deux en 2005), trois films portés par des scénarios d’une grande sensibilité et par de superbes directions photos. Ses fans reprennent courage. Sa mésaventure chez les primates ne semble pas avoir laissé trop de séquelles. Hélas, c’est la rechute qui l’attend. En 2007, il adapte la comédie musicale Sweeney Todd, et soudain on ne le reconnait plus: les personnages sont antipathiques, l’intrigue ennuyeuse, l’esthétique sans originalité. On craint le pire pour lui, et le pire ne tarde pas à arriver, d’abord avec Alice in Wonderland (2010), blockbuster sans saveur et boursouflé d’images de synthèse, puis avec Dark Shadows (2012), comédie fantastique d’une puérilité consternante. Paraîtront encore Frankenweenie (2012), film d’animation particulièrement fade, et Big Eyes (2014), biopic mièvre aux interprètes cabotins. Le cœur gros et la larme à l’œil, il faut se rendre à l’évidence et débrancher la prise: Tim Burton nous a quitté, laissant derrière lui des masses d’amants du septième art endeuillés.

Mais attendez, j’entends quelque chose qui gratte à l’intérieur de son cercueil! Je colle mon oreille contre le couvercle: un nouveau film signé de sa main a pris l’affiche, intitulé Miss Peregrine’s Home for Peculiar Children. Jetons-y un œil, au cas où. À dire vrai, certaines scènes sont assez plaisantes, notamment un combat avec des squelettes et une séquence bien macabre où des croquemitaines se repaissent d’yeux d’enfants. L’ensemble paraît toutefois un peu décousu. Le thème de la marginalité, et l’affection que Burton porte depuis toujours aux personnages de rejetés et d’incompris, deux éléments qui constituent l’un des principaux fils conducteurs de sa filmographie, sont désormais présents de façon beaucoup trop appuyés et explicites pour fonctionner encore pleinement. De plus, Burton semble avoir renié son affection pour le cinéma-bis, optant pour un déluge de CGI offrant un look visuel lisse, propret et sans vitalité qui ne fait pas le poids face au charme vieillot de ses bricolages antérieurs. Miss Peregrine n’est sans doute pas son pire film, mais on ne peut manifestement pas parler d’un retour d’entre les morts.

Peut-être si on essayait d’appeler son nom trois fois, juste pour voir?