L’offre 3D dans les complexes… ou le dindon de la farce!

Dans le film Pacific Rim, réalisé par del Toro, l’un des Kaijus (monstres géants en japonais) émet une onde de choc électromagnétique durant un combat paralysant les robots géants (les jaegers) qui fonctionnent sur un réseau numérique. Raleigh, cloué à la base militaire avec sa copilote, rappelle que le vieux modèle de jaeger qu’il pilote est analogique et alimenté au nucléaire (c’est discutable à savoir pourquoi le jaeger Gypsy Danger n’a pas été affecté par la secousse électromagnétique… Ce n’est pas le but de cette entrée). Dans le film de del Toro, l’analogique vient métaphoriquement à la rescousse du numérique.

© Warner Bros. Pacific Rim 2013.

L’ironie est d’autant plus palpable que le film fait un usage surabondant d’images de synthèse, pour notre plus grand plaisir de geek d’ailleurs, et que del Toro a refusé longtemps que son film soit projeté en 3D, prétextant que la perspective de l’image offerte par cette technologie de post-conversion numérique ne convenait pas au film qu’il réalisait. La 3D donnerait, selon lui, l’impression à l’écran que les énormes monstres seraient petits. Un sentiment qui va à l’encontre du principe du spectaculaire voulu par ce genre de film. Or, il s’est ravisé, en expliquant sa décision au site Shock Till You Drop : « I asked the studio, number one, that we would not hyper-stereo-lize the thing. That we would not force 3D on the beauty shots. That we would keep the giant dimensions. They agreed »

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© Paramount Pictures. Hugo 2011

Il y a tout de même une grande différence entre un film originalement tourné en 3D, pensé pour la 3D et éclairé au tournage pour la 3D (c’est le cas d’Avatar de Cameron, et d’Hugo de Scorsese avec les puissants backlight qui découpent les personnages des arrières plans), et un autre film dont les producteurs décident de manière impromptue en cours de tournage qu’il sera post-converti à la 3D. Christopher Nolan, un puriste de la pellicule et de la 2D, n’a pourtant pas eu besoin de la stéréoscopie pour obtenir du succès avec The Dark Knight Trilogy (The Dark Knight Rises, projeté en 2D, récolta plus d’un milliard de recettes au box office. Il y aurait d’autres exemples, comme Skyfall de Mendes). Avec Avatar c’est différent. Il fut tourné en 3D et le thème de l’immersion dans un corps étranger s’accordait bien avec l’immersion esthétique et visuelle du spectateur – on ne parle pas de l’immersion narrative!

Toutefois, soyons pragmatiques. Comment le consommateur réagit-il face aux nombreuses options de projection qui lui sont offertes? Est-ce que les clients au cinéma choisissent en premier la 3D par rapport à la 2D? Je ne parierais pas sur la 3D en tout cas, surtout si le spectateur pouvait se voir offrir le choix (s’il y avait deux salles Imax, une 2D, une autre 3D, les choix des spectateurs seraient plus faciles à comparer). Les producteurs devraient commencer à penser utiliser l’artifice lorsqu’il se prête le mieux au bon film, au lieu d’être attirés par l’appât du gain et la charge supplémentaire de 3$ gentiment imposée au client pour une représentation en 3D. La sortie au cinéma commence à coûter cher. Le problème n’est toutefois pas seulement esthétique, mais aussi éthique et commercial. Les exploitants de salles sont un peu comme des schizophrènes libérés de prison qui ne voulaient pas sortir, pris entre l’arbre et l’écorce. Ne voulant pas s’obstiner avec les géants distributeurs, les exploitants refilent le problème aux clients :

« Hey mon ami! Comment tu veux voir Pacific Rim? Tu veux le voir en 3D sur un écran ordinaire? Sur un écran UltraAVX en 3D? Tu peux réserver ton siège dans la salle UltraAVX. On ne projette pas le film en 2D dans cette salle, il est juste en f*****g 3D! Il est dans la salle Imax aussi, en 3D encore. Il n’y a plus de films 2D projetés sur un écran Imax. Mais ce n’est pas tout, dans une salle 2D qui projette Pacific Rim tu peux aussi réserver un siège D-BOX qui va te donner l’impression d’être dans un manège de Disneyland. Et en plus ça va déranger tes voisins derrière toi qui vont toujours te voir shaker à chaque fois que le personnage principal éternue. Ou tu peux juste voir ton film en 2D sur un siège ordinaire et étroit   (criquet…………………………………..…) ».

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Capture d’écran tirée du site Cineplex.com

Quant aux compagnies qui veulent vendre leurs technologies 3D (RealD par exemple s’apprête à demander aux exploitants de convertir leurs salles à la technologie LUXE. Lire l’article du HollywoodReporter), il serait absurde maintenant d’invoquer les recettes au box-office des films 3D pour faire démentir les détracteurs. Leonard Maltin relève quelques chiffres intéressants sur son blogue. Gatsby n’a récolté que 33% des recettes sur la version 3D et Iron Man 3 45%. Également, une dernière donnée sortie récemment sur le site Filmjunk à propos des recettes de Despicable Me 2 indique une baisse record des ventes (depuis 2009) de billets vendus pour les représentations 3D (27%). En plus, après deux ou trois semaines de projection, le film projeté en 2D dans une salle ou deux est souvent retiré pour n’offrir que l’option 3D, forçant ainsi les statistiques en faveur de la 3D. Les distributeurs jouent avec cette statistique pour justifier une demande inexistante chez le spectateur de film. Ils créent ainsi une demande virtuelle pour la 3D en forçant l’offre dans les salles de cinéma. Celui-ci se fait littéralement duper, il est le dindon de la farce. Il n’y a rien de scientifique ici, mais personne dans mon entourage n’aime regarder un film en 3D au cinéma (encore une fois, cela dépend du film. Quand le spectateur ressent inconsciemment la logique derrière l’utilisation de l’artifice, comme avec Avatar, il accepte de jouer le jeu). Lorsqu’on donne le choix aux enfants, ils choisissent l’option 2D. Le port des lunettes les dérange. D’ailleurs porter celles-ci nous rappelle constamment qu’on est en train de regarder un film, ce qui est complètement contraire à la qualité immersive proposée par la 3D. Les lunettes diminuent également la luminosité, ce qui donne la désagréable impression d’avoir un voile devant le visage. Les lampes des projecteurs ne compensent pas cette perte de luminosité provoquée par les lunettes. Conséquemment, l’image est plus sombre (Peter Jackson évoque le problème rapidement sur le site Screenrant : « certainly the projection brightness issue needs to be addressed »). On regarde les films en 3D, au lieu de les vivre par immersion. Ce que les distributeurs et les majors américaines semblent ne pas avoir encore compris – après pourtant plusieurs tentatives commerciales de la 3D depuis les années 50, est que l’immersion narrative de la 2D est beaucoup plus efficace et mémorable que la sensation supposément immersive de la 3D.

Et pourquoi? Les producteurs et distributeurs ne trichent pas seulement les statistiques du box-office à leur avantage, mais ils trichent également le cerveau. Les deux yeux parcourent naturellement ce qui se présente devant eux, de manière erratique et selon la curiosité de la personne et l’impulsion du moment. Lors de l’écoute d’un film, si la profondeur de champ d’un plan est faible, et que le réalisateur veut faire basculer l’attention du spectateur de l’avant-plan vers ce qu’il y a à l’arrière-plan, le caméraman opérera ce qu’on appelle dans le jargon un rackfocus qui prendra le temps voulu selon le rythme désiré.

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Source: http://ntuenglishnonmajors.blogspot.ca/2007/10/talking-about-focus.html

Si la profondeur de champ est bonne par contre, l’œil parcourra toute l’image à sa guise selon la mise en scène.

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Citizen Kane 1941

Qu’arrive-t-il pendant un film 3D? On triche le cerveau en lui faisant croire que l’image plane devant lui possède une perspective. L’œil et le cerveau réagissent donc comme si le plan possédait les caractéristiques d’une image réelle et emprunte le comportement erratique décrit ci-haut. Le problème est le suivant : la 3D force la mise en scène de l’attention du spectateur, mais cela crée un conflit avec le comportement naturel du cerveau qui veut explorer l’image. Le cerveau doit compenser et dépenser une certaine dose d’énergie pour garder le contrôle sur la perspective du film 3D. Ainsi, quand le cerveau veut naturellement « scanner » la surface de l’écran 3D, donc aller à l’encontre des changements d’attention et de mise au point forcé par le film, il ne sait plus où donner de la tête (!).

Donc, en plus de reprocher à un certain cinéma de prendre son spectateur par la main en lui racontant des histoires simplettes, hormis un certain cinéma de genre consommé pour le plaisir, l’offre surabondante des salles 3D nous permet de croire que l’on veut également hacker notre cerveau. La solution? Demander que l’offre des films 3D corresponde minimalement à 50% de l’offre 2D pour un même film, et qu’en plus(!) les deux options restent dans un même cinéma jusqu’à ce que le film sorte totalement du circuit. Jusqu’à nouvel ordre, je ne vais pas voir de films en 3D (je serais peut-être retourné voir Man of Steel, mais il n’était plus disponible en 2D).

Et vous?

p.s.: Pacific Rim fut visionné en 2D au Cinéma Banque Scotia, derrière les sièges D-Box! Cette entrée de blogue ne concerne évidemment que les blockbusters estivaux…